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Publié le 20 Décembre 2006

Le Onzième templier Par Yves-Victor Kamami (*)

Le roman historique que nous propose Yves-Victor Kamami possède tous les ingrédients du scénario de cinéma : personnages hauts en couleurs, mystère, crimes et châtiments. Avec un zeste d’amours contrariées. Et, en toile de fond, la destinée millénaire du peuple juif.


L’aventure commence à Troyes, en Champagne, en 1082. C’est l’hiver, dans la forêt qui jouxte la ville. Un cavalier, blessé par une flèche décochée par un brigand de grands chemins, s’écroule. Godefroy de Bouillon, seigneur de Lotharingie, gravement blessé, ne doit son salut qu’à la présence de Chrestien de Narbonne, étudiant en médecine, à la recherche de plantes curatives.
On découvre avec étonnement que le très catholique Chrestien fait partie d’un groupe d’étudiants non-juifs qui suit les enseignements du célèbre Maître Salomon ben Isaac, alias Rachi de Troyes. Dès lors une complicité amicale se noue entre les dirigeants de la communauté juive champenoise et un groupe de chevaliers chrétiens en route pour Jérusalem dans le cadre de la croisade destinée à libérer la Ville sainte de l’emprise des Sarrasins.
À travers les débats qui ne manquent pas d’avoir lieu entre Chrétiens et Juifs, c’est toute l’histoire du peuple d’Israël qui défile peu à peu, ses traditions, ses fêtes, ses prescriptions alimentaires. Le récit romanesque très alerte, est entrecoupé de considérations historiques souvent édifiantes. On découvre des peuplades juives aux confins de la planète, des Juifs noirs et des Juifs rouges, les fameux Khazars, des Pachtounes afghans et des Rhadanites, des Rachabites, des Mizos et des Juifs chinois, des Agaws d’Éthiopie, des royaumes juifs mystérieux. L’accent est mis sur la tragédie, au cours des siècles, en Orient comme en Occident, des populations juives livrées à l’intolérance chrétienne ou musulmane. On est témoin, avec les héros du roman, de pogromes meurtriers, en Francie comme en Europe. En terre d’islam, la situation n’est pas meilleure avec le statut infamant de la dhimma qui fait des Juifs des citoyens de seconde zone, humiliés, spoliés et souvent torturés à mort.
Un personnage féminin, très attachant, émerge, Missiya, fille adoptive de Rachi, qui sera amenée, tout au long du récit, à user de subterfuges pour demeurer juive, envers et contre tout et tous. La belle Missiya est incontestablement l’héroïne centrale de ce roman de cape et d’épée.
Lancée par Urbain II, la « Croisade des Gueux » censée délivrer le tombeau du Christ des mains des « Infidèles » se transforme très rapidement en véritable boucherie car les « Gueux », la troupe de supplétifs, souvent formée de malandrins sans foi ni loi, qui accompagne les preux chevaliers ne fait pas dans la dentelle. Elle ne connaît pas de différence entre les Musulmans et les Juifs et massacre sans distinction les uns et les autres quand ce n’est pas les Chrétiens d’Orient dont l’allure laisse à penser qu’ils sont plutôt orientaux que chrétiens.
La quête du Graal de Godefroy et de ses compagnons se double d’une recherche encore plus extraordinaire, celle de l’Arche d’Alliance, dont l’existence leur a été révélée par Maître Salomon. Une quête qui ne va pas, on l’a dit, sans dégâts collatéraux.
À Jérusalem même, c’est le carnage : « Chaque rue était jonchée de cadavres, de têtes et de membres épars, le magnifique et si célèbre dallage de Jérusalem baignant dans une écœurante boue sanglante et macabre. Tout l’après-midi et toute la nuit, le carnage continua…Le sang montait jusqu’aux genoux des assaillants ». Dix mille morts pour la gloire du Christ !
Un roman saisissant, alerte et remarquablement documenté.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Bibliophane Daniel Radford. Novembre 2006. 384 pages. 24 €