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Publié le 2 Mai 2024

L'entretien du Crif - Gérard Unger : « Depuis trente ans, le Crif a toujours su relever les défis et mobiliser les énergies »

Nommé vice-Président d’honneur du Crif lors du dernier comité directeur du Crif, Gérard Unger a bien connu et travaillé auprès de cinq Présidents du Crif successifs. Avec sa grande culture, son ouverture d’esprit et sa finesse d’analyses, il représente aussi la mémoire du Crif, les défis qui lui ont été successivement lancés et les combats que le Conseil représentatif des institutions juives de France ne cesse de mener, à la fois pour faire comprendre les spécificités de la communauté juive de France et pour mener avec constance les combats en défense des valeurs et principes de la République. Dans les circonstances dramatiques que nous connaissons pour l’État d’Israël et pour les Français juifs depuis le 7 octobre, il répond à nos questions.

Le Crif : Vous avez très bien connu et travaillé auprès de quatre Présidents du Crif successifs. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué au cours de cette longue et riche expérience ?

Gérard Unger : J’ai en fait bien connu cinq Présidents du Crif : le premier était Henri Hajdenberg, j’ai commencé au Crif en étant son conseiller en 1994, puis j’ai connu Roger Cukierman, Richard Prasquier, Francis Kalifat et Yonathan Arfi. Ils ont été très différents par leur tempérament, leur style personnel mais ils ont tous un grand dévouement pour le Crif, un militantisme chevillé au corps et chacun a dû faire face à des défis particuliers.
Pour Henri Hajdenberg, c’était le contexte des Accords d’Oslo et l’enjeu de la paix éventuelle avec l’OLP de Yasser Arafat. Pour Roger Cukierman, pendant la deuxième intifada, il s’agissait de l’apparition d’un antisémitisme non seulement « brun » mais aussi « vert et rouge ». Pour Richard Prasquier, il fallait faire face à l’assassinat d’Ilan Halimi, la montée en puissance de l’Iran qui voulait à tout prix – et veut toujours d’ailleurs – l’arme atomique. Pour Francis Kalifat, c’était la série d’assassinat de Juifs, Sarah Halimi, Mireille Knoll, et les controverses avec l’extrême droite et l’extrême gauche, qu’il a mené avec beaucoup de fermeté dans les deux cas. Et pour Yonathan Arfi, c’est surtout la tragique attaque terroriste du Hamas le 7 octobre en Israël et ses conséquences dans tous les domaines.
Chacun a dû réagir à des défis très importants, chacun a su mobiliser les énergies et trouver les parades qu’il fallait, même si cela n’a naturellement pas pu – et ne peut pas faire –disparaître tous les problèmes.

 

 

« La discussion est devenue impossible avec l’extrême gauche qui clame son ‘’antisionisme’’ et masque mal un antisémitisme certain »

 

 

Le Crif : Beaucoup de préoccupations traversent et même hantent la communauté juive de France – et beaucoup de Français non juifs, solidaires – mais quelle préoccupation domine le plus en votre esprit, et quel type d’actions doit le plus se développer selon vous à l’avenir ?

Gérard Unger : La préoccupation numéro un est la montée de l’antisémitisme, à laquelle il faut faire face. On a vu non seulement les actes et violences antisémites se multiplier gravement depuis le 7 octobre en quelques mois mais aussi un antisémitisme, exprimé ou non, se répandre dans la société ce qui fait que le dialogue s’est avéré difficile notamment avec une partie de la communauté musulmane, même si avec certains de ses membres on peut heureusement trouver des points d’échanges, ce qui est précieux. La discussion est devenue impossible avec l’extrême gauche qui clame son antisionisme et qui masque mal un antisémitisme réel. Quant à l’extrême droite, qui tente de se dédiaboliser, je pense qu’il ne faut pas être dupe de cette stratégie. Plusieurs de ses dirigeants ont un passé antisémite et l’idéologie de ce courant est toujours marqué par la xénophobie et un nationalisme agressif.
Pour nous qui avons subi de plein fouet le 7 octobre et ses conséquences, les relations apparaissent parfois difficiles aussi avec une partie de la population française non juive. Non pas qu’elle soit antisémite, elle ne l’est pas, et on peut constater qu’elle approuve majoritairement les opérations israéliennes de riposte aux attentats du Hamas. Mais pour cette population, l’antisémitisme n’est pas sa préoccupation quotidienne et il y a une sorte d’indifférence qui prend place, alors que pour nous, naturellement, c’est une situation que nous vivons intensément. Néanmoins, nous recevons aussi de nombreux messages de solidarité, notamment de l’Église catholique, ce qui nous touche profondément. Nous constatons parfois quand même un décalage de perception et de vécu des épreuves que nous traversons.

