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Publié le 17 août dans France Inter
Portrait. Il est la première victime de la vague d’attentats terroristes de 2015. Frédéric Boisseau, responsable d’opérations de maintenance pour Sodexo, a été tué le 7 janvier 2015 au rez-de-chaussée de l’immeuble de Charlie Hebdo. Ses proches décrivent un homme généreux, rieur, "bourré de qualités". Il avait 42 ans.
C’est une ritournelle, celle d’une chanson des années 90 : "Juste quelqu’un de bien". Après avoir questionné les proches de Frédéric Boisseau, elle ne vous quitte plus. Le 7 janvier 2015, ce père de deux garçons alors âgés de 10 et 13 ans est le premier tué par balles par les terroristes, dans la loge de l’immeuble du journal Charlie Hebdo. Il était "quelqu’un de bien". Sa compagne, Catherine, le répète, bien qu’elle parle peu de lui, en tout cas pas "aux gens qui ne l’ont pas connu" de peur qu’on ne la croie pas. Quand elle "cherche des défauts", c’est chou blanc : "Honnêtement, il était bourré de qualités, cet homme-là".
Frédéric Boisseau était responsable d’opération chez Sodexo, à la tête d’une équipe de maintenance en charge de plusieurs immeubles. Dont celui qui abritait la rédaction de Charlie Hebdo, mais il ne le savait pas. L'immeuble venait tout juste d’entrer dans son portefeuille et ce 7 janvier, il s’y rend pour la première fois, en repérage, avant de croiser, dans la loge du bâtiment, la route des terroristes. Les journalistes évoquent alors un "homme d’entretien". "Mais il était chef d’équipe", s’agace Manuel Fernandes, son ami d’enfance. Alors "Manu" envoie des messages aux rédactions pour corriger l’erreur, sans succès, et depuis, il garde un "porte-bonheur" dans son portefeuille : sa carte de visite un peu jaunie.
Frédéric Boisseau a grandi à Recloses, village du sud de la Seine-et-Marne. À l’âge de 7 ou 8 ans, quand Manuel débarque dans son école, Frédéric lui tend la main. "À la récré, il y a un garçon qui est venu me voir pour me dire de venir jouer avec le reste du groupe : c’était Fredo", se souvient Manuel. L’adolescence est faite de sorties en forêt de Fontainebleau ou de nuits de baignades dans les piscines des riches propriétés, sans jamais laisser un copain de côté. Frédéric découvre aussi la moto, une passion, avec sorties et vacances en Corse entre copains motards.
Pour ce "bosseur", dixit sa veuve, plombier chauffagiste de formation, devenu chef d’équipe chez Sodexo, les journées sont longues : un réveil à 4h30, les bouchons pour se rendre à Paris, et le retour, souvent à 19h, dans sa maison du Sud de la Seine-et-Marne, sans jamais se plaindre. Pour décompenser, "le week-end, il aimait aller en forêt couper du bois, cela lui faisait un bien fou" raconte Catherine. Souvent, sur la route du retour du travail, il téléphone. La veille de sa mort, "il était tout content d’avoir récupéré des nouveaux immeubles dans son portefeuille" se souvient Manuel. "Il retrouvait Jérémy" ajoute Catherine. Ce collègue et ami, de 10 ans son cadet, qu’il avait fait revenir dans son équipe pour une première journée de travail, grâce à ce nouveau contrat.
Ses proches expliquent qu’il était au boulot comme dans la vie : enjoué, à l’écoute, "protecteur" aussi avec ceux qu’il aimait. "Son équipe c’était un mélange, une belle symbiose" dit Manuel¨, et "Jérémy c’était un petit peu comme un petit frère". C’est dans les bras de ce dernier, "quelqu’un qu’il aimait" insiste Catherine, que Frédéric Boisseau rend son dernier souffle. "Je ne l’ai jamais vu faire une crasse ni s’énerver" témoigne Manuel : "Fredo adorait la compagnie des gens, c’était un bon vivant". Deux ans avant sa mort, pour fêter ses 40 ans, il propose à sa compagne d’inviter "quelques personnes". La location du barbecue est trop chère ? Qu’à cela ne tienne, il achète des grilles et le fabrique. "Je me suis retrouvé avec 100 personnes dans mon jardin, tout le monde a fait la fête et c’était inoubliable", se souvient Catherine. "Il avait des idées tout le temps" et il fallait vite les mettre en œuvre.
Leur rencontre, fin 1998, dans le train entre Fontainebleau et Paris, est une illustration de ce caractère avenant et rieur. "Il m'a demandé s’il pouvait s’asseoir à côté de moi et m’a proposé un Mars", raconte Catherine. Plaisanteries, sourires : le courant passe de façon "fulgurante" et le résultat ne se fait pas attendre. "Trois semaines après" une deuxième rencontre, et en février, le couple écume les agences immobilières de Seine-et-Marne pour acheter une maison dans un village près du sien. Parmi les voyageurs réguliers, le couple s’est constitué un groupe d’amis : "Pour les anniversaires, on achetait un gâteau et on ouvrait une bouteille dans le train", raconte Catherine.
Sensible, à l’écoute, l’homme est toujours prêt à aider un ami ou un proche. "Ses parents pouvaient tout lui demander, il se mettait en quatre pour eux", témoigne Manuel. Car la famille est fondamentale : "Ses enfants, c’était tout". "Il faisait plein de choses avec eux" ajoute Catherine. Il leur a transmis le goût de la moto et de la nature. Les deux garçons, aujourd’hui âgés de 16 et 19 ans, suivent d’ailleurs ses traces : l’aîné en BTS énergétique et son petit frère bientôt en boulangerie, la voie qu’aurait pu choisir son père "gourmand et bon cuistot". Frédéric Boisseau ne tenait pas en place. Toujours sur sa moto, en forêt ou à l’entrainement de krav-maga où il s’était inscrit avec son frère. Avec sa carrure imposante, "il n’avait pas peur" assure Manuel qui raconte qu’il avait un jour poursuivi et rattrapé en plein Paris "quelqu’un qui avait cassé la vitre de son véhicule et volé son ordinateur portable".
Ce 7 janvier 2015, sa veuve en est persuadée, "s’il n’y avait pas eu d’armes, l’issue n’aurait pas été la même". Entre eux, il n’y a jamais eu de dispute, ou plutôt une seule fois, se reprend Catherine. "Il voulait faire une extension de la maison mais je n’en pouvais plus des travaux, alors j’ai dit non". Aujourd’hui, elle se dit que pour ce projet aussi, "il avait raison". Dans cette maison où il avait tout retapé ou presque, jusqu’à creuser la piscine, ses photos sont installées en bonne place dans le salon et il n’y a "pas une journée" sans que la mère et les deux fils n’évoquent le souvenir de ce "bon papa".
Humble, il refusait les lauriers. À sa mort, Manuel raconte avoir "cherché une photo de lui, mais celles où il est seul sont rares : il ne souhaitait pas se montrer". Frédéric Boisseau, qui passait son temps à aider les autres et à "trouver des solutions" selon son ami d’enfance, aurait sans doute considéré d’un œil méfiant l’idée de ce portrait. "Il aurait juste voulu qu’on reprenne une vie normale" avance Catherine, qui essaie, mais "c’est évidemment très compliqué".