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Crif : Pouvez-vous nous parler de la communauté juive installée dans les Hauts de France : son histoire, sa composition actuelle, ses projets ?
Charles Sulman : La communauté juive des Hauts de France est née de la volonté des juifs d'Alsace-Lorraine de rester français après la défaite de 1970. C'est ainsi qu'a été créé il y a 150 ans, le consistoire régional qui regroupe le Nord, le Pas-de-Calais, la Somme et l'Aisne. La plupart de ces juifs s'installeront à Lille et ses environs.
En septembre 1919 une convention est signée entre les gouvernements français et polonais pour l'accueil de travailleurs immigrés polonais avec leurs familles. Ils devaient suppléer au manque de main-d'œuvre dans les mines de charbon du Pas-de-Calais et du Nord. Les juifs les ont suivis mais ils sont arrivés clandestinement sans aucun papier.
Nos parents avaient vécu avec eux. Ils parlaient le polonais et pouvaient commercer avec eux, malgré leur antisémitisme endémique. C'était pour la majorité des juifs pratiquants, ils parlaient le Yiddish. Sur les 991 membres de la communauté 528 ont disparu pendant la Shoah.
Après la guerre il a fallu se reconstruire. Une synagogue et un mikveh (bain rituel) ont été construits. On parlait le Yiddish mais nos parents avaient le souci de notre intégration dans la République à tous les niveaux et particulièrement à travers lécole de la République.
Les années ont passé, les jeunes sont partis vers Lille, vers Paris ou plus loin et notamment en Israël.
La communauté qui a été si vivante ne comporte plus que quelques familles. À la synagogue, dès l'entrée, on est interpellé par une grande plaque qui occupe tout un mur où sont inscrits les noms de nos disparus pendant la Shoah. Parmi elles, 10 personnes de ma famille. Grâce à son Président, Sylvain Boukobza et son épouse, quelques offices sont encore pratiqués notamment à Kippour. Nous avons un cimetière privé qui est bien entretenu par le président.
Ces 100 ans de présence à Lens, cette histoire si spécifique ne peut pas être définitivement effacée de nos mémoires. Nous souhaitons en collaboration étroite avec le mémorial de la shoah créer à côté de la synagogue un musée à ciel ouvert pour honorer la mémoire des victimes de la Shoah, rappeler la présence juive à Lens au cœur de la cité et son développement en phase avec la laïcité. Ce musée fera vivre les valeurs de la République notamment auprès des jeunes.
Crif : Le 11 septembre, Lens commémorera le 80ème anniversaire de la rafle au cours de laquelle plus de 500 juifs ont été déportés. Comment comptez-vous honorer la mémoire de cette petite communauté décimée ?
Charles Sulman : Le 11 septembre 1942, veille de Roch Hachana (le nouvel an juif) a eu lieu la rafle des juifs du Nord, du Pas-de-Calais et de la Belgique, zone sous commandement nazi à Bruxelles.
À Lens et dans les environs, les juifs furent rassemblés à la gare d'où ils sont partis pour Malines, le Drancy belge avant les camps de la mort. À l'invitation du maire de Lens, Sylvain Robert, en présence des autorité locales, du président du Crif National Yonathan Arfi, du Président du Consistoire Central Elie Korchia, du Président du Crif et du consistoire Régional Charles Sulman, du Président de la Communauté Juive de Lens, Sylvain Boukobza, est prévue, dimanche 11 septembre 2022, une cérémonie aux monuments aux morts devant la plaque à la mémoire de nos disparus. Nous nous rendrons ensuite à la gare où une plaque a été apposée sur un quai, puis terminerons à la synagogue.
Le 12 septembre au matin, un parcours de mémoire pour des collégiens est prévu. Il commencera à la Synagogue devant le mur des noms des victimes de la Shoah, et s'achèvera devant des maisons des familles disparues et sur le quai de la gare.
L'après-midi le film "Mathilde et Rosette" d'Alice Eckman sera projeté suivi d'une conférence-débat animée par l'historien Rudy Rigaut. C'est ouvert à tout public.
Crif : Lors des élections présidentielles, la candidate RN est arrivée en tête du second tour. Dans la région, 20 députés RN ont été élus en 2022 (contre 5 en 2017), 12 dans le Nord Pas-de-Calais et 8 en Picardie. Quelle analyse faites-vous de cette progression dans votre région ?
Charles Sulman : Le front National s'est tout d'abord installé à la mairie d'Hénin Beaumont alors qu'un des maires précédents a eu des problèmes judicaires graves. Cette mairie est devenue dès 2014 le fief du Front National.
Notre région était majoritairement socialiste avec des personnages emblématiques comme Pierre Mauroy et Daniel Percheron Président de région avant Xavier Bertrand.
Notre région dont certaines zones sont sinistrées ne se retrouvant plus dans la politique nationale a suivi la tendance générale. Non seulement le RN s’est largement implanté mais LFI à trois députés dans le nord, dont Lille et les socialistes sont laminés avec un député dans le Nord et un dans le Pas-de-Calais.