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Le Crif : Depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, une période d’instabilité politique s’est ouverte. Comment trouver une solution durable et un gouvernement stable avec trois « blocs » à l’Assemblée, aucun ne disposant d’une majorité ?
Patrick Kanner : La seule certitude, c’est que le Président de la République porte l’entière responsabilité de cette situation. La dissolution de l'Assemblée nationale par Emmanuel Macron a plongé notre pays dans une grave crise institutionnelle. Cette décision a créé une situation instable où aucune majorité claire ne s’est dégagée des élections législatives. Ce choix a révélé une gestion erratique du pouvoir et a entraîné la menace permanente de paralysie institutionnelle. Donc oui, l’Assemblée nationale se compose désormais de trois blocs. Et plutôt que de s’appuyer sur le bloc formé par le front républicain – le Nouveau Front Populaire (NFP) et le bloc central –, Michel Barnier met Marine Le Pen au centre du jeu, en faisant des concessions indignes, comme la proposition de baisser l’aide médicale d’État. Je condamne ce choix qui piétine le vote des Français aux législatives et qui donne un coup de projecteur inespéré à l’extrême droite.
Le Crif : Les incertitudes sur le sort du gouvernement Barnier, qui peut chuter avec le vote majoritaire d’une motion de censure, n’ouvriront-elles pas une voie à un gouvernement « technique », qui pourrait neutraliser les oppositions cumulées et convergentes du Rassemblement Nationale (RN) et de la gauche NFP ?
Patrick Kanner : Le 7 juillet dernier, nous l’avons dit, les Français n’ont pas donné de majorité absolue à l’Assemblée nationale. La logique aurait alors voulu qu’Emmanuel Macron se tourne vers la gauche, arrivée première parmi les trois blocs que nous évoquions, pour constituer un gouvernement. Nous connaissons la suite : il a fait le choix de se tourner vers la droite et de demander l’approbation de l’extrême droite. Si cette option nous mène dans une impasse, alors il ne nous reste qu’une solution : une coalition qui reflète la force du front républicain lors des dernières législatives. Je pense que nous devons affirmer que nous sommes prêts à des compromis texte par texte pour sortir notre pays de la crise politique et institutionnelle que nous connaissons.
Le Crif : Vous ne pensez donc pas, comme par exemple le LR Jean-François Copé, qu’une solution viendrait de la démission du Président de la République et d’une présidentielle anticipée ?
Patrick Kanner : Je l’ai dit, Emmanuel Macron est entièrement responsable de l’instabilité politique que nous traversons aujourd’hui. Mais je reste profondément attaché à notre démocratie et aux valeurs de la République. Le Président de la République a été réélu en 2022 pour cinq ans. Il a la responsabilité de mener son mandat jusqu’à son terme. Je ne serai pas de ceux qui réclament sa démission, et encore moins sa destitution.
Le Crif : Concernant l’avenir de la gauche, des voix s’élèvent de plus en plus, notamment au sein du Parti socialiste (PS) auquel vous appartenez, pour que la gauche sociale-démocrate de gouvernement s’émancipe de « l’emprise » de La France insoumise (LFI). Pensez-vous cela possible, et si oui comment ?
Patrick Kanner : Une partie de la gauche doit se réinventer. L’histoire nous l’a montré : la social-démocratie écologiste et européenne est la seule capable de mener la gauche au pouvoir. Elle doit retrouver son rôle central dans la construction d’une société plus juste, plus solidaire. Le Parti socialiste doit retrouver sa fierté et bâtir un projet pour démontrer que la gauche est prête à assumer pleinement son rôle de gouvernement, en se libérant de la tutelle de mouvements qui ne partagent pas cette vision. Nous avons trop longtemps courbé l’échine face aux outrances de LFI et de Jean-Luc Mélenchon. Il est temps de réaffirmer qui nous sommes et de répondre aux aspirations des millions de Français qui attendent qu’enfin une gauche d’action et de gouvernement les représente.
Le Crif : Depuis le 7-Octobre 2023, nous avons assisté en France à une flambée de propos et d’actes antisémites. Comment traiter ce fléau, mieux endiguer selon vous cette menace ?
Patrick Kanner : L’antisémitisme est un fléau inacceptable qui défigure notre société. Les bombardements de Tsahal sur la bande Gaza ont attisé un sentiment de vengeance, avec des actes qui font froid dans le dos : tags antisémites, menaces sur des écoles juives, des synagogues ou des commerces cacher franciliens… Ce déferlement antisémite nous donne l’impression de revivre des heures très sombres de notre histoire.
La France abrite les plus importantes communautés juive et arabe d’Europe. C’est une richesse, mais aussi un risque, et on le voit bien aujourd’hui. Le risque d’y voir importé le conflit Israël-Palestine. Il faut une politique de sanctions claires contre les auteurs de tels actes mais aussi apporter un soutien constant aux victimes, en particulier à travers les associations qui travaillent au quotidien pour les protéger. L’unité nationale face à l’antisémitisme est une nécessité pour préserver les valeurs de la République.
Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet
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