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Publié le 8 février dans Geo
Les historiens accusés sont les co-auteurs d'un ouvrage intitulé Plus loin, c'est encore la nuit, qui fait état de nombreux cas de complicité de Polonais dans le génocide juif pendant la Seconde Guerre mondiale. Le procès s'est tenu dans un climat de défiance, encore renforcée depuis l'arrivée au pouvoir en Pologne d'une droite nationaliste soupçonnée de vouloir réécrire l'histoire du pays et décourager les enquêtes sur les agissements polonais sous l'occupation allemande.
Le Mémorial de la Shoah de Jérusalem a vivement condamné dans un communiqué les poursuites judiciaires engagées contre les professeurs Barbara Engelking, présidente du Conseil international d'Auschwitz, et Jan Grabowski de l'Université d'Ottawa. Pour Yad Vashem, "ce procès constitue une attaque grave contre une recherche libre et ouverte", et "contre les efforts visant à obtenir une image complète et équilibrée de l'histoire de l'Holocauste". Un avis partagé par nombre d'organisations juives et de chercheurs des deux côtés de l'Atlantique.
Le procès a été intenté par la nièce d'Edward Malinowski, qui fut maire du village de Malinowo (nord-est) pendant l'occupation allemande, et dont l'implication présumée dans un massacre de juifs est brièvement évoquée dans l'ouvrage des deux historiens. Or, selon la plaignante octogénaire, Filomena Leszczynska, soutenue par une "Ligue anti-diffamation" qui veut défendre la "réputation de la Pologne", ainsi que par des médias conservateurs, son oncle aurait eu un comportement inverse.
Mme Leszczynska reproche aux chercheurs des "négligences" et des "erreurs de méthodologie" qui les auraient conduits à salir la mémoire de son oncle. Pour Maciej Swirski, président de la Ligue antidiffamation interrogé par l'AFP, les travaux des deux historiens offensent "tout Polonais". "Les recherches scientifiques doivent être conduites avec probité", assène-t-il, avant de dénoncer "les tentatives d'établir un consensus scientifique sur la coresponsabilité polonaise pour l'Holocauste". La nièce de l'ancien maire de Malinowo exige des chercheurs 100.000 zlotys (22.000 euros) de dommages et intérêts et la publication d'excuses dans la presse.
Pour l'une des accusés, la professeure Barbara Engelking, "l'objectif de ce genre de procès est de remettre en cause la crédibilité et la compétence des personnes accusées, de leur infliger des frais (...), et de provoquer un effet dissuasif, en l'occurrence décourager d'autres chercheurs à chercher à connaître et à écrire la vérité sur l'Holocauste en Pologne". "C'est un grand danger pour la liberté d'expression", insiste l'historienne dans un texte publié sur le site du Centre de recherche sur l'extermination des Juifs, dépendant de l'Académie polonaise des sciences qui a édité le livre incriminé.
En 2018, la majorité conservatrice en Pologne avait adopté une loi prévoyant des peines de trois ans de prison pour ceux qui attribueraient "la responsabilité ou la coresponsabilité de la nation ou de l'Etat polonais pour les crimes commis par le Troisième Reich allemand". Face au tollé international, Varsovie a, depuis, supprimé les sanctions pénales prévues dans le texte initial.
Un an plus tard, la justice polonaise avait classé sans suite son enquête sur une possible offense à la nation imputée à l'historien américain Jan Tomasz Gross, qui avait accusé les Polonais d'avoir "tué plus de Juifs que d'Allemands" pendant la Seconde guerre mondiale.
Six millions de Polonais, dont trois millions de Juifs ont péri entre 1939 et 1945, sous l'occupation allemande. L'attitude des Polonais face à leurs voisins juifs était loin d'être homogène, dans ce pays où offrir aux Juifs même un verre d'eau était passible de la peine de mort. Si, d'un côté, de nombreux cas d'indifférence, parfois de cruauté, à l'égard de juifs ont été décrits par les historiens, la Pologne compte aussi le plus grand nombre de "Justes parmi les Nations" de tous les pays, soit plus de 7.000 personnes honorées par Yad Vashem pour avoir sauvé des juifs pendant la guerre.