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Publié le 14 Juin 2021

Actualités des Régions - Mémoire de la Shoah : Convention de partenariat signée entre l’académie d’Aix-Marseille et le Crif Marseille Provence

Bernard Beignier, recteur d’académies et Bruno Benjamin, président du Conseil Représentatif des institutions juives de France (Crif) Marseille-Provence, ont signé une convention de partenariat pour un devoir de mémoire, la deuxième du genre, un geste fort, unique en France.

Illustration : Signature d’une deuxième convention entre Bernard Beigner et Bruno Benjamin © Mireille Bianciotto

 

Entretien avec Bruno Benjamin, Président du Crif Marseille Provence (Publié le 14 juin dans Destimed)

Destimed : vous venez de signer une deuxième convention avec le Rectorat. Quel est l’objectif ?

Bruno Benjamin : Il s’agit de perpétuer, puisqu’il s’agit de la deuxième convention, un partenariat avec le Rectorat sur le devoir de mémoire. Nous avions signé une convention portant sur la mémoire de la Shoah entre le Crif Marseille Provence et l’Académie Aix-Marseille. Ce partenariat est étendu à la lutte contre l’antisémitisme, le racisme et les extrémismes de toutes natures. Nous avons en effet l’obligation, les uns les autres, de transmettre l’Histoire, de la rappeler aux différentes générations et, à ce titre, nous souhaitions, bien évidemment, signer un partenariat avec le Rectorat, l’administration de tutelle de l’Éducation nationale, qui permet de pénétrer, de diffuser, dans les établissements scolaires, de rappeler l’histoire pour que les choses ne se repassent plus telles que nous les avons connues.

On comprend bien que la signature du recteur va conforter des chefs d’établissement pour justement intervenir dans le cadre d’actions mémorielles mais quel sera votre rôle ?

Bruno Benjamin : Notre action s’inscrit dans le cadre de notre commission mémoire, histoire et vérité, comme l’a rappelé Gérald Attali (lire interview plus bas), c’est dans notre fonction de veiller à la diffusion du devoir de mémoire.

Lors de cette signature, vous avez salué la position, le soutien de Bernard Beignier, recteur de l’académie. Une telle convention est-elle unique en France ?

Bruno Benjamin : Cette convention est unique, effectivement. On espère qu’elles sera dupliquée. Mais, parfois, il y a une relation entre deux institutions et il y a, aussi la relation entre les hommes. Elle est plus sensible et elle nous permet d’aller au-delà de ce que l’on peut envisager. Grâce au recteur Beignier nous avons pu aller au-delà, puisque lui-même s’est engagé, en tant qu’homme, avec ses tripes, avec sa faculté intellectuelle pour nous aider à développer ce devoir de mémoire et la mémoire de ce devoir, donc nous sommes dans cette philosophie.

 

A son tour, Bernard Beignier, Recteur de la région académique Provence-Alpes-Côte d’Azur, Recteur de l’académie d’Aix-Marseille, Chancelier des universités le recteur revient sur le bien fondé de cette convention de partenariat. Entretien.

Destimed : Qu’est ce qui a motivé la signature de cette deuxième convention avec Bruno Benjamin, président du Crif ?

Bernard Beignier : Il y a le succès de la première convention que nous avions signée, il y a quelques années, (en 2017), d’une part et, d’autre part, parce que nous avons une parfaite conscience que c’est à l’Éducation d’enseigner, ce qui s’est passé dans l’histoire juive, en France : bien sûr, le drame de la déportation. Mais, on peut remonter plus loin, dans le passé. Et puis, expliquer à des jeunes, c’est l’acte éducatif, pourquoi l’antisémitisme, parmi les autres formes de racismes est quelque chose qui n’a strictement, strictement, aucune justification, aucune explication, et qui doit être absolument supprimé de l’esprit d’un jeune.

Nous y parvenons, je trouve, assez bien, alors que nous avons, comme adversaires les réseaux sociaux qui véhiculent, tous les jours, des tombereaux d’insanités ou de nouvelles falsifiées. Et, de pouvoir travailler dans les écoles, les collèges et les lycées de manière à vraiment traiter le mal à la racine, c’est-à-dire d’expliquer clairement à des jeunes, d’abord ce qui s’est passé, quelle a été la cause de tout cela. Il ne s’agit pas, voyez-vous, d’éprouver tout ce que nous éprouvons nécessairement, en voyant des souvenirs des camps de la mort, de la pitié, de la commisération, ce sont des émotions qui touchent notre cœur, mais il faut que nous apprenions comment tout cela a pu arriver, quelle est la case profonde, comment des hommes et des femmes ont pu prêter la main à des politiques criminelles et cela nécessite un travail vraiment éducatif, affiné, de longue durée. Nous travaillons parfaitement bien, avec le Crif, sur ce sujet-là.

Est-ce que au sein de l’académie, les incidents antisémites sont nombreux ?

