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Publié le 14 Septembre 2020

Crif - À la mémoire de Didier Lapeyronnie et de ses réflexions sur l’antisémitisme (Etude du Crif n°9)

C’est avec une grande tristesse que nous venons d’apprendre le décès de Didier Lapeyronnie, professeur de sociologie à l'université Paris-Sorbonne (Paris IV). Didier Lapeyronnie avait publié un texte fascinant dans la collection des Etudes du Crif dans lequel il s'attachait à analyser l'antisémitisme dans les quartiers populaires. Son étude n'a pas vieilli. Les mots de l'antisémitisme sont toujours les mêmes, les maux aussi.

Découvrez le numéro 9 de la Collection des Études du Crif

"La demande d'antisémitisme : antisémitisme, racisme et exclusion", par Didier Lapeyronnie

 

Didier Lapeyronnie était membre associé du Centre d'analyse et d'intervention sociologiques (CADIS) et du Groupe d'étude des méthodes de l'analyse sociologique de la Sorbonne (GEMASS). Pour l'essentiel, ses recherches et ses travaux ont porté sur les questions d'immigration, la vie sociale dans les quartiers populaires et les conduites marginales des jeunes.

En 2005, nous avions proposé à Didier Lapeyronnie de publier une étude conséquente sur l’antisémitisme dans la collection des Études du Crif. Didier Lapeyronnie s’était employé à l’ouvrage, avec ferveur et passion, conscient également de la difficulté. Lors de nos différents échanges, il me faisait part de ses craintes. Pour Didier Lapeyronnie, l'antisémitisme n’était pas une vue de l’esprit.

Dans le numéro que nous avions publié alors, Didier Lapeyronnie interpellait. 

Y a-t-il généralisation d'un sentiment antisémite dans les quartiers populaires ? Pourquoi certains jeunes, premiers touchés par une discrimination dirigée vers les populations arabes ou d'origine immigrée, sont-ils à l'origine d'incidents et de violences antisémites ? Comment l'antisémitisme s'explique-t-il alors et est-il une revendication d'ordre social et d'intégration ? Se donne-t-il à voir sous plusieurs formes ? Est-il présent dans le vocabulaire et les expressions quotidiennes ? S'exprime-t-il hors de toute idéologie constituée, comme s'il s'inscrivait régulièrement dans le vocabulaire et les expressions quotidiennes ?

Le sociologue affirmait que l'antisémitisme finit par structurer une représentation du monde dans laquelle il va chercher confirmation et renforcement.

Il ajoutait ensuite cette réflexion saisissante : 

« Les Juifs sont tout, si je suis exclu, les Juifs sont intégrés, si je suis pauvre, ils sont riches, si je suis méconnu, ils sont reconnus, si je suis méchant, ils sont gentils, si je suis dépourvu de communauté, ils en ont une, si je suis impuissant, ils sont puissants... Au fond ils concentrent tout le sens et assèchent toutes les possibilités de donner une signification à la situation vécue. Si « je ne suis nulle part », «les Juifs, il y en a partout et c'est bien le problème. » Dans ce schéma terrifiant, il devient inutile de chercher à transformer ou à changer la société. Il devient inutile de penser. Dans ce schéma terrifiant, l'antisémitisme résoudrait tous les problèmes : il suffit d'inverser les polarités. S'ils n'étaient pas « partout », je ne serais pas nulle part.»

Ce fut là également le mérite de cette étude exceptionnelle, menée dans la ville d'Angoulême.  

Nous gardons de Didier Lapeyronnie un excellent souvenir. L’homme, n’était pas simplement un homme de raison, il était homme de science et de savoir.

Nous présentons à sa famille nos sincères condoléances.

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