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Publié le 1 Avril 2020

Interview Crif - Gestion de la crise Covid-19 en Israël : Dror Even-Sapir répond à nos questions

Depuis plusieurs semaines, Israël a instauré un confinement strict et la fermeture des frontières. Comment le pays s'est-il préparé pour affronter la crise sanitaire que nous connaissons ? Quelles sont les mesures mises en place pour protéger la population ? Éléments de réponse avec le journaliste Dror Even-Sapir.

Propos recueillis par Marie-Sarah Seeberger

Le Crif - Depuis plusieurs semaines, bien avant la plupart des pays européens, Israël a imposé une quarantaine très stricte et la fermeture des frontières. Comment peut-on expliquer la gravité et le sérieux avec lesquels a été traitée la crise ?

Dror Even-Sapir - Il y a eu, en effet, une spécificité israélienne dans la manière de gérer la crise, et le ralentissement du rythme des contaminations constaté ces derniers jours pourrait bien être la conséquence de la sévérité des mesures prises par les autorités, et, plus encore, de leur relative précocité.

On pourrait se risquer à énumérer trois niveaux d'explication pour tenter de comprendre la nature de la réaction des autorités israéliennes. Le premier, le plus évident, est lié à la prise en compte des spécificités sociologiques et culturelles du pays. Israël est un pays très densément peuplé, surtout dans le centre et la zone cotière, ou vivent presque 80% de la population. Un terreau fertile, on le comprend aisément, pour la propagation des épidémies. Tout comme peut l'être une autre particularité, positive en temps normal : l'importance des structures communautaires et familiales dans la vie quotidienne de nombreux Israéliens.

Deuxième niveau d'explication : l'expertise israélienne en matière de sécurité, et de contrôle des frontières. Certains y voient une véritable obsession, mais le souci de la sécurité nationale et les compétences acquises dans ce domaine ont probablement joué un rôle central dans le processus de prise de décision enclenché dès les premiers temps de la crise sanitaire.

Enfin, et c'est là plus une interprétation personnelle qu'un fait avéré, il n'est pas impossible que la valorisation de la préservation de toute vie humaine dans la culture juive et israélienne ait été présente, consciemment ou non.

 

"Une partie des communautés dites ''ultra-orthodoxes'' continue de susciter une très vive inquiétude"

 

Le Crif - Quelles ont été les réactions des Israéliens face à ces mesures ? Le respect du confinement est-il plus difficile au sein de certaines communautés en Israël ?

Dror Even-Sapir - Dans l'ensemble, les Israéliens ont réagi avec compréhension et discipline aux consignes de distanciation sociale et de confinement. Pas davantage qu'ailleurs, et certainement moins que dans les pays asiatiques, mais à l'heure qu'il est, peu de cas d'incivisme ont été constatés.

Cela dit, le comportement d'une partie des communautés dites ''ultra-orthodoxes'' continue de susciter une très vive inquiétude. Les chiffres sont éloquents : pas moins d'un Israélien sur deux hospitalisé en raison d'une contamination au Covid-19 appartient à ce secteur de la population, et dans la ville de Bnei Brak, une personne testée sur trois a été déclarée positive au virus !

Les raisons de cette disproportion sont connues. Les ''haredim'' n'ont en général pas ou peu recours aux grands médias et aux réseaux sociaux, les informations sur la pandémie ne leurs sont donc parvenues que partiellement et tardivement. Par ailleurs l'intensité de la vie communautaire et le grand nombre d'enfants par foyer a rendu particulièrement ardu le respect des consignes de confinement. Enfin les autorités rabbiniques ont souvent pris avec beaucoup de retard la mesure de la gravité de la situation.

 

Le Crif - Quelles sont aujourd'hui les mesures sanitaires mises en place vis-à-vis de la pratique religieuse en Israël ?

Dror Even-Sapir - Fait sans précédent dans l'histoire du pays, les synagogues ont fermé leurs portes... Les cérémonies de mariage et de brit-mila sont toutefois autorisées, mais avec un nombre réduit de participant, respectivement vingt et dix, et avec obligation naturellement de respecter les consignes de distanciation sociale.

Deux fêtes religieuses importantes approchent pour les Israéliens, celle de Pessah pour les juifs et celle du Rammadan pour les musulmans. Il est demandé de ne les célébrer qu'en présence des seuls membres du foyer familial, et d'éviter de rendre visite à cette occasion aux personnes les plus âgées. La police a d'ores et déjà annoncé qu'elle renforcera sa présence pour éviter d'éventuels rassemblements.

 

Le Crif - Il y a quelques jours, l'ONU a salué la coordination entre les autorités israéliennes et palestiniennes dans la réaction à la pandémie de COVID-19. Circulation des personnes, matériel sanitaire distribué, autorisation d'entrée et de sortie des aides médicales à Gaza : concrètement, de quoi s'agit-il ?

Dror Even-Sapir - Avant tout, il s'agit d'un système de communication et d'échange d'informations particulièrement intense et presque permanent entre les autorités sanitaires israéliennes et palestiniennes. Certains médecins israéliens ayant acquis une véritable expertise dans la lutte contre l'épidémie ont formé plusieurs de leurs homologues palestiniens.

En outre Israël a fourni à l'Autorité palestinienne plusieurs centaines de kits de dépistage ainsi qu'une quantité équivalente de masques et de combinaisons de protection destinés au personnel hospitalier.

Il est trop tôt pour conclure à la réussite de cette coopération, qui n'inclue pas par ailleurs le corps médical de la bande de Gaza. Une seule certitude : la mobilisation commune des deux peuples est indispensable, et elle relève de l'intérêt bien compris tant des Israéliens que de celui des Palestiniens

Dror Even-Sapir est journaliste et analyste diplomatique sur la chaîne d'information i24 News