 

 

« Le sentiment qui domine est le désarroi et la tristesse. Malgré tout, notre combativité reste intacte, elle est même avivée par l’ampleur des menaces et des événements »

 

 

Le Crif : Un sentiment de peur est aussi apparu de manière accentuée au sein de la communauté juive ; comme « gérer » ce sentiment-là ?

Gérard Unger : C’est moins la peur qui, selon moi, domine aujourd’hui qu’un sentiment de solitude et de dépit devant certaines attitudes. La peur a été et est présente bien sûr, notamment chez des Juifs qui hésitent ou renoncent à porter la kippa dans la rue. Il y a aussi des intimidations, des insultes, qui ont eu lieu à partir de noms sur les boîtes aux lettres… Tout cela est inacceptable. Mais pour moi, le sentiment qui domine est le désarroi et la tristesse. Malgré tout, notre volonté combative reste intacte, elle est même avivée, mobilisée par l’ampleur des menaces et des événements.

Le Crif : En conséquence, quelles relations doivent selon vous davantage être développées entre le Crif, la communauté juive de France d’une part, les institutions et les acteurs de la société française d’autre part ?

Gérard Unger : Il faut sans doute expliquer, encore et toujours expliquer aux non Juifs ce que représente être Juif en France, ce que signifie notre indéfectible attachement à la République, faire comprendre en même temps notre spécificité. Il faut donc dialoguer avec l’ensemble de la société française. De ce point de vue, il y a eu beaucoup d’efforts qui ont été fait, par exemple du temps de la présidence de Roger Cukierman, pour renforcer les relations avec les syndicats. Yonathan Arfi a contribué récemment à renforcer les liens avec les milieux éducatifs et sportifs, qui sont des références importantes pour les plus jeunes notamment. Je pense qu’il faut aussi renforcer ces liens par exemple dans le milieu de la magistrature, où la spécificité de l’antisémitisme et ses modes de propagation ne sont pas toujours bien compris. Il faut le faire également auprès des Armées et du monde de la Sécurité.

 

 

Dans la société française, « des éléments peuvent être marqués par le racisme, la xénophobie et les préjugés, qui méritent de manière volontariste des déconstructions »

 

 

Le Crif : Dans les armées et la police aussi, un travail d’explication est devenu nécessaire ?

Gérard Unger : Dans ce secteur, comme dans l’ensemble de la population française mais il y a des éléments pouvant être marqués par le racisme, la xénophobie et les préjugés, tendances évidemment problématiques qui méritent, de manière volontariste, des déconstructions. Le problème ne touche pas, bien évidemment, l’ensemble de ces corps de la fonction publique mais je pense qu’il faut là aussi faire connaître ce que nous sommes, c’est-à-dire des Français comme les autres, attachés à la République et à la Laïcité, et en même temps des citoyens ayant une spécificité qui demande simplement à être comprise.
Il faut continuer aussi à développer des relations avec le monde de l’entreprise. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous allons lancer une troisième édition de rencontres et débats relatifs au fait religieux en entreprise, réunissant les dirigeants d’entreprises et les syndicats de salariés. C’est quelque chose qui touche la vie quotidienne de beaucoup de Français, qu’il faut donc à tout prix maintenir et développer. Nous avons ce projet pour la fin de l’année 2024 ou le début de l’année prochaine. Il s’agit là d’un champ d’actions important dans la mesure où on constate un certain développement du prosélytisme religieux qu’il ne faut pas surestimer mais qu’il ne faut pas non plus négliger. Les travaux et réflexions pouvant faire évoluer notamment les règlements intérieurs des entreprises mais aussi certaines décisions de la justice en ce domaine également.
Nous avons donc au Crif un vaste et utile domaine d’actions à continuer d’investir et à développer en relation avec certains secteurs de la société civile française. Toujours dans l’esprit qui nous guide, celui de la République, qu’il s’agit de renforcer dans ses valeurs et ses principes.

 

Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet

 

 

- Les opinions exprimées dans les entretiens n'engagent que leurs auteurs -