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La définition, extrêmement stricte, du crime de génocide procède d’un long travail normatif que l’on peut faire remonter aux années 20 du XXe siècle. Travaillant à partir de ce qu’on n’appelle pas encore « le génocide des Arméniens », des juristes réfléchissent alors à une notion nouvelle qui pourrait traduire la spécificité de ces campagnes criminelles qui visent des populations civiles entières sans aucun rapport avec un conflit armé. Cette criminalité singulière à précisément définir est appréhendée dans les cercles académiques par des recherches dont les plus célèbres sont celles de Raphael Lemkin, juriste américain d’origine polonaise qui, associant le mot « γένος (genos) » (famille, groupe, race en Grec ancien) et le suffixe « -cide » (du Latin caedere signifiant tuer), propose de définir un chef d’inculpation de « génocide ».
Lemkin devient le chef de file de nombreux juristes qui militent pour une justice universelle, concept alors révolutionnaire, qui permettrait la poursuite et la condamnation de ces campagnes criminelles de destruction et de leurs auteurs.
Le processus normatif est long à établir et doit faire face aux résistances d’un monde fondé sur les puissances nationales qui se défient d’une justice internationale, de ses conséquences éventuelles pour les dirigeants et les États. Mais la révolution de Nuremberg, première occurrence d’une justice internationale, permet de juger les représentants d’un État et interdit à ces derniers de s’abriter derrière les écrans de l’immunité de leur fonction et de ceux de la loi nationale interne qui ne fonctionnent plus.
En 1945, cette nouveauté judiciaire bouleversait tellement l’ordre établi qu’il n’était pas question d’en intégrer une de plus. La définition du génocide, n’étant alors pas totalement arrêtée ni juridiquement ni politiquement, les négociateurs de l’Accord de Londres créant le Statut du Tribunal de Nuremberg n’ont souhaité retenir que trois chefs d’accusation, crimes contre la paix, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, leur semblant suffisant à ce stade. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la particularité de la politique de destruction menée contre les Juifs n’avait pas encore pleinement intégré la conscience collective. Ce qui fait la spécificité du crime de génocide n’était donc pas suffisamment perçu pour justifier l’établissement d’un chef d’accusation supplémentaire.
C’est cependant à partir du procès de Nuremberg, qui prit fin en octobre 1946, que fut enfin accordé une place pour l’intégration du crime nouveau de génocide dans ce processus répressif international. Après de longs travaux préparatoires, la « Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide » fut donc adoptée le 9 décembre 1948 : elle énonce définitivement la définition de ce crime en son article II. Jamais par la suite, le statut d’une des multiples juridictions internationales ne s’est éloigné d’un iota de cette définition :
« Le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
a) Meurtre de membres du groupe ;
b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe »
Cette définition du génocide, la seule faisant autorité, exige le rassemblement de certains éléments constitutifs : outre les éléments matériels déclinés dans les cinq paragraphes de la définition ci-dessus, la situation criminelle examinée doit faire ressortir un type précis de destruction et une intention de détruire.
La destruction en question doit être « biologique », c’est-à-dire qu’elle ne vise que des groupes auxquels les individus appartiennent par leur naissance, de façon définitive et permanente. Les groupes politiques ou culturels, dont les membres sont susceptibles de changer, ne sont donc pas protégés par ce concept. De plus, la destruction condamnée par la qualification est celle visée par la politique criminelle ; le résultat obtenu n’a aucune incidence sur celle-ci. La qualification de génocide ne dépend pas du nombre de victimes atteintes, étant ainsi inapplicable à la plupart des crimes de masse. Enfin, la définition impose, par les mots « comme tel », un mobile principal particulier lié à l’existence du groupe visé. Ainsi, les politiques criminelles qui aboutissent à la destruction d’un groupe en poursuivant un mobile essentiellement stratégique, militaire, économique ne correspondent pas à un génocide.
Le caractère strict du Droit pénal, la rigueur de la définition, la limitation de la définition de ses éléments constitutifs ont rendu la qualification de génocide assez exceptionnelle. Ainsi, le premier procès de l’Histoire débouchant sur une condamnation du chef de génocide n’a eu lieu que presque cinquante ans après l’entrée en vigueur de la Convention : il s’agit de la condamnation de Jean-Paul Akayesu, notable rwandais impliqué dans le génocide des Tutsis.