Bernard Beignier : Non les actes, à l’intérieur des établissements qu’on peut qualifier d’antisémites ne sont pas nombreux, fort heureusement et je m’en réjouis et ils sont, quand il peut peut y en avoir, systématiquement signalés. D’ailleurs, c’est l’occasion de dire, dans une ville comme Marseille, le brassage de sa population, il y a au fond, un art de vivre marseillais, qui peut parfois porter à des heurts divers, mais porter aussi un grand respect de l’Autre. Et concrètement, nous avons moins de signalement dans cette ville que dans d’autres. Par exemple, je trouve qu’une ville comme Avignon recèle plus de problématiques de cette nature qu’une ville comme Marseille.

Apprend-on l’Histoire du conflit israélo-palestinien ?

Bernard Beignier : Oui, bien sûr, je le disais, lors de la signature, on peut toujours avoir un regard citoyen sur la politique de tel ou tel État. l’État d’Israël, comme un autre. Mais il faut bien prendre garde. Assez souvent, les critiques sur la politique suivie par tel ou tel gouvernement de l’État d’Israël peut, en fait, dissimuler de l’antisémitisme qui peut être plus dangereux qu’un autre, parce qu’en réalité, il est dissimulé. Il n’y a rien de pire que l’antisémitisme qu’on emballe dans de faux principes ou dans une liberté d’expression qui est falsifiée. Il faut être très attentif parce que l’antisémitisme brutal, en quelque sorte, on le reconnaît immédiatement et, généralement, il écœure ceux qui l’entendent mais, celui qui est dissimulé, dans d’autres questions, il faut y être très vigilant. Après le reste relève de la liberté d’opinion de tout un chacun.

Cette région et votre académie n’est-elle quand même pas aidée, par exemple, par la Fondation Camp des Milles. Par l’aide des Conseils départementaux et de la Région, des collectivités locales qui organisent des voyages de collégiens ou de lycéens pour des visites des camps de la mort. Sans oublier le Mémorial de la Déportation qui existe à Marseille ?

Bernard Beignier : Oui, grandement. D’abord, la Région, en temps ordinaire organise, chaque année, un voyage de plusieurs classes de lycéens, au Camp d’Auschwitz-Birkenau. Il m’a été donné de les accompagner, une année. Le Camp des Milles, vous l’avez cité, est une institution relativement unique dans notre pays parce qu’elle permet d’expliquer comment les choses ont pu se passer, ce qui a conduit à la Shoah et de mettre ce grand massacre du peuple juif, en liaison avec ce qui a précédé, le génocide Arménien et puis, hélas, ce qui a suivi, les massacres du Rwanda. Même si les trois ont des causes différentes, et avaient même des objectifs différents, si ce n’est, un point commun qui est de faire disparaître, totalement, d’un côté, les Arméniens, de l’autre côté, les Juifs et enfin une ethnie du Rwanda.

Et puis, vous l’avez dit, le Mémorial de Marseille, qui a été rouvert après des travaux de restauration. Mais il y a, dans notre pays d’autres endroits, d’autres académies qui bénéficient de mêmes structures et il est utile de les utiliser. Puis, nous avons les derniers témoins, maintenant très âgés qui, pour quelques années encore, peuvent aller dans les écoles. J’ai, souvent, l’habitude de dire que l’histoire commence véritablement quand tous les témoins sont morts parce que là, on entre dans quelque chose qui n’est plus qu’un travail d’archives et, en tout cas, un travail distancé. On n’a plus en face de soi un témoin qui a vécu les choses et, donc, qui transmet une émotion.

 

Gérald Attali, président de la commission mémoire, histoire et vérité du Crif Marseille Provence, ancien inspecteur d’académie, à la retraite depuis 2020, et ancien référent mémoire citoyenneté -il existe un inspecteur référent mémoire citoyenneté par académie, 30 au total en France- a assisté à cette signature de convention. Entretien.

Pouvez-vous citer quelques exemples d’actions menées par l’Éducation nationale en direction du devoir de mémoire ?

Gérald Attali : Chaque année, le ministère chargé de l’Éducation nationale invite la communauté éducative à engager une réflexion avec les élèves sur la Shoah et les génocides reconnus, en liaison avec les programmes scolaires. Mais parmi les actions qui, à mes yeux, comptent énormément et qui concernent à la fois les collèges et les lycées il y a le concours national de la résistance et de la déportation. C’est sans doute l’un des concours parmi les plus connus et les plus importants. Je rappelle qu’il a fait l’objet d’un film qui, en son temps, a eu un énorme succès qui s’appelle Les héritiers et qui rapporte, justement, l’engagement d’une classe dans la préparation du concours de la résistance et de la déportation. Ce sont des actions importantes, ce ne sont pas les seules parmi celles que je peux citer et qu’encourage énormément l’Éducation nationale. Il y a également les visites des lieux de mémoire. Une convention a été passée entre le Rectorat et le Camp des Milles.

