Lu dans la presse
|
Publié le 6 Décembre 2021

France - Welcome et bienvenue au "Cabaret de l’exil" de Bartabas

Un spectacle où l’on retrouve toute la magie du Théâtre équestre de Zingaro, portée par la musique klezmer et les pages d’Isaac Bashevis Singer.

Publié le 8 novembre 2021 dans Le Nouvel Obs

Des serveurs hallucinés nous servent toujours, en trébuchant, du vin chaud, mais il n’arrache plus la gueule. Le taulier, qui a perdu ses cheveux, ses énormes rouflaquettes et du poids, ne hurle plus en « skovatch », ne fait plus claquer sa chambrière, n’arrose plus la clientèle de postillons et de sciure, ne se réfugie plus, tel un garnement pris en faute, dans le giron rond de son frison. Bartabas le furieux est devenu voluptueux. Et le provocateur, un consolateur. Trente-sept ans après son premier « Cabaret » (deux autres allaient suivre), avec lequel il fonda le Théâtre équestre Zingaro, le centaure sexagénaire effectue un long galop arrière et remet au goût du jour, sur l’immuable piste circulaire, sa guinguette baroque d’autrefois.

S’il a remisé sa bravade, ses fausses menaces et colères feintes, il a ressorti les oies dédaigneuses, les mulets arrogants, les cloches vespérales, la vieille forge et son odeur de corne brûlée, les livrées de grooms busterkeatoniens, les grandes orgues et le corbillard à pinard. Le temps a passé, la magie demeure. Empreint de culture yiddish, porté par la musique klezmer des juifs ashkénazes, scandé par des pages d’Isaac Bashevis Singer, « Cabaret de l’exil » (Fort d’Aubervilliers, jusqu’au 31 décembre) célèbre une fête à la fois enjouée et mélancolique.

Principauté sécessionniste

Ici, les amazones volent dans le ciel de Chagall, des colombes de Picasso se promènent sur le dos d’un boulonnais, les voltigeurs voltigent, les rabbins piaffent, les traînes des mariées ont une amplitude de draps propres, Bartabas, sous une tête de corbeau, fait passager son cheval géant Tsar, de grandes bougies marcheuses dansent le quadrille, une maquette de shtetl brûle et une cavalière aux seins nus figure le Christ en croix.

Ce « Cabaret de l’exil », où le public, ému, retrouve la convivialité dont la pandémie de Covid l’a privé et le théâtre en bois, qui a résisté à toutes les tempêtes, rappelle les origines nomades, cosmopolites, féeriques de la troupe des Zingariens, installée depuis 1989 dans des roulottes vert et rouge, à l’écart de la grande ville. D’ailleurs, à la fin du spectacle, assis autour de tables rondes où ils ont bu le vin chaud, mangé les boudoirs et rêvé de voyages sans retour, les spectateurs peinent à quitter cette principauté sécessionniste et son seigneur des chevaux. En sortant, devant le feu de bois qui crépite dans la nuit d’Aubervilliers, on pense alors au titre d’un roman de Patrick Modiano : « Dans le café de la jeunesse perdue ».