Malgré cette rigueur dans la définition et cette rareté concomitante de la jurisprudence, bien des voix ne montrent pas du tout la même prudence et allèguent, en dehors de tout processus juridictionnel, et donc sans l’autorité qui s’y rattache, de la présence d’un crime de génocide en des circonstances qui n’y ressemblent que de loin. Les motivations de ces qualifications extrajudiciaires ou « sauvages » sont multiples (besoin de reconnaissance, souhait d’une intervention militaire, condamnation d’une situation…) et elles procèdent alors d’une incompréhension, subie ou voulue, des mécanismes pénaux et surtout des notions de Droit international qui sont invoquées. Ainsi les dénonciations de crimes de masse invoquent souvent sans nuance le « label » génocidaire (1) ; les partisans d’une intervention armée visant à faire cesser les crimes de masse les dénoncent comme génocide croyant mobiliser face à la situation et pensant parfois justifier une opération militaire (2) ; enfin, l’invocation du concept de génocide, même abusive, permet la saisine de juridictions, notamment la Cour internationale de Justice (CIJ) (3).
La Shoah, archétype du génocide, ne satisfait pas à la définition au motif que six millions de personnes ont été assassinées ; la Shoah est un génocide parce que onze millions de Juifs étaient visés. Au regard de la définition posée depuis 1948, c’est bien le but visé, « l’intention de détruire un groupe », et non le résultat qui constitue ce crime. Dans cette même logique, une politique génocidaire, même interrompue et aboutissant à un nombre restreint de victimes, ne perd pas cette spécificité et justifie toujours les poursuites de ce chef.
Si le résultat criminel, en termes de nombre de victimes, ne définit donc pas le génocide, l’assimilation crime de masse / génocide procède alors d’une confusion fondamentale.
Pourtant, l’actualité est riche de ces situations dans lesquelles les campagnes criminelles sont dénoncées comme des « génocides », au Soudan, notamment au Darfour, au Cambodge sous le règne des Khmers rouges, en Birmanie à la suite de la répression des Rohingyas…
Cette logomachie participe souvent d’une volonté de reconnaissance, dans la conviction que le mot « génocide » établit avec davantage de force la souffrance subie. Or, le Droit international ne connaît pas de hiérarchie dans la gravité des crimes qu’il peut être amené à juger : crimes de guerre, crimes contre l’humanité ou crimes de génocide. L’un ne se confond pas avec l’autre. Leur qualification pénale consacre la présence de leurs éléments constitutifs et ne constitue nullement un jugement de valeur. La justice se veut objective alors que la gravité est une valeur qui relève de l’appréciation subjective de chacun. Il serait d’ailleurs présomptueux pour un magistrat de prétendre connaître l’intensité de la souffrance de chaque victime. La gravité est une notion subjective et la souffrance n’appartient qu’à chacune des victimes. La qualification juridique d’une situation relève en revanche d’une réalité objective, de la réunion d’éléments précis que le juge identifie.
Le crime de guerre est un acte violant les lois ou coutumes de guerre. Dans une classification classique, ces lois ou coutumes de guerre se divisent en deux catégories principales. Les premières règles sont relatives à la conduite des hostilités. Il s’agit d’encadrer la phase active d’un conflit. Dans un contexte de violence, cette phase est très réglementée. Les belligérants doivent mener leur action en respectant ces règles essentielles qui leur interdisent d’attaquer les civils, de viser certains biens (zones neutralisées, lieux de culte, monuments…), d’utiliser certaines armes (arme nucléaire, gaz asphyxiants…) ou certaines méthodes (famine, prise d’otages, refus de quartier…). Les violations de ces règles, causant souvent un nombre important de morts dans la population, civile ou belligérante, engagent la responsabilité de leur auteur sous le chef de crime de guerre. La phase active d’un conflit armé est mortifère par définition : toutes les situations causant des pertes ne sont donc pas constitutives automatiquement d’un crime de guerre ; pour ce faire, il faut établir qu’une règle a été violée.
La seconde catégorie de règles vise, dans une phase plus statique du conflit, à la protection des personnes qui sont dorénavant au pouvoir du belligérant, sous sa responsabilité. Les Conventions de Genève détaillent ainsi notamment les protections dues aux victimes de guerre (malades, blessés, naufragés…) et aux autres personnes protégées (prisonniers de guerre, population civile sous occupation militaire…). La plupart du temps, les violations de ces règles assez précises constituent également des crimes de guerre.
