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Publié le 27 août dans France Inter
Si la discrétion devait s’incarner, sans doute choisirait-elle la silhouette longiligne de Mustapha Ourrad. Une voix douce, posée. Une grande timidité. La pudeur qui l’accompagne. Voilà, unanimement, l’impression qu'il laissait.
Et puis, il y avait les chanceux. Ceux qui ont connu un peu plus de cet érudit vêtu de noir. Et auxquels il a parfois raconté, sans toutefois jamais complètement se dévoiler, une enfance à la dure dans le village montagnard d’Aït Larbaa, en Kabylie où il est né en 1954. Orphelin très jeune, élevé par un oncle. Puis accueilli par la communauté des Pères Blancs qui a installé une école près de son village, et le nomme responsable de la bibliothèque. Il y découvre la langue française et la littérature en général. C’est le coup de foudre. Rimbaud, Nietzsche, Dostoïevski. L’écrivain égyptien Albert Cossery devient l’un de ses favoris. Mendiants et orgueilleux, son livre de chevet. Baudelaire, aussi. Baudelaire, surtout. Très vite, il en récite des poèmes entiers. Et écope alors de son surnom : Mustapha Baudelaire.
La littérature le passionne, mais c’est la médecine que Mustapha Ourrad va tout d’abord étudier. Deux ans durant, à Alger, qu’il a rejoint pour l’occasion. Là, dans les cafés qu’il affectionne, il prête sa plume à ceux qui lui demandent. “Il écrivait très bien et tout le monde savait qu’on pouvait compter sur lui pour écrire”, raconte aujourd’hui sa fille aînée, Louisa. C’est alors que l’envie devient pressante : celle de rejoindre la terre de ces auteurs français qu’il admire. Cap sur Paris et son Quartier latin. Nous sommes en 1980.
Ses débuts dans l’Hexagone sont difficiles. Mustapha Ourrad peine à obtenir sa carte de séjour. Il “arpentait les pavés de Paris. Il s’arrêtait ça et là, pour un café ou dans une librairie. Dans sa poche, des poèmes griffonnés sur un ticket de caisse côtoyaient un paquet de gitanes”, écrivent ses enfants dans Charlie Hebdo cinq ans après sa mort. Mustapha Ourrad s’installe dans les cafés, rue Mademoiselle, continue à jouer les écrivains publics. S’inscrit à la Sorbonne, alterne entre petits boulots et cursus universitaires : sciences humaines, ethnologie, etc.
Ce n’est qu’en 1992 qu’il trouve ce qui lui convient vraiment : le métier de correcteur. “Incollable sur la grammaire et l’orthographe”, se souvient Riss dans son livre Une minute quarante-neuf secondes (Actes Sud), il débute chez Hachette - correction d’encyclopédies, de fascicules - avant de rejoindre Viva, magazine de santé et vie quotidienne, et Charlie Hebdo où il se rendait d’ordinaire le lundi, jour de bouclage. “_Il avait été lecteur d’Hara Kiri, il connaissait les travaux de Cabu, Cavanna, il aimait beaucoup l’ambiance et était très content de travailler là-bas_”, raconte sa fille Louisa. “Je n’ai jamais connu un correcteur avec autant de délicatesse et de subtilité dans son approche de la langue. C’était un tel défenseur de la langue française”, se souvient Richard Malka, avocat de l’hebdomadaire.
Chez Charlie Hebdo, il traque fautes d’orthographes, contresens et erreurs de ponctuation. “C’est lui qui m’a appris où placer une virgule dans une phrase” poursuit sa fille. “Chaque fois qu’il découvrait un mot inconnu de lui, il semblait aussi heureux qu’un chercheur d’or qui vient de repérer une minuscule pépite dans sa bassine”, écrit encore Riss.
Car Mustapha l’autodidacte était aussi un insatiable curieux. Avide de découvertes et de connaissance. “Il pouvait parler de la physique quantique comme de Jack Kerouac, qu’il m’a fait découvrir”, se souvient Louisa. "Si je lui parlais d’un film ou d’un acteur qu’il ne connaissait pas, il allait faire des recherches. C’était hyper pratique, quand on lui posait une question, il y avait 99 chances sur 100 pour qu’il ait la réponse. C’était impressionnant, mais ce n’était jamais pour étaler sa science.”
Car Mustapha Ourrad parlait plus facilement de livres que de lui-même. Victor Hugo, James Joyce, Antonin Artaud encore. Il aimait aussi raconter l’histoire du Bateau-lavoir, cité d’artistes du quartier parisien de Montmartre, et les dîners que Pablo Picasso y donnait. Se risquait encore à des blagues, de son humour pince-sans-rire. De sa voix toujours douce et égale, en roulant les r, subsistance de son enfance kabyle. Des origines dont il était fier. Lui qui a acquis la nationalité française sur le tard. Il n’a d’ailleurs pas eu le temps d’aller chercher les papiers officiels. C’est sa fille qui l’a fait pour lui. Après sa mort.