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Entretien réalisé par Marc Knobel, Directeur des Etudes au Crif
Le Crif - Jacky Mamou, vous êtes pédiatre, ancien président de Médecins du monde. Comment vivez-vous cette crise, d'abord en tant que médecin mais aussi en tant que citoyen ? Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?
Jacky Mamou : La pandémie de Covid-19 a conduit à une situation inédite et angoissante pour laquelle la France et ses acteurs de santé n’étaient pas préparés. Le nombre de victimes a grimpé en raison de la rapidité de diffusion du virus dû à sa grande contagiosité. Qui plus est, le caractère banal de son expression clinique initiale (comme une grippe) et son agressivité pulmonaire chez certains malades notamment les plus âgés et les porteurs de maladie chroniques, ont déstabilisé la communauté médicale et affolé la population.
Pour les soignants libéraux c’est une épreuve redoutable en raison des difficultés diagnostiques du fait de la rareté des tests et d’une offre thérapeutique limitée au Paracétamol et au confinement. A l’hôpital, aucun traitement curatif n’a jusqu’à maintenant fait ses preuves. Les cabinets de ville et les urgences hospitalières ont dû être réorganisés avec les moyens du bord pour accueillir des patients potentiellement contagieux et les prendre en charge. Les services hospitaliers sont en surchauffe et ceux de réanimation sont débordés. Il a été fait appel à un hôpital militaire de campagne alsacien et des patients graves sont transportés vers d’autres régions en TGV ou en ambulances. En ville, les téléconsultations qui se font à distance et ne nécessitent pas de déplacement au cabinet voient leur nombre explosé.
Le personnel sanitaire manque cruellement de masques, surtout en ville. Ces masques servent à sa protection contre le virus. On enregistre déjà plusieurs médecins et infirmières admis en réanimation ou décédés. Dans certaines unités de réanimation, il manque des respirateurs.
Cette situation chaotique a obligé le gouvernement à se lancer dans une stratégie de confinement généralisé pour soulager l’accueil hospitalier. Manière pour lui de limiter la casse face à l’absence de masques pour les soignants et la population et à la carence d’offre de tests de dépistages de masse.
La quête urgente d’une réponse thérapeutique s’est faite dans un climat inutilement polémique. Cela a rajouté à la confusion et alimenté les fantasmes complotistes.
La France avait la réputation de posséder un très bon système de santé. Son Etat-providence constituait une composante identitaire forte de la République. Mais il faut constater, que dans les premières semaines de l’attaque virale, elle a été défaillante pour protéger ses citoyens.
Le Crif - Vous présidez actuellement le Collectif Urgence Darfour. Pourriez-vous commencer par nous expliquer ce qu'est ce collectif ? Sinon, on sait encore peu de choses de ce qui se passe en Afrique, actuellement. Par exemple, le Rwanda a annoncé le confinement de sa population et la fermeture des frontières pour endiguer l’épidémie de coronavirus. Ce petit pays s’impose comme un de ceux qui prennent les mesures les plus drastiques de la zone subsaharienne, une région au système de santé fragile où le nombre d’infections ne cesse de grimper. Quelles sont vos inquiétudes (sur un plan sanitaire), en Afrique ?
Jacky Mamou : En deux mots le Collectif Urgence Darfour est une coalition d’associations et d’individus qui œuvrent à la défense des populations civiles du Darfour et plus généralement du Soudan. L’extraordinaire mobilisation des citoyens, en particulier celles des femmes et des jeunes, a conduit à la chute de la dictature islamo-militaire qui régnait sur le pays depuis 1989. Le maréchal -président Béchir, poursuivi par la Cour Pénale Internationale pour génocide commis sous ses ordres au Darfour est sous les verrous. Le Soudan est maintenant gouverné par une coalition de civils et de militaires. Le régime évoluera-t ’il vers une démocratie ou une nouvelle dictature ? Nous le saurons bientôt.
