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Publié le 6 avril dans Le Monde
Il est 8 h 40 ce dimanche 5 avril, lorsque le message arrive sur WhatsApp : « Les urgences de l’hôpital Severo-Ochoa reviennent à la normale après tant de jours de lutte contre le coronavirus. » Jorge Rivera, le responsable de communication de ce modeste centre hospitalier de Leganes, dans la banlieue sud-ouest de Madrid, n’a pas résisté à l’envie de partager la nouvelle. Non pas pour crier victoire. Il est encore trop tôt. Mais parce que la sensation, en Espagne, est que le pire de la crise sanitaire est peut-être passé. Le dernier bilan, dimanche, faisait état de plus de 130 000 personnes positives et 12 418 mortes du Covid-19. Pourtant la situation s’améliore. Le pays a déploré 637 morts en 24 heures en Espagne, ont annoncé les autorités lundi 6 avril. Un chiffre en baisse pour le quatrième jour consécutif.
L’hôpital Severo-Ochoa revient de loin. C’est ici qu’avaient été filmées, le 21 mars, les images de malades allongés sur le sol de la salle des urgences, dans l’attente interminable d’une chambre. Ici que l’on voyait des personnes âgées assises au milieu des couloirs, accrochées à leur bonbonne d’oxygène, lançant des regards désemparés autour d’elles. Ici qu’une infirmière s’est effondrée en larmes, devant les caméras de la télévision publique espagnole TVE, en demandant l’impossible : « S’il vous plaît, les familles, soyez tranquilles, nous leur donnons beaucoup d’amour et de tendresse… Ayez confiance en nous… »
Ce dimanche, dans les couloirs apaisés, plus de cohue, de chaos et de corps en détresse. Mais sur les murs, des dessins réalisés par les enfants des écoles de la ville en honneur aux soignants, affublés d’habits de super-héros. Ils portent un message : « Todo ira bien » (« Tout ira bien »).
Les autorités veulent y croire. « Les chiffres de la semaine confirment une stabilisation et un ralentissement de l’épidémie », a souligné le ministre espagnol de la santé, Salvador Illa, mettant en avant une augmentation des cas confirmés de seulement 5 % par jour. Le directeur de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour l’Europe, Hans Kluge, a aussi exprimé, dimanche, un « optimisme prudent » quant à la situation en Espagne. Une prudence partagée par le président du gouvernement, le socialiste Pedro Sanchez, qui a décidé de prolonger l’état d’alerte jusqu’au 25 avril. « Passé le pic de contagion, nous sommes en mesure de faire plier la courbe, a-t-il déclaré, le 4 avril. L’objectif suivant est de réduire encore plus les contagions pour que les hôpitaux récupèrent leurs capacités. »
« Nous nous trouvons face à un germe d’espoir, mais les unités de soins intensifs restent encore sous tension », avertit au téléphone Angela Hernandez, porte-parole du syndicat de médecins Amyts. Dans les régions de Madrid, de Catalogne, mais aussi de Castille-Leon et de Castille-la-Manche, les capacités ont atteint leurs limites la semaine dernière. Si elles ne les ont pas dépassées, c’est parce que ces régions ont triplé leur nombre de chambres en soins intensifs. Et que « les soignants ont intensifié le triage des patients susceptibles d’être intubés », ajoute-t-elle.
Peu à peu, mêmes si tous soulignent leur douleur de voir « mourir seuls » tant de malades, les médecins aperçoivent le bout du tunnel. « Le nombre de guérisons commence à dépasser celui des nouvelles hospitalisations et la pression sur les soins intensifs s’est un peu relâchée, souligne Diego Gil Mayo, anesthésiste à l’hôpital Ramon-y-Cajal de Madrid. Nous sommes en train de désintuber pas mal de gens, ce qui nous réconforte. » Depuis le début de l’épidémie, plus de 38 000 personnes positives ont guéri en Espagne, soit près de 30 % du total des cas confirmés.
« Depuis cinq jours, on voit qu’enfin la courbe s’aplatit », confirme Raquel Carrillo, interne au service des infections de l’hôpital Gregorio-Maranon de la capitale. Ici, même la bibliothèque a été transformée en salle de soins intensifs. Et la docteure Carrillo a testé tous les « systèmes D » : ventiler des malades avec des masques de plongée Decathlon, utiliser des sacs-poubelle comme blouse médicale, fabriquer des lunettes de protection avec des intercalaires transparents…
Après avoir « beaucoup pleuré les premiers jours » et s’être réveillée la nuit « avec de la tachycardie », en pensant aux gens « qui comptaient sur nous, médecins, alors que nous ne savions rien et que nous avions peur », elle est « optimiste ». Cette mère de famille n’a pas vu ses filles de 7 et 10 ans depuis cinq semaines. « Elles sont chez leur grand-mère paternelle : je ne pouvais pas risquer de les contaminer », explique-t-elle.
En Espagne, plus de 12 000 soignants ont été testés positifs et 12 sont morts du Covid-19. Aux urgences de l’hôpital La Paz de Madrid, où travaille Laura Lopez-Tappero, « 70 % de mes collègues ont été infectés par le virus ». Ceux qui ne l’ont pas été, comme elle, sont épuisés. Et leur crainte est que le confinement ne soit levé trop vite. « Le virus n’a pas disparu et, quand les gens sortiront de chez eux, les épisodes de contagion reprendront, mais il faudra éviter d’avoir de nouveaux pics », estime la docteure Lopez-Tappero, qui espère que la levée du confinement se fera « par tranches d’âge ».
Le gouvernement travaille déjà à un plan pour généraliser les tests d’anticorps et de diagnostic, habiliter des hôtels pour isoler les malades avec des symptômes légers, et rouvrir l’activité de manière progressive…
Les médecins, eux, ne veulent plus être des « héros ». « Nous sommes des professionnels. Nous avons des enfants, des parents, et nous aussi nous tombons malades, souligne la docteure Lopez-Tappero. Nous voulons juste pouvoir affronter cette épidémie dans les meilleures conditions possibles… »