- English
- Français
Publié le 18 février dans L'Express
C'est un document assez révolutionnaire que s'apprête à diffuser la Grande mosquée de Paris (GMP) après les déclarations d'Emmanuel Macron sur le "séparatisme islamiste". Intitulé "Les vingt recommandations pour traiter les menaces qui pèsent sur la société française et sur l'islam : prévenir la radicalisation", ce texte d'une vingtaine de pages revendique un volontarisme inédit. Le nouveau recteur, Chems-Eddine Hafiz, qui a succédé à Dalil Boubakeur le 11 janvier dernier, donne le ton dès l'introduction. Avocat, vieux routier de l'islam de France, il tranche avec la rhétorique habituelle de tous les représentants de la deuxième religion de France, en employant les termes "terrorisme islamiste" et "islamisme radical". Des mots clairs pour nommer ce fléau qui représente un "danger pour la République, sa sécurité et sa stabilité", mais aussi, ajoute-t-il, pour le "vivre ensemble".
Le recteur pointe par ailleurs "cette agressivité, y compris verbale". Une allusion transparente à la récente "affaire Mila", de la part de celui qui avait tenu à dénoncer, à travers un tweet, les attaques et les menaces subies par la jeune fille à la suite de ses déclarations fustigeant l'islam et le Coran sur les réseaux sociaux, prenant ainsi ses distances avec le délégué général du Conseil français du culte musulman (CFCM), Abdallah Zekri. Ce dernier avait estimé que l'adolescente n'avait qu'à assumer ses propos.
Il concède aussi que les fidèles ne sont pas "suffisamment audibles pour une partie de l'opinion publique" dans leur condamnation de la violence, et admet que les instances musulmanes n'ont pas "su mener à bien, sur le terrain et au quotidien, d'actions concrètes pour nous démarquer de façon catégorique des tenants de cet islamisme radical". Il dit s'être inspiré des méthodes déployées par l'Algérie, son pays natal, en matière de prévention de la radicalisation et s'est appuyé sur son conseil scientifique, une sorte de comité des sages qu'il a installé récemment. Parmi eux, le professeur en médecine Sadek Beloucif et l'universitaire Ahmed Djebbar, deux érudits, ardents défenseurs d'une lecture islamique compatible avec la modernité.
Chems-Eddine Hafiz insiste sur le fait que l'islam qu'il cherche à incarner est "conforme aux principes et aux lois de la République" et prévient les ministres des Cultes rattachés à la GMP que celle-ci ne gardera pas dans ses rangs des imams qui refuseraient de se plier à ces nouvelles orientations.
La deuxième partie du document est une lettre des imams de la mosquée de Paris, adressée autant à leurs pairs qu'à l'opinion publique. Les religieux exhortent les musulmans, "à commencer par les plus jeunes d'entre eux, à se méfier des interprétations littéralistes, approximatives, de nature belliciste", précisant qu'une "religion ne doit, en aucun cas (...) générer de la brutalité". Ils ajoutent que la "vocation de l'islam est de relier les gens entre eux, non pas de les séparer". Les religieux soulignent par ailleurs que "rien, absolument rien, ne peut excuser que des violences soient perpétrées" au nom des textes, tout en mettant en garde "face aux messages de haine" véhiculés sur Internet et les réseaux sociaux. Leur profession de foi ne s'arrête pas à une simple condamnation du terrorisme. Elle rappelle qu'il n'y a "aucune opposition et aucun antagonisme entre une croyance [l'islam] et une appartenance à une société [française]", insistant sur le fait que l'islam ne reconnait pas de "contradiction entre la citoyenneté et la foi". Ce sont "deux éléments qui se complètent et qui ne se télescopent jamais", souligne le manifeste.
Ne boudons pas notre plaisir. La laïcité est décrite comme un "dispositif protecteur pour les fidèles de toutes les religions", et la France comme "un pays qui offre la paix et la sérénité à toutes les sensibilités spirituelles et philosophiques". Les imams vont jusqu'à évoquer un "pacte de confiance" qui lie les musulmans à l'ensemble de leurs compatriotes.
Le manifeste s'achève avec vingt recommandations étayées chacune par un ou plusieurs versets du Coran et des paroles du prophète. Les fidèles sont exhortés à protéger leur mission contre tout ce qui "désoriente son objectif religieux et social", faisant ainsi allusion au fait que ces lieux de culte ne doivent pas se transformer en centres d'embrigadement. Le manifeste insiste sur la notion de liberté et affirme que l'islam respecte un "principe essentiel" : la liberté de conscience, celle de croire ou de ne pas croire. C'est une avancée considérable, sachant que cette disposition est honnie par les islamistes, en particulier les salafistes et les Frères musulmans.
Le fait que la GMP assume de porter ce principe essentiel de la Déclaration universelle des droits de l'Homme est une réelle avancée. Quelle sera la réaction des représentants des autres fédérations de l'islam de France, notamment l'UOIF et le Milli Gorüs turc ? Que diront-ils du respect affiché par la Grande mosquée à l'égard de la liberté d'expression, qui doit selon elle être respectée "par chaque musulman", allant jusqu'à défendre implicitement le droit au blasphème ?
Ce manifeste mérite véritablement d'être lu par tous les musulmans. Il a vocation à les réconcilier avec la communauté nationale. Et inversement. Il a également pour objectif d'isoler les islamistes et de réduire leur influence. Il reste désormais à rendre ceci applicable dans toutes les mosquées de France. Il est des jours où il est permis d'espérer...
Le Crif vous propose :