La situation à Gaza soulève typiquement ce genre de questions. Il est certes peu vraisemblable, au sein d’un contexte aussi violent, qu’aucun soldat n’ait contrevenu aux règles en question. Ces violations éventuelles entraînent la responsabilité du chef de crime de guerre du soldat qui les a commises, mais également de leur supérieur hiérarchique qui ne les a pas empêchées ou qui ne les a pas punies.
La mise en cause de Monsieur Netanyahu par le Procureur de la CPI ne repose pas sur cette responsabilité du supérieur pour sa carence face au crime d’un subordonné mais sur les décisions qu’aurait pris ce dernier d’ordonner de cibler la population civile ou d’affamer cette dernière. Ce reproche, sur lequel les juges auront à trancher, invoque donc le chef de crime de guerre et non celui de génocide. Si un génocide était en cours sur le territoire de Gaza, le Procureur n’aurait pas manqué d’ajouter ce chef d’accusation à sa demande de mandats d’arrêt contre le Premier ministre et contre le Ministre de la Défense.
La définition du crime contre l’humanité peut varier selon les textes mais, en substance, il s’agit d’un acte inhumain (meurtre, torture, esclavage, violence sexuelle, déportation, etc.) commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile. Cette attaque désigne la politique que servent les actes mis en cause et qui, à défaut, seraient des crimes de droit commun. Autrement dit, le but collectif auquel sont rattachés les actes examinés transforme des actes criminels individuels en crimes contre l’humanité. Le crime de guerre ne connaît pas cet élément collectif. Le criminel contre l’humanité contribue, par son aide, à la réalisation du but de l’attaque contre la population civile ciblée.
Dans le cadre de l’enquête sur la situation en Palestine, le Procureur de la CPI estime que les crimes contre l’humanité imputables à Messieurs Netanyahu et Gallant, actes d’extermination, de meurtres, de persécution ou d’autres actes inhumains, s’inscrivent ainsi « dans le prolongement d’une attaque généralisée et systématique dirigée contre la population civile palestinienne dans la poursuite de la politique d’un État » [1]. Encore une fois, s’il est possible que les juges de la CPI accèdent à la demande du Procureur puis qu’ils entrent un jour en condamnation, le chef de génocide sera, en l’état, exclu des débats.
La même analyse peut être retenue au sujet des procès engagés contre les hauts responsables du Kampuchéa démocratique (Khmers rouges) et les principaux responsables des crimes commis entre le 17 avril 1975 et le 6 janvier 1979. Si, au moins d’un point de vue médiatique, la dénonciation de ces crimes a souvent pris les habits du génocide, les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens créées pour juger ces derniers n’ont même pas tenté d’engager de poursuites du chef de génocide au sujet des crimes commis contre la population cambodgienne. La pression médiatique n’a rien changé à la réalité juridique : les massacres et les persécutions ayant abouti à la disparition de 1,5 à 2 millions de personnes n’étaient pas guidés par une « intention de détruire le groupe ».
Ainsi, si le « génocide » est souvent assimilé aux différentes scènes de crimes de masse, les tribunaux, appliquant la définition de ce crime, ne cèdent pas à ces mésusages et ne confondent pas le résultat criminel avec l’intention génocidaire.
La notion de génocide est bien souvent invoquée à des fins politiques, dans des discours mobilisateurs ou faussement convaincus de l’existence de conséquences, d’un régime juridique spécial, à cette qualification.
