Lu dans la presse
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Publié le 30 Avril 2020

Solidarité - Internautes, retraités, couturiers: ces petites mains qui cousent les masques grand public

Alors que la demande de masques en tissu explose, des bénévoles relèvent leurs manches partout en France pour fournir les hôpitaux, les Ehpad et les personnes à risque.

Publié le 17 avril dans L'Express

En pleine pandémie de coronavirus, ils sont devenus un accessoire indispensable : alors que le déconfinement se dessine peu à peu, les masques devront être distribués massivement aux riverains dans les prochaines semaines. À partir du 11 mai, en "lien avec les maires, l'État devra permettre à chaque Français de se procurer un masque grand public", indiquait ainsi Emmanuel Macron lors de son allocution, le 11 avril dernier. Une annonce rapidement suivie d'effets : la région Hauts-de-France a indiqué ce jeudi 16 avril avoir commandé 6 millions de masques en tissu, tandis qu'en Auvergne Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez a promis de distribuer 9 millions de masques réutilisables aux habitants. Ce mardi 14 avril, la métropole de Bordeaux annonçait, elle aussi, son intention de s'équiper de 800 000 protections en tissu pour fournir l'agglomération.  

Mais alors que les commandes se suivent à un rythme effréné, les producteurs, eux, n'ont d'autres choix que s'adapter à cette demande massive. Tandis que de grandes entreprises comme Louis Vuitton ou la marque normande Saint James ont modifié leurs productions, des dizaines d'initiatives, à plus petite échelle, se multiplient pour les aider. Couturiers et couturières au chômage technique, appels sur les réseaux sociaux, modification de la production d'entreprises locales... L'Express vous raconte l'engagement de ces petites mains, plus mobilisées que jamais en ce temps de confinement. 

"C'est le moins que l'on puisse faire"

"On ne pouvait pas dire non. Quand on voit le nombre de morts et la détresse des soignants, on comprend qu'il faut foncer." Depuis des semaines, Françoise Poullain partage ses journées entre son travail d'agente administrative au Centre hospitalier d'Arras (CHA) et sa machine à coudre. Il y a quinze jours, le directeur de l'hôpital est venu lui demander de l'aide.  

"Il avait besoin de bénévoles pour assembler des centaines de masques dits 'Guarridou'", raconte Françoise à L'Express. Ces protections, développées par le CHU de Lille, ont été créées par le fabricant de textile Lemahieu et le collectif Le Souffle du Nord : des kits sont ainsi mis à disposition des couturiers, qui peuvent eux-mêmes créer leur masque homologué. 

"Il faut une machine à coudre, un patron, un tutoriel, un peu de patience, et en une heure, on a créé un masque", résume Françoise, qui s'occupe du recrutement des bénévoles. Avec 120 couturiers et couturières, cette initiative a déjà permis de livrer 6000 masques au centre hospitalier d'Arras. "On sait que des gens risquent leur vie, c'est le moins qu'on puisse faire", assure la couturière. 

Dans la région, certaines entreprises ont elles aussi relevé leurs manches pour faire face à l'afflux de demandes. À Nieppe, près d'Armentières, l'entreprise de linge de maison Vanderschooten a ainsi totalement modifié sa production, afin de créer des masques en tissu. "Tout a commencé par des appels d'Ehpad, de soignants, d'ambulanciers qui, paniqués, nous demandaient si nous pouvions faire quelque chose", rapporte Michel Vanderschooten, directeur de l'entreprise. 

Dès le 15 mars, avant même l'annonce du confinement, ses ateliers commencent à tester des prototypes de masques en tissu, très vite validés par la Direction générale des armées. "On a ensuite mis en place le processus, doucement mais sûrement, avec 2000 masques par semaine", explique le directeur. Mais les choses se sont vite accélérées : avec les mesures de confinement et le quasi-arrêt de la production de linge de maison, son entreprise produit désormais plus de 100 000 masques par semaine, et réussit à faire travailler une quarantaine d'employés sur les 180 salariés habituels. Michel Vanderschooten sait bien que cette production ne lui permettra pas de "se tenir à flot", mais elle permet en tout cas "d'éviter la casse". "Et surtout, de servir à quelque chose", tient à préciser le gérant.  

