Jean-Pierre Allali
Algérie : Les oubliés du 19 mars 1962, par Alain Vincenot*
Qui se souvient encore de cette date ? Le 19 mars 1962, c’est le lendemain de la signature des fameux accords d’Évian (Cent onze articles, seize chapitres, quatre-vingt-treize feuillets) qui, en théorie, mettaient fin à la guerre d’Algérie et, surtout, prévoyaient un statut raisonnable et encourageant pour les Pieds-noirs et pour les Harkis. Il n’en fut rien, on le sait et les Français d’Algérie, Chrétiens et Juifs comme les Musulmans demeurés fidèles à la France, n’eurent d’autre choix que « la valise ou le cercueil ». Sans oublier les milliers de personnes, civils et militaires, qui furent assassinés bien après le 19 mars 1962.
Alain Vincenot à qui l’on doit notamment « Les larmes de la rue des Rosiers » (1), « Vel’ d’Hiv, 16 juillet 1942 » (2), « Rescapés d’Auschwitz » (3) ou encore « Pied-noirs, les bernés de l’Histoire » (4) retrace au quotidien les épisodes du drame algérien, un drame dans lequel les Juifs, qui, eux, étaient présents en Algérie depuis des millénaires, bien avant la conquête arabo-musulmane, mais que, depuis le fameux décret Crémieux de 1860 leur attribuant la nationalité française, ont été assimilés aux « colons » venus de France métropolitaine, ont eu leur part de souffrances et de désespoir.
Alain Vincenot retrace pour nous ces années qui ont vu la fin de l’Algérie française et l’accession de l’ancien département français à l’indépendance.
Du « Je vous ai compris » de De Gaulle à la débandade des Pieds-noirs.
Parmi les épisodes tragiques concernant plus particulièrement les Juifs : l’explosion, en 1959, à la synagogue de Bou-Saada pendant l’office du chabbat : un mort et onze blessés. En mai 1962, Plusieurs cimetières juifs sont profanés. Dans tout le pays, des voyous pillent magasins et maisons aux cris de « Mort aux roumis ! Mort aux youdis ».
Le 29 juin 1962, « Dans la matinée, Mimoun Cohen, soixante-deux ans et son épouse, Yvonne, cinquante-deux ans qui tenaient un bazar, La Gazelle, avenue Jean-Jaurès à Beni Saf, leur fille Colette, vingt-huit ans, et un ami, Jean-Louis Lévy, vingt-quatre ans, montaient dans la DS familiale. Direction Oran, à la recherche du mari de Colette, Jean-Jacques Sicsic, trente-huit ans et de l’oncle de Jean-Louis, Milo Bensoussan, trente-neuf ans, qui la veille, étaient allés se renseigner sur les bateaux appareillant pour la France. Aucun des six n’est réapparu ». Ce ne sont là que quelques exemples. Pour Alain Vincenot, il apparaît très vite que « L’Algérie nouvelle sera arabe et musulmane. Pas de Chrétiens. Pas de Juifs. Et pas d’Arabes francophiles. La France ne leur sera d’aucun secours ».
Le 8 avril 1962, un référendum est soumis au peuple français. Seuls les électeurs de métropole sont admis à voter. On compte 90,70% de « Oui ».
Peu après, le 1er juillet, 99,72% des Algériens répondent « Oui » à la question : « Voulez-vous que l’Algérie devienne un État indépendant coopérant avec la France dans les conditions définies par les déclarations du 19 mars 1962 ? »
Le 3 juillet 1962, la France reconnaît solennellement l’indépendance de l’Algérie. « Et ce fut l’abandon », titre l’auteur. En débandade, les Pieds-noirs prennent d’assaut les bateaux et les avions. Le moins qu’on puisse dire est qu’ils ne furent pas accueillis de gaieté de cœur. Au port de Marseille, les pancartes annoncent : « Pieds-noirs, retournez chez vous ». Parallèlement, « sur les harkis déferlent les