Il y a d’autres mémoriaux, d’autres sites qui sont des lieux d’accueil, de sorties scolaires, de visites d’établissement qui donnent lieu à des actions pédagogiques d’importance. On cite beaucoup les visites à Auschwitz, il est certain que, quand on se rend sur un tel lieu, on est saisi. C’est un lieu qui est porteur de beaucoup d’émotions. Cependant l’émotion ne naît que parce que l’on sait. A ce titre, le travail qui est réalisé par les professeurs pour préparer la visite, par exemple, d’Auschwitz, est fondamental. On évoque, souvent, Auschwitz 1, le lieu où sont conservés, par exemple, les montagnes de chaussures, les montagnes de cheveux, c’est vrai qu’elles suscitent d’emblée l’émotion, des questions. Mais, il y a Birkenau aussi, un espace immense, quasiment vide, où, les espaces de mise à mort ont disparu, ont été détruits par les nazis, eux-mêmes. Il y a peu à voir et, pourtant, cela peut susciter tant d’émotion, à la condition, toutefois qu’il y ait du savoir qui permette de comprendre et de nourrir cette émotion. Sans un travail historique la mémoire a du mal à se déployer. Surtout, elle peut conduire à certains dévoiements. C’est pour cela qu’il est important d’abord, et, avant tout, de comprendre et de savoir.

Vous avez souligné l’importance d’apprendre, de comprendre, mais est-ce qu’il n’est pas nécessaire de susciter des questions ?

Gérald Attali : C’est fondamental de susciter des questions et je dois vous dire qu’on évoque souvent l’attitude des plus jeunes en pensant que, finalement, ils se sentent peu concernés. Si je prends l’exemple le plus significatif, celui des lieux de mémoire, impossible, dans un tel lieu de ne pas poser de questions et, généralement, la réflexion naît de ces questionnements-là.

Vous avez évoqué la journée du 27 janvier, quelle est sa signification ?

Gérald Attali : Le 27 janvier commémore ce qu’on appelle un peu vite, quelquefois, la libération du Camp d’Auschwitz et que l’historien appelle, plutôt la découverte, puisque l’Armée rouge a découvert, par hasard, le Camp d’Auschwitz, le 27 janvier 1945, et c’est cette découverte du Camp d’Auschwitz que, chaque année, l’Éducation nationale et l’académie d’Aix-Marseille commémorent.

Dernière question, vous avez évoqué le calendrier de l’académie, est-ce qu’il y a quelque chose qui concerne la guerre d’Algérie ?

Gérald Attali : Je ne peux qu’insister sur l’importance de ce qui est fait, dans l’académie, dans ce domaine, puisque j’ai été porteur du dossier, Mémoires et citoyenneté, pendant des années. Je peux vous dire qu’on a fait ce travail qui consiste, d’abord à nouer des liens privilégiés avec l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG). Il y a un historien qui est spécialiste de ces questions, c’est Abderahmen Moumem, (chercheur associé au TELEMMe d’Aix Marseille Université) et nous avons mis sur pied d’abord des rencontres avec les témoins de la guerre d’Algérie, dans les établissements. En 2019 et en 2020, avant le confinement, il y a des classes, sur toute l’académie, qui ont organisé de telles rencontres. Je précise que c’est 2 heures de rencontre et d’échange avec les témoins, ils sont représentatifs d’une mémoire classique de la guerre d’Algérie, c’est-à-dire que vous avez un représentant de l’armée, traditionnellement, il y a des Harkis, des Pieds-noirs, également, naturellement, du FLN, donc d’une certaine façon, des anciens combattants de la cause algérienne. Et puis parfois, des juifs d’Algérie qui étaient partie prenante d’une telle rencontre. C’est une opération qui est suffisamment importante pour que, l’Académie d’Aix-Marseille, là encore, avec sa convention avec l’ONACVG ait servi de modèle à d’autres académies.

 

Signature d’une convention entre l’académie d’Aix-Marseille et le CRIF Marseille Provence

L’académie d’Aix-Marseille et le Crif Marseille-Provence se sont rapprochés afin de poursuivre et d’élargir un partenariat déjà initié par une convention signée en 2017.

Cette convention vise plusieurs objectifs :

  • Jouer ensemble un rôle essentiel et complémentaire dans la transmission de la mémoire auprès des enfants et des jeunes ;
  • Développer des actions éducatives prenant appui sur le calendrier mémoriel de l’Éducation nationale, en complément de l’enseignement d’histoire-géographie et de l’enseignement moral et civique ;
  • Promouvoir des actions communes sur la base d’informations partagées et diffusées par les canaux spécifiques de l’académie ;
  • Apporter une aide aux écoles et aux établissements pour la mise en œuvre de rencontres interculturelles, en présence ou à distance, avec des élèves.

 

Propos recueillis par Mireille BIANCIOTTO