Une croyance souvent tenace laisse ainsi supposer que l’identification d’un génocide autoriserait une réaction armée en réaction afin de sauver les populations en danger. Ainsi a-t-on pu lire des appels à intervenir militairement contre le « génocide » au Darfour, au Tibet, en Birmanie…
Cette croyance relève d’une invention politique diffuse. En effet, en Droit international, rien n’est plus circonscrit que le recours à la force armée. Ce Droit international ne permet ainsi aux États d’avoir recours aux armes qu’en cas de légitime défense, c’est-à-dire lorsque l’État subit une agression militaire ou une menace imminente d’une telle agression et n’autorise pas du tout les États à intervenir militairement sur les territoires des autres. Le seul organe juridiquement compétent pour décider et engager la force armée contre un État est le Conseil de sécurité des Nations Unies qui adopterait une résolution en ce sens aux trois cinquièmes de ses membres sans veto de ses membres permanents. Dans les situations récentes de crimes de masse contre les populations civiles, les États concernés ont toujours été des membres permanents (politique chinoise contre les Ouïgours) ou bénéficié de leur appui (soutien russe à la Syrie). Notre système international ne permet pas aisément d’intervenir pour sauver des populations en danger, et n’établit aucune différence juridique en fonction de la nature génocidaire ou non de la politique dont ces populations sont victimes.
Qu’il soit de bonne foi ou non, le discours politique légitime la force en invoquant un crime d’une gravité particulière et souhaite ainsi fédérer autour de sa cause. Les propos de Vladimir Poutine alléguant du génocide en Ukraine contre les populations russophones pour justifier l’intervention militaire relève de ce processus. Outre l’évidence qu’il n’y a pas de génocide en Ukraine, ou que les groupes linguistiques ne comptent même pas au nombre de ceux protégés par la Convention sur le génocide, le discours ne sert, en réalité, qu’à habiller une politique belliciste d’expansion territoriale et, avec ces arguments populistes, à y associer une population nationale appelée à fournir des efforts de guerre.
Cette volonté de mobilisation peut aussi avoir des visées plus humanitaires. Ainsi le massacre de Srebrenica a été qualifié de génocide par le TPIY (affaire KRSTIC). Les moyens de droit utilisés par le TPIY aux fins de qualification de cet assassinat d’environ 8 000 hommes Bosniaques musulmans âgés de 16 à 60 ans ne sont absolument pas convaincants et l’ensemble de la doctrine juridique a critiqué la décision. Le Tribunal, qui devait encore s’imposer à la communauté internationale et confronté à une stratégie de fermeture de l’institution, a cru opportun d’invoquer un génocide, persuadé que, d’un point de vue politique, cette condamnation servirait les intérêts de la juridiction et de sa mission de condamnation des grands criminels ayant opéré sur le territoire de l’ex-Yougoslavie.
Le discours politique invoquant la notion de génocide de manière indue et à des fins stratégiques est bien entendu propre à enflammer les médias et les militants qui, sans toujours en avoir conscience, participent à leur niveau d’une instrumentalisation de la notion.
L’instrumentalisation du chef de génocide peut encore être juridictionnelle dans un processus dit de « forum shopping » qui consiste à saisir, de façon opportune, la juridiction de son choix sur le fondement d’un lien ténu de compétence et à obtenir ainsi la tribune désirée.
C’est en ce sens que l’Afrique du Sud a sollicité la compétence de la CIJ à l’encontre d’Israël.
Pour leurs différends, les États privilégient traditionnellement les modes non juridictionnels de règlement des différends, plus souples et plus respectueux de leur souveraineté. Mais d’un point de vue politique, l’Afrique du Sud ne cherche pas une solution sur le terrain ; elle désire une condamnation de l’État d’Israël.
La compétence de la CIJ est assez restreinte et, au surplus, conditionnée à l’accord des États concernés à porter le contentieux en question devant la juridiction. Or, certains traités à l’instar de la Convention sur le génocide, contiennent une clause attributive de compétence à la CIJ qui s’impose alors aux États ayant ratifié le traité en question. L’article IX de la Convention sur le génocide prévoit ainsi la compétence de la CIJ pour tout différend entre les États parties sur l’interprétation ou l’application de la Convention sur le génocide.
Il n’existe pas de telle clause attributive de compétence pour d’autres crimes comme les crimes de guerre ou les crimes contre l’humanité. Pour attraire Israël devant la juridiction et mobiliser une attention mondiale, l’Afrique du Sud n’avait d’autre choix que d’invoquer la Convention sur le génocide quand bien même il est évident que ce crime n’est pas commis en l’espèce. Il a suffi à l’Afrique du Sud d’invoquer un différend sur l’interprétation de la Convention.
