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Publié le 19 novembre dans Le Monde
Cinq mois après l’échec de la loi Avia sur la haine en ligne, sèchement retoquée par le Conseil constitutionnel, le garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti, a soumis mercredi 18 novembre au Conseil d’Etat une nouvelle proposition destinée à réprimer plus efficacement ce fléau. Ce texte a été élaboré à l’issue d’une trentaine de rencontres menées par le ministre de la justice notamment avec des magistrats, avocats, journalistes ou policiers à la demande du président de la République après l’assassinat de Samuel Paty, le 16 octobre.
L’idée est de pouvoir réprimer plus rapidement la diffusion dans l’espace public, notamment sur les réseaux sociaux, de messages de haine. Les auteurs des faits les plus graves devraient ainsi pouvoir être renvoyés en comparution immédiate devant un tribunal correctionnel.
Avec cette proposition, M. Dupond-Moretti cherche à éviter deux écueils dans ce domaine ultrasensible qui touche à la liberté d’expression. Laisser à des entreprises privées (les opérateurs de plate-forme) le pouvoir de décider quels sont les contenus licites ou non, ce qui était le risque de la loi Avia. Toucher à la loi de 1881 sur la liberté de la presse pour en sortir les infractions d’incitation à la haine, au racisme ou à l’antisémitisme, comme le recommandent Catherine Champrenault, procureure générale de Paris, ou certaines associations telle la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), risquait de déstabiliser un édifice protecteur de droits fondamentaux.
« Le garde des sceaux a souhaité préserver l’intégrité du travail des journalistes », explique-t-on Place Vendôme. Officiellement donc, on ne touche pas à la loi de 1881 et à son article 24 qui vise notamment à réprimer les personnes qui auront « provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».
Techniquement, c’est par un ajout au code de procédure pénale, que les infractions listées à l’article 24 pourront faire l’objet d’une procédure de comparution immédiate sauf lorsque l’auteur dépend hiérarchiquement d’un « directeur de publication ». Autrement dit, les médias papiers ou en lignes, audiovisuels ou sur les réseaux sociaux, gratuits ou payants continuent de relever de la procédure pénale prévue par la loi de 1881.
L’objectif est de couper court au sentiment d’impunité que certains diffuseurs de haine peuvent avoir en raison des délais de procédure. Actuellement, les personnes poursuivies pour ce type de délit devant la 17e chambre correctionnelle de Paris sont convoquées pour des audiences fin 2021 ou début 2022. « Il s’agira, pour les faits plus graves, de recourir à la comparution immédiate pour mettre un coup d’arrêt sans pour autant alourdir les peines encourues », explique-t-on à la chancellerie. La peine maximale est d’un an de prison et 45 000 euros d’amende. Selon le ministère de la justice, 145 procédures ont été poursuivies devant les tribunaux correctionnels en 2019 pour des délits de l’article 24 de la loi de 1881.
Si le texte soumis au Conseil d’Etat dans le cadre d’une saisine rectificative obtient son aval, il sera intégré au projet de loi « confortant les principes républicains ». Parallèlement, le ministère de la justicie annonce que le parquet de Paris verra ses moyens renforcés début 2021 pour constituer une équipe spécialisée sur ces infractions en ligne, en relation avec la plate-forme de signalement Pharos.