"On n'arrête pas !"

Comme lui, les ateliers de centaines d'autres fabricants se sont retrouvés, presque du jour au lendemain, à l'arrêt. C'est le cas de l'entreprise d'Arnaud de Carli, entrepreneur en Gironde, spécialisé dans la fabrication de lubrifiants pour automobile. Cet industriel a réalisé l'impensable : à l'aide de l'un de ses fournisseurs, Liberro Mazzone, et du soutien de la région, il a réussi à mettre en place, en 48 heures, un atelier de production de masques de 130 personnes.  

L'entrepreneur a pour cela répondu à l'appel du maire de Bordeaux de créer 800 000 masques pour la région. "Liberro a trouvé en quelques heures les patrons nécessaires, et a pris la route à 3 heures du matin pour se fournir en matière première à Lyon", détaille Arnaud de Carli. Les deux hommes demandent de l'aide à l'entreprise Singer, fabricant de machines à coudre, qui accepte de leur prêter une cinquantaine d'appareils. La commune de La Teste-de-Buch, de son côté, ouvre aux deux hommes les portes de son parc des expositions, entièrement vidé en cette période de confinement. 

Une usine de 130 postes a été montée en 48 heures en Gironde.

Une usine de 130 postes a été montée en 48 heures en Gironde.Arnaud De Carli // L'EXPRESS

"On a ensuite fait appel à une agence d'intérim, et c'était fait. Nous avons monté une usine de production de masques de 130 personnes, qui montera bientôt à 230 postes de travail", raconte le Bordelais. Cette usine, créée de toutes pièces, est désormais capable de produire entre 30 000 et 40 000 masques par jour, et pourrait prochainement monter à 70 000 unités. "Nous avons eu des commandes des mairies de Toulouse, Lyon, Libourne... On n'arrête pas !" assure Arnaud de Carli. 

Dans l'atelier, "il y a de tout", précise-t-il : des anciennes couturières à la retraite, des jeunes, des moins jeunes, des personnes qui étaient au chômage et qui retrouvent un emploi. "L'aventure humaine est exceptionnelle", affirme Caroline, une des couturières de l'usine. "C'était important pour moi de mettre ma pierre à l'édifice, et on fait d'une pierre deux coups. On travaille, et on rend service", insiste-t-elle, indiquant avoir entendu parler de cette initiative sur les réseaux sociaux. 

Les réseaux sociaux au coeur des initiatives

Car sur Internet, les appels se multiplient, et les internautes s'organisent. Sur Facebook, des dizaines de groupes locaux sont accessibles en quelques clics. Et les réseaux sociaux sont une véritable fourmilière : le groupe Couturières solidaires France, créé spécialement pour l'occasion, compte déjà près de 2500 membres inscrits. Le but ? Créer une coopération de couturières au niveau local "le plus rapidement possible", indique l'organisation sur sa page.  

Mis en ligne le 18 mars dernier par Raphaëlle, une assistante maternelle d'Eguilles, dans les Bouches-du-Rhône, le groupe indique avoir déjà rassemblé plus de 7000 membres, qui ont pu créer des milliers de masques. Les couturiers et couturières produisent "gratuitement et bénévolement" des masques pour les demandeurs de la région, est-il indiqué.  

"Ehpad, services de gériatrie, cabinets et infirmières libérales, aides-soignantes, médecins généralistes, gendarmes, équipes municipales, pompes funèbres, commerçants", personne ne semble être oublié. "C'est nécessaire, et c'est beau", souligne Françoise Poullain du CHA, en première ligne face au virus. "Je le vois dans la réaction des médecins, des aides soignants. On aide à notre manière, et ils en sont reconnaissants."