Au premier stade, préliminaire, de la procédure, alors que la Cour ne se penche justement que sur la question de savoir si elle a compétence en fonction du texte invoqué, il ne s’agit pas de savoir si une violation de la Convention a eu lieu. Cette dernière question se posera lors de la phase au fond qui pourrait vraisemblablement s’étendre jusqu'en 2026/2027. Sur cette période, même si les différentes décisions préliminaires rendues par la CIJ n’ont jamais reproché un génocide à Israël, ni identifié un génocide, l’Afrique du Sud a obtenu son but de faire passer médiatiquement Israël comme un État associé à une réflexion sur le génocide.
L’Ukraine a fait le même calcul pour obtenir la mise en cause de la Russie devant la CIJ, arguant, entre autres, que si un génocide était allégué par la Russie pour intervenir militairement en Ukraine, cela impliquait l’existence d’un différend entre l’Ukraine et la Russie sur l’interprétation de la Convention. La mauvaise foi ressort ici tant des propos russes justifiant le conflit que dans leur utilisation par l’Ukraine pour obtenir la saisie de la Cour et espérer une condamnation au passage des actions militaires russes.
Il s’agit dans ces deux cas d’un détournement de l’esprit de la Convention sur le génocide afin d’obtenir une condamnation d’un État et une décision judiciaire ordonnant la fin du recours à la force armée quoi que ce dernier n’ait pas de rapport avec la Convention de prévention et de répression du crime de génocide. Le but est également de mobiliser, par la force d’un mot, l'opinion publique qu’on veut influencer.
À titre de conclusion, il est encore possible de constater que cette logomachie génocidaire confine à la logorrhée lorsqu’elle débouche sur des néologismes, à l’instar de celui de « génocide culturel » ou encore, plus récemment et associé à la situation à Gaza, de « risque de génocide », constitutifs d’autant de barbarismes juridiques.
Le génocide est une destruction de la vie biologique. Le « vandalisme », destruction de la culture, aussi répréhensible et dommageable soit-il, n’a jamais été élevé au même rang et n’a même pas été consacré en Droit international pénal. La disparition d’un lien culturel entre des individus, organisée par une politique criminelle, ne peut être assimilée à la destruction d’un groupe biologique par l’assassinat de ses membres.
Il est également significatif que ce soit ce terme de génocide qui soit ainsi repris pour dénoncer la perte d’une culture. La formule « crime contre l’humanité culturel », ne faisant pas plus sens, n’a pas eu le même succès.
L’actualité récente, notamment liée à la procédure Afrique du Sud contre Israël devant la CIJ nous a également confronté à un nouveau barbarisme juridique fort étonnant : le « risque de génocide ». Certains militants qualifient ainsi la situation à Gaza et justifient dans un étonnant mélange la condamnation d’Israël et celle du conflit armé. Pour le crime de génocide, dont l’élément essentiel demeure l’intention de détruire un groupe, cette formule devrait pourtant être vue comme un oxymore. En effet, si le génocide est caractérisé par l’intention de détruire un groupe, et ce quelle que soit la hauteur mortifère du résultat de la politique criminelle menée, le risque de génocide n’existe pas : soit la politique criminelle vise cette destruction et la qualification de génocide s’applique ; soit il n’existe pas une telle politique criminelle et il n’y a pas génocide. Évoquer un « risque de génocide » équivaut à devancer l’esprit criminel en supputant à l’avance qu’il sera un jour animé d’une telle intention de destruction. Le cinéma américain a produit plusieurs scénarios de cet acabit. Dans le film Minority report, la société du futur a éradiqué les crimes en se dotant d'un système de prévention constitués de trois voyants extras-lucides cachés qui transmettent les images des crimes à venir à Tom Cruise, policier de la « Précrime ». Le film veut s’inscrire dans le genre de la science-fiction à grand spectacle et trouve lui-même les limites à cette folie lorsque ce policier devient lui-même victime de ce système préventif et chargé de s’assassiner lui-même. La répression du génocide s’inscrit dans une autre logique que celle, théâtrale, de ce genre de fiction.
Yann Jurovics
Yann Jurovics est maître de conférences en Droit international public à l’université Paris Saclay. Ancien élève de l’ENS, il est docteur en droit. Ancien juriste auprès des Tribunaux Pénaux Internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda et réviseur juridique à la CIJ, il est aussi l’auteur d’une thèse sur le Crime contre l’humanité et de nombreux ouvrages et articles sur la justice internationale.
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