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Publié le 24 avril dans Le Figaro
Face à une menace de plus en plus difficile à détecter, le ministère de l'Intérieur muscle la riposte en dégainant un projet de loi qui entend durcir encore la surveillance des radicalisés et des sortants de prison, tout en prenant en compte les nouvelles méthodes des terroristes ainsi que les profils « psychiatriques » susceptibles de basculer dans l'action violente.
Ce texte à spectre large, concocté depuis plusieurs mois en coulisses, sera présenté ce mercredi en Conseil des ministres. Soit, cruelle coïncidence d'un calendrier calé de longue date, cinq jours après l'attentat qui a coûté la vie à Stéphanie Montfermé, agent administratif du secrétariat au commissariat de Rambouillet. Un document dont Le Figaro dévoile le détail en exclusivité.
Prévenir les actes
Composé de 19 articles, dont douze principaux, le texte vise d'abord à pérenniser, voire renforcer, plusieurs mesures inspirées de l'état d'urgence. Cherchant à prévenir les actes de terrorisme, ces dernières arrivent à échéance le 31 juillet prochain. Il s'agit d'abord de graver dans le marbre les « visites domiciliaires », un dispositif de perquisitions administratives qui a montré toute sa pertinence. Selon nos informations, les policiers en ont réalisé pas mois de 293 depuis l'attentat qui a coûté la vie à l'enseignant Samuel Paty, en octobre dernier.
Si l'idée de convoquer un nouveau critère de « menace grave » pour en justifier la mise en œuvre a été abandonnée, le projet de loi devrait enfin permettre de saisir les supports informatiques, ordinateurs et disques durs, quand le suspect y fait obstacle. Idem pour les copies. Par ailleurs, les mesures individuelles de contrôles administratifs et de surveillance (Micas), outils d'assignation à résidence très appréciés des services de renseignement, vont être enrichies d'un nouveau dispositif d'interdiction de paraître dans un lieu ou un périmètre particulier, exposé à un « risque de menace ».
Taillée sur mesure pour garantir la protection des grands événements à venir, elle prévoit de tenir des individus fichés à l'écart de l'Euro de football ou encore des sites des Jeux olympiques de 2024. Prévenus au plus tard 48 heures à l'avance, ils seront interdits dans la limite d'une durée de trente jours.
Nids à djihadistes
Sur le front des mosquées radicales, Beauvau ne relâche pas la pression. Un dernier bilan que révèle Le Figaro fait état de huit fermetures pour « haine » et « apologie » dans le cadre de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terroriste du 30 octobre 2017. Autrement dit, huit nids à djihadistes neutralisés, sachant que 70 lieux de culte sont aujourd'hui surveillés comme le lait sur le feu.
Pour éviter que l'islamisme ne repousse en germe, le nouveau texte propose de fermer tous les locaux dépendant de tous les lieux de culte frappés d'une mesure administrative. « Comme dans les trafics de stupéfiants, la tentation est forte chez certains de trouver un moyen de rouvrir juste à côté pour faire échec à la fermeture », glisse une source informée. Soucieux d'accentuer le suivi des islamistes sortant de prison, dont les profils de plus en plus lourds préoccupent les services, Beauvau prévoit aussi de prolonger - par dérogation et jusqu'à deux ans - les mesures de surveillance des condamnés pour terrorisme à cinq ans d'emprison-nement, ou à trois ans en récidive légale. Jusqu'ici, cette population à haut risque devait pointer au commissariat ou en brigade pour une période limitée à un an après leur libération, un délai trop court pour assurer un bon travail en renseignement.
Enfin, toujours au chapitre de la prévention des actes terroristes, le suivi des profils « psychiatriques » est aussi appelé à être accentué. « Jusqu'ici, seul le préfet du lieu d'hospitalisation avait connaissance d'une admission en soins psychiatriques d'une personne radicalisée, indique-t-on Place Beauvau. Avec le projet de loi, le préfet du département, où sera assuré le suivi de l'intéressé, sera lui aussi destinataire de ces informations de santé ». En clair, le dossier médical suivra en permanence l'individu radicalisé, où qu'il se trouve.
"Nous sommes face à une menace protéiforme." Le ministère de l'Intérieur
Les services pourraient exploiter, sous conditions, des renseignements collectés à des fins différentes de celles qui en ont justifié le recueil. Si 36 attaques ont été déjouées depuis 2017, 14 attentats se sont soldés par 25 morts et 83 blessés dans la même période. Sur le plan technologique, la durée de conservation des données informatiques devrait passer de 30 à 60 jours, afin de laisser aux experts le temps de casser les codes des messages cryptés, de plus en plus récalcitrants. Cette urgence avait été soulevée après la tragédie de l'assassinat de Samuel Paty, le meurtrier ayant communiqué via Instagram avant de commettre l'indicible. Le texte autorise, pour la première fois, à procéder, de manière expérimentale, à l'interception de conversations satellitaires. « Même si les récentes attaques ont mis en scène des acteurs isolés usant de moyens rudimentaires, nous sommes face à une menace protéiforme, rappelle la Place Beauvau. Il ne serait pas concevable que l'on oublie la dimension spatiale dans un texte du XXIe siècle. »
Intelligence artificielle
Soucieux de travailler dans la profondeur, les architectes du projet de loi suggèrent aussi de conserver, pour une durée de cinq ans, les données de connexion et autres « attitudes numériques » captées lors de surveillances techniques aux seules fins de recherches et de développement. « Totalement anonymisées et traitées par des agents exclusivement affectés à cette tâche, ces datas seraient soumises au contrôle strict de la Commission nationale des techniques de renseignement (CNCTR), précise une source informée. L'objectif est d'avoir un stock important de matière pour créer, via l'intelligence artificielle, de nouveaux logiciels et d'améliorer certains outils mis à disposition des services. »
Les opérateurs de communications électroniques devraient élargir le périmètre de leurs obligations afin de mettre en œuvre des techniques de détection à distance. Si le projet de loi va offrir le cadre législatif permettant le brouillage de drones malveillants au-dessus de « zones interdites » - telles que des sommets internationaux ou des convois de matières dangereuses -, le gouvernement, qui doit attendre l'avis du Conseil d'État, devrait ensuite proposer la pérennisation des algorithmes. Pour l'heure, trois de ces « boîtes noires » ont été déployées dans le cadre de la lutte antiterroriste, à titre expérimental et jusqu'au 31 décembre.