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Publié le 30 Novembre 2020

Crif - Commémoration de l’exil des Juifs des pays arabes : Le cas algérien, par Didier Nébot

Le 29 novembre 1947, l’Assemblée Générale des nations unies vota la Résolution 181 et adopta un plan de partage des terres du Mandat britannique. Pour ceux qui depuis des temps immémoriaux disaient dans leurs prières les plus ardentes "L’an prochain à Jérusalem", cette phrase mythique, ce rêve fou devenait soudain une réalité.

Dans la peine, la souffrance et la joie ce nouvel état « juif » se constitua, et prit le nom d’Israël. Nié dans son existence même, il fut combattu par tous ses voisins arabes qui n’acceptaient pas cet intrus dans ce qu’ils estimaient être « leur » terre, malgré la résolution de l’ONU.

En représailles, plus de 850 000 Juifs des pays arabes et de l'Iran durent alors prendre le chemin de l’exil. Spoliés, discriminés, expulsés, ils quittèrent ces terres où ils vivaient, plus ou moins bien, depuis des siècles. 600 000 d’entre eux trouvèrent refuge en Israël et 300 000 environ en Europe de l’Ouest, notamment en France et en Amérique du Nord.

L’histoire de la destruction de ces communautés juives en terres d’Islam n’intéressa que peu de monde et elle n’a pratiquement jamais été étudiée. En leur mémoire, le Parlement israélien décréta à partir de 2014 que le 30 novembre serait la « Journée annuelle de commémoration de l’exil des réfugiés juifs du monde arabe et de l’Iran ». Il s’agit des juifs provenant notamment d’Algérie, d’Irak, du Liban, de Libye, du Maroc, de Syrie, de Tunisie, du Yémen…

Ce jour commémoratif rend compte de la tragédie de ces populations qui ont été forcées de fuir leurs maisons et de quitter les pays où ils vivaient, pour certains d’entre eux, depuis des temps immémoriaux, uniquement à cause de leur identité juive.

En cette émouvante journée du souvenir, les juifs originaires d’Algérie sont considérés comme eux aussi expulsés des pays arabes. Je crois qu’il est bon de préciser que ce n’est pas tout à fait le cas, même si nous nous devons d’être solidaires de tous nos frères exilés des pays arabes.

Les juifs d’Algérie sont un cas à part, qui n’a pas été bien compris par un certain nombre de juifs vivant en Israël.

En 1830, en vertu de la politique de colonisation que pratiquaient la plupart des états européens de l’époque, l’Algérie est devenue une conquête française. Les juifs qui avaient eu jusque là le statut de dhimmi, comme la plupart de leurs autres frères vivant dans les pays arabes, furent subitement délivrés. Ils avancèrent timidement d’abord vers la liberté jusqu’en 1870 où, grâce au décret Crémieux, ils devinrent français. Soucieux de sortir le plus vite possible de l’obscurantisme dans lequel ils avaient vécu durant des siècles, ils s’adaptèrent immédiatement à la patrie des droits de l’Homme.

Lorsque l’Algérie, alors département français, devint indépendante en 1962, la grande majorité des juifs de cette région choisit la France, à la différence des autres, tel les juifs marocains, qui  partirent, pour le plus grand nombre d’entre eux, en Israël, aux Etats-Unis ou au Canada.

Il y eut durant longtemps une grande perplexité de la part de ceux qui ne comprenaient pas pourquoi les juifs algériens n’étaient pas revenus en nombre sur la terre promise, préférant encore un nouvel exil, à savoir la France, plutôt qu’Israël.

D’ailleurs sous l’instigation du directeur de l’agence juive de l’époque, il y eut même en 1963, au Beit Ha’omanim de Jérusalem une sorte de controverse envers la communauté juive d’Algérie, l’accusant de ne pas avoir immigré en masse en Israël après l’indépendance de l’Algérie en 1962, controverse à la façon, toute comparaison gardée, de la disputation de Barcelone de 1263, donc très exactement 7 siècles plus tôt. Le Président de ce « tribunal fictif» était le professeur Shalev Guenossor du département de droit de l’université hébraïque de Jérusalem.

Effectivement, dans le contexte de l’époque, sans nier leur attachement à la Terre d’Israël, les juifs d’Algérie se sentaient profondément français. En deux générations la France leur avait permis de sortir de l’obscurantisme et ils étaient devenus des occidentaux, comme les juifs américains qui vivent en Amérique.

Ils raisonnaient en français, vivaient en français et partageaient les aspirations de la société française, sans rejeter, encore une fois, leur attachement à Israël. Ainsi quand l’Algérie revint aux Algériens, ils partirent tout naturellement en France. Ils ne venaient pas d’un pays arabe, comme l’imaginaient peut-être un certain nombre d’israéliens de l’époque, mais d’une terre française qui leur avait donné beaucoup.

Non, les juifs d’Algérie ne sont pas des exilés des pays arabes mais des « rapatriés » d’Algérie vers la France. Certes, ils préférèrent le confort et la sécurité que leur offrait la France, au lieu de venir défendre, protéger et développer le nouvel état d’Israël, comme le leur reprochèrent un certain nombre de commentateurs, lors de cette controverse de 1963. Peut-on leur jeter la pierre d’avoir choisi, à l’époque, la sécurité ! Peut-on aussi jeter la pierre aux juifs américains de préférer la quiétude de leur vie à New York ou los Angeles plutôt que les plages de Tel Aviv ou le désert de Mitzpe Ramon.

Cette controverse publique de 1963, simple incompréhension des israéliens de l’époque et dont pratiquement plus personne ne se souvient aujourd’hui, n’est plus qu’un mauvais souvenir. Tout ça est maintenant dépassé. La guerre des 6 jours de 1967 fut un déclic pour les juifs originaires d’Algérie mais vivant en France et nombreux furent ceux qui firent leur alyah. Ils apportèrent leur foi, leur force et leur énergie à leur nouvelle patrie, contribuant par l’apport de leur culture au bon développement d’Israël.

Aujourd’hui il y a près de 50 000 juifs français, originaires d’Algérie en terre promise, ce qui représente 25% de la communauté juive originaire d’Algérie et ils sont très bien intégrés. Pour autant, ils ne peuvent pas être vraiment considérés comme exilés des pays arabes, sauf à nier la présence française en Algérie durant 130 ans et les bienfaits du Décret Crémieux pour les juifs d’Algérie.

 

Didier Nébot, Spécialiste de l’histoire des Juifs d’Algérie et Président d’honneur de MORIAL