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Solidarité avec le peuple #Libanais meurtris par les terribles explosions #Beyrouth d’aujourd’hui. Pensée pour les nombreuses victimes #Liban
— Francis Kalifat (@FrancisKalifat) August 4, 2020
Pour mieux comprendre la situation politique et géopolitique du Liban, nous vous proposons ce reportage d'Arte sur le sujet :
Publié le 17 août dans Le Monde - Au Liban, le Hezbollah est sur la défensive depuis l’explosion
Le ton conciliant des lendemains de la tragédie a cédé le pas aux mises en garde. Dans son deuxième discours depuis l’explosion au port de Beyrouth, et quelques jours après la chute du gouvernement, le chef du Hezbollah a prévenu ses détracteurs : il faudra compter avec le puissant parti chiite dans la future équation politique au Liban. Tout autant qu’à ses opposants, qui pointent la responsabilité du parti-milice et de ses alliés dans la catastrophe, c’est à leurs parrains occidentaux, qui s’invitent dans les tractations politiques, que le message s’adresse. « Un projet est en cours pour renverser l’Etat libanais », a averti Hassan Nasrallah, vendredi 14 août, accusant « des parties politiques de pousser le Liban au bord de la guerre civile au nom d’intérêts étrangers ».
Principale force politique et militaire du pays, le Hezbollah cristallise, depuis le 4 août, la fureur d’une partie des Libanais contre la classe politique. L’explosion, qui a fait au moins 177 morts, est vue comme le point d’orgue de la décomposition de l’Etat sous l’effet de la corruption et de la gabegie des partis au pouvoir. Le Parti de Dieu est jugé coresponsable de la crise économique et politique née à l’automne 2019. Ses opposants politiques lui reprochent l’isolement du Liban. Lâché par les riches parrains du Golfe, le pays pâtit des sanctions américaines imposées au parti chiite pour son alignement avec l’Iran et son engagement en Syrie aux côtés de Bachar Al-Assad et au Yémen auprès des houthistes.
L’explosion du 4 août a entraîné un déchaînement de haine contre le Hezbollah sur les réseaux sociaux et dans les médias proches de partis d’opposition. Le 7 août, le portrait d’Hassan Nasrallah a été, pour la première fois, soumis à un simulacre de pendaison par les manifestants à Beyrouth. Soupçons et rumeurs attribuent l’incident à une attaque israélienne contre un dépôt d’armes du Hezbollah. Et, même si la thèse accidentelle se dessine, la responsabilité du Parti de Dieu reste mise en cause.
Des partis d’opposition réclament sa mise à l’écart et sa démilitarisation. « Certaines forces politiques, organiquement liées à la politique américaine, présentent leurs lettres de créance à Washington pour se débarrasser du Hezbollah et l’accuser de tout », accuse Walid Charara, un journaliste proche du parti. L’accusation vise notamment le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, l’opposant le plus virulent, et des figures de la contestation antigouvernementale.
Le Hezbollah est sur la défensive. Ces attaques renforcent la conviction du parti chiite d’être dans le collimateur de la politique de « pression maximale » américaine contre « l’axe de la résistance » emmené par Téhéran. Le ballet d’émissaires qui se presse au chevet du Liban le rend fébrile. Après la visite du président français, Beyrouth a été le théâtre d’un chassé-croisé entre David Hale, le secrétaire d’Etat adjoint américain pour les affaires au Proche-Orient, et le ministre des affaires étrangères iranien, Mohammad Javad Zarif.
Quand ce dernier refusait, vendredi, les ingérences étrangères et le conditionnement de l’aide à un « changement politique », l’émissaire américain a conclu sa visite, samedi, en soutenant un gouvernement « qui agisse pour un vrai changement ». Dans une référence explicite au Hezbollah, David Hale a conditionné l’aide américaine à des réformes, dont la restauration du contrôle de l’Etat sur les ports et frontières.
Le Hezbollah mise sur l’entremise de la France pour desserrer l’étau américain. Selon une source proche du parti, Emmanuel Macron aurait assuré au chef du groupe parlementaire du parti, Mohammed Raad, lors d’« un tête-à-tête de huit minutes » le 6 août, qu’il aurait un rôle à jouer dans le processus politique. L’entourage du président a nié toute entrevue bilatérale, assurant que M. Raad avait été reçu parmi un parterre de chefs politiques avec la volonté de « réengager tout le monde dans un processus ».
« M. Macron a fait une ouverture politique envers le Hezbollah. Il aurait réussi à avoir l’oreille [du président Donald] Trump en parlant d’une politique de sanctions à outrance qui risque de plonger le Liban dans le chaos. M. Trump s’est légèrement démarqué de sa politique de pression maximale, mais qui sait s’il s’y tiendra », analyse M. Charara, qui cite comme gestes de bonne volonté l’appel de M. Trump au président libanais, Michel Aoun, et sa participation à la conférence des donateurs.
Lors de son passage à Beyrouth, le 14 août, la ministre des armées française, Florence Parly, a appelé à former « un gouvernement de mission », chargé « pour une durée limitée de mener des réformes profondes », la formule désormais défendue à Paris. Les partis de l’opposition font monter les enchères pour la désignation d’un « gouvernement neutre », composé de figures indépendantes. « Nous ne pensons pas qu’il existe des candidats neutres au Liban », leur a rétorqué M. Nasrallah. Le chef du Hezbollah a prôné la formation d’un gouvernement d’union nationale ou, en cas d’échec, « d’un gouvernement avec la plus large représentation possible de politiques et d’experts ».
« Cela a toujours été la formule magique pour parler d’un gouvernement étroitement surveillé par le Hezbollah et ses alliés. Le redire sans aucune forme de procès après l’expérience calamiteuse du gouvernement Diab, et avant elle du gouvernement de Saad Hariri, est la marque d’un aveuglement qui acte l’impasse politique », analyse le sociologue Waddah Charara. Vendredi, Hassan Nasrallah est monté au créneau pour défendre ses deux alliés, le président Aoun et le président du Parlement, Nabih Berri, face aux attaques dont ils font l’objet ; une façon de consolider l’alliance qui les lie.
Selon une source gouvernementale libanaise, Paris et Washington pourraient se satisfaire de personnalités indépendantes choisies par les partis. Ils tentent de peser dans le choix du premier ministre, ainsi que du ministre des finances et du gouverneur de la banque centrale, qui auront un rôle pivot dans la mise en œuvre des réformes attendues par la communauté internationale. Le retour de Saad Hariri au poste de premier ministre – dont il avait démissionné en octobre 2019 – a les faveurs tant des chancelleries occidentales que du Hezbollah. Le chef du Courant du futur « est le premier choix du Hezbollah, pas seulement parce qu’il est “le danger qu’ils connaissent”, mais aussi parce qu’il a le soutien d’une majorité de la communauté sunnite », analyse Amal Saad, politologue à l’Université libanaise.
D’ici au retour du président Macron à Beyrouth, le 1er septembre, les tractations entre partis devraient s’intensifier. Le verdict, attendu le 18 août, dans le procès de l’attentat meurtrier contre l’ancien premier ministre Rafic Hariri, en 2005, pourrait accentuer la polarisation entre pro et anti-Hezbollah. Le Tribunal spécial pour le Liban devrait pointer à la responsabilité du Parti de Dieu, et le Hezbollah dénoncer, lui, une « mascarade de justice ». « Ce verdict pourrait donner lieu à une nouvelle campagne contre le Hezbollah et accroître l’opposition entre sunnites et chiites », redoute Amal Saad.
Les attaques contre le Hezbollah se sont accompagnées d’un racisme antichiite, qui a outré la communauté et donné à certains, dans la base du parti, l’envie d’en découdre. Face à cette colère montante, Hassan Nasrallah joue pour l’heure l’apaisement. « Nous pourrions avoir besoin de cette colère un jour, a-t-il dit. Le jour viendra peut-être où il nous faudra stopper ces tentatives de plonger le Liban dans la guerre civile. Contenez cette colère jusqu’à ce que ce jour advienne.