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Découvrir L'Étude du Crif n°63 en intégralité
La loi au dessus de la foi ?*
Par Jacques Amar
Quelle époque ! Nous vivons décidément des temps pour le moins déroutants. Avec, en toile de fond, un maître mot, une expression incontournable : « Pas de vagues ». Dès lors, les accommodements, les arrangements, les dérogations et autres concessions se multiplient. Dans tous les domaines de la vie courante. Le communautarisme est en passe de connaître ses heures de gloire et de félicité.
Docteur en droit privé, docteur en sociologie, maître de conférences à l’université Paris-Dauphine, Jacques Amar étudie avec finesse l’impact de la nouvelle orientation de notre société dans le domaine du droit. Le nouveau numéro de la revue des Études du Crif que dirige Marc Knobel, apporte un éclairage sur un sujet peu traité : l’incidence de la foi sur l’application de la loi, en France, en raison notamment de l’influence du droit communautaire et des droits de l’homme.
La foi, les fois. L’auteur ne manque pas de citer de nombreux exemples où le judaïsme, le christianisme et bien évidemment l’islam sont impliqués. Ce n’est pas sans raisons que l’on a parlé récemment en France de séparatisme mais les causes du séparatisme avancées par l’auteur – liberté contractuelle et droits de l’homme – sont peut-être plus profondes.
D’entrée de jeu, Jacques Amar pose le problème : « Quelle place la République indivisible et laïque accorde-t-elle aux droits religieux ? ».
C’est qu’à la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 s’ajoutent à présent celle de 1948 ainsi que la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme. Au fil des ans, les tenants d’un communautarisme pur et dur, ont réussi à traverser les textes pour les détourner à leur profit, multipliant les exceptions et les cas d’espèces. En 2019, le Conseil de l’Europe s’inquiète que « la Charia s’applique officiellement ou officieusement dans plusieurs États membres du Conseil de l’Europe, sur l’ensemble ou une partie de leur territoire ».
Chacun connaît les dérogations au principe de laïcité en vigueur en Alsace-Lorraine. Mais sait-on que le législateur doit tenir compte des spécificités locales présentes dans certains départements d’outre-mer ? C’est ainsi, par exemple, qu’à Mayotte, ce n’est qu’en 2003 que la polygamie et la répudiation ont été interdites ! Cela n’empêche pas le conseil général départemental de souhaiter renforcer le rôle des cadis.
Jacques Amar donne de nombreux exemples de cas tranchés par les juridictions internes ou internationales lors de conflits opposant la loi religieuse à la loi civile du pays pour montrer comment la loi religieuse peut s’appliquer à une situation.
Un volet très intéressant est celui concernant les pratiques financières et fiscales. La « finance islamique » basée sur l’interdiction de la pratique de l’intérêt, s’infiltre partout, imposant, autant que faire se peut, les concepts de « murabaha », d’« ijara » et de « sukuk ». « On pourrait multiplier les exemples de dérogations visant à faciliter le développement de la finance islamique » nous dit Jacques Amar. En conséquence, « la finance islamique s’intègre donc dans le droit français ».
Finances, mariages et divorces, droits de succession, partout, en France, la foi cherche avec opiniâtreté à contourner la loi et trouve dans le droit émanant de l’union européenne le moyen de se substituer à la loi civile.
Si l’exposé de Jacques Amar est très technique, il donne à réfléchir sur un avenir inquiétant. Une étude très intéressante. Un excellent choix de thème de réflexion.
Jean-Pierre Allali
(*) Les Études du CRIF n°63. Avril-Mai 2021. 60 pages. 10 €.