L’Afrique guette avec appréhension que la vague du Coronavirus arrive sur le continent. Les observateurs sont surpris qu’elle ne soit pas déjà là. Les conditions climatiques et la moindre importance des voyages intercontinentaux ont été avancées par certains.
Mais si l’épidémie était amenée à se développer, les conséquences pourraient être cruelles. Dans les grandes métropoles africaines, la promiscuité y est importante, l’accès aux techniques « barrière » comme le lavage des mains au savon ou avec des solutions hydroalcooliques réduit. Le système de santé est fragile et la possibilité de prendre en charge les patients en réanimation faible. Il faut noter que l’Afrique du Sud, le pays le plus développé, compte pour l’instant le plus grand nombre de patients infectés, c’est d’ailleurs un des rares à pouvoir faire de nombreux tests.
La plupart des pays ont fermé leurs frontières. Et on a l’impression que l’Afrique a mis l’Occident en quarantaine, alors qu’on compte la présence de nombreux travailleurs chinois. Il faut aussi craindre que les nombreux pays en guerre civile comme le Nigéria, le Burkina-Faso, la Lybie…
Paradoxalement l’épidémie du virus Ebola qui vient d’être jugulée a donné du savoir-faire aux équipes médicales africaines. C’est un atout important notamment pour l’Afrique de l’ouest.
Cependant, aujourd’hui le faible nombre de cas de patients touchés par le Covid19 ne doit pas faire oublier que les autres maladies comme le paludisme, le choléra, la rougeole, les diarrhées ou les infections pulmonaires sont fâcheusement les grandes pourvoyeuses de morts prématurées, en particulier chez les enfants, en Afrique.
Le Crif - On parle beaucoup d’un médicament, la Chloroquine. Selon le professeur Didier Raoult, elle aurait des effets très positifs pour soigner le Covid-19. Or, largement commercialisée, elle est avec la quinine, (dont elle est un substitut synthétique), le traitement qui a été le plus employé, en préventif comme en curatif, contre le paludisme. Quelle est votre opinion à ce sujet ? Parallèlement, si l’on parle beaucoup du Coronavirus, on parle peu du paludisme. Alors que c’est en Afrique qu'on enregistre quatre-vingt-dix pour cent des décès dus au paludisme et que cette maladie est responsable d'environ un cinquième de la mortalité infantile. Votre réaction ?
Jacky Mamou : La polémique sur l’Hydroxi-Chloroquine m’a rendu très mal à l’aise. Le Professeur Raoult est un grand infectiologue, et ni son allure de Buffalo Bill ni sa communication très rock’n roll n’y changent rien. L’option thérapeutique qu’il a préconisée, l’association Hydro-Chloroquine – Azithromicine, est actuellement discutée et évaluée comme d’autres associations médicamenteuses. Beaucoup d’équipes la prescrivent parce « qu’il n’y a rien d’autres en magasin ». Nous attendons avec impatience les premiers résultats de ces études.
Quant au paludisme, on a l’impression que cette maladie fait partie du paysage tropical. Or la « malaria » tue plus de 400 000 personnes chaque année. On est bien au-delà du chiffre du Coronavirus. Les espoirs résident dans la découverte d’un vaccin …
Le Crif – En tant que praticien, quel est votre message concernant le Covid 19 ?
Jacky Mamou : Au terme de beaucoup de souffrances, nous vaincrons le Covid19.
Depuis une ou deux décennies, toute la société française devait s’adapter à la mondialisation. Or le système sanitaire français a subi des coupes budgétaires importantes sans tenir compte des changements entrainés par les échanges internationaux et le tourisme. Cette pandémie est un stigmate de la mondialisation sanitaire. Les vieux pays européens ne l’ont pas anticipée.
Comme après l’hécatombe de la canicule qui avait fait 15 000 morts, un travail honnête et non polémique devra se faire à froid et tirer des leçons de ce drame national.