- English
- Français
Entretien réalisé par Marc Knobel, Directeur des Etudes au Crif
Alain Pagès - Il y a incontestablement une actualité de l’affaire Dreyfus dans le monde qui est le nôtre, aujourd’hui. À cause, évidemment, de la résurgence de l’antisémitisme sous différentes formes, les plus violentes ou les plus pernicieuses. Mais je n’ai pas besoin d’insister sur cette question devant vous, car le combat contre l’antisémitisme, vous le menez vous-même depuis de nombreuses années, avec un grand courage. L’actualité de l’affaire Dreyfus, pour nous, vient aussi du fait qu’elle n’est pas une simple affaire judiciaire, mais qu’elle renvoie à toute une époque – une époque de transition, coincée entre deux siècles, la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, qui a vu s’édifier les bases de la démocratie sur lesquelles nous vivons. Je pense aux lois sur la laïcité du début du XXe siècle, issues du combat dreyfusard. Je pense aussi au rôle de la presse dans le débat public, au pouvoir des médias, à cette capacité qu’ils ont, aujourd’hui, à s’emparer de tous les événements, à les faire durer, à les transformer en un long récit qui occupe les lecteurs ou les auditeurs comme un feuilleton interminable. L’affaire Dreyfus a été vécue par le grand public, à la fin du XIXe siècle, comme un immense roman-feuilleton aux multiples rebondissements. En cela, elle annonce la façon dont fonctionnent les médias d’aujourd’hui qui sont des médias en continu, qui ne s’arrêtent pas de nous parler, ne nous laissent aucun répit. L’affaire Dreyfus, qui a duré plus d’une quinzaine d’années, est sans doute le premier exemple historique d’un événement – limité au départ, puis prenant de plus en plus d’ampleur – qui ne s’arrête pas, qui s’inscrit dans la continuité médiatique. Péguy (l’un des grands témoins de cette Affaire) l’avait bien compris. Il a eu ce mot où s’exprime bien la permanence de l’affaire Dreyfus : « Plus cette affaire est finie, plus il est évident qu’elle ne finira jamais. » D’autres témoins de cette Affaire (je pense à Julien Benda ou à Léon Blum) ont été jusqu’à comparer son retentissement à celui de la Révolution française ou à celui de la Première Guerre mondiale.
Alain Pagès - L’ouvrage que je viens de publier se compose d’une série de courts chapitres qui s’efforcent tous de répondre à une question simple, ce qui m’a permis de décrire les principaux événements de l’affaire Dreyfus à travers les personnalités qui ont joué un rôle important – Dreyfus, Esterhazy, Zola, Picquart, Clemenceau, Péguy, etc. Ces chapitres sont relativement autonomes les uns par rapport aux autres. Le lecteur pourra les aborder dans leur ordre de succession, mais il pourra aussi choisir directement le chapitre qui lui convient en parcourant le livre comme il le souhaite. Publié chez Perrin dans la collection « Vérités et légendes », ce livre réfléchit précisément à l’opposition entre « vérité » et « légende » qui caractérise l’affaire Dreyfus, c’est-à-dire à cette recherche de la vérité, accompagnée d’une lutte permanente contre les légendes (les « fake news », comme on dit aujourd’hui), qui a marqué le combat des dreyfusards pour faire reconnaître l’innocence d’Alfred Dreyfus. Mon livre décrit les aspects judiciaires de l’affaire Dreyfus, les circonstances qui ont accompagné l’écriture du « J’accuse » d’Émile Zola, le rôle des expertises, le poids de l’antisémitisme dans l’idéologie de cette époque. C’est aussi une réflexion sur l’imaginaire de l’affaire Dreyfus, sur la façon dont elle a été transposée dans la littérature ou adaptée au cinéma – au moment où doit sortir sur les écrans, dans quelques semaines, une nouvelle mise en scène des événements de l’affaire Dreyfus, par Roman Polanski, dans un film qui se présente comme un « thriller ». Comme vous le savez, ce film, en dépit des polémiques qui l’entourent, vient d’obtenir le Grand Prix du jury à la Mostra de Venise.
Alain Pagès - Oui, j’ai consacré un chapitre aux conséquences, pour Zola, de son engagement dans l’affaire Dreyfus. Je n’ai pas insisté sur les circonstances de sa mort, car je l’avais fait dans d’autres ouvrages précédents. Je me suis contenté d’indiquer qu’il a probablement été assassiné, en septembre 1902, par le fumiste Henri Buronfosse, membre du service d’ordre de la Ligue des Patriotes de Déroulède : cet homme a reconnu, bien des années plus tard, avoir bouché la cheminée de la chambre à coucher du romancier, ce qui a provoqué son asphyxie. Mais, dans ce chapitre, j’ai voulu souligner ce qui a été, contre Zola, l’acharnement d’une foule imbécile, haineuse, au moment du procès de « J’Accuse… ! », en février 1898, et, pendant toute cette période, à travers toutes les lettres d’insultes que Zola a reçues. Ces insultes, on les retrouve dans la presse nationaliste et antisémite qui se déchaîne contre lui avec une grande violence. On les retrouve dans des pamphlets qui, à cette époque, étaient vendus par des camelots sur les boulevards, à Paris. L’un de ces pamphlets, par exemple, imprimé à plus de 100 000 exemplaires, se présente comme un faire-part de décès qui invite les acheteurs à se rendre à l’enterrement de Zola, le « pornographe, défenseur du traître Dreyfus » …
Cela fait plus de 30 ans que je dirige Les Cahiers naturalistes, revue de la Société littéraire des Amis d’Émile Zola. Cette revue a un site, et vos lecteurs pourront le consulter pour voir quel est le contenu des numéros (http://www.cahiers-
Photo d'Alain Pagès - (c) Bruno Klein
Le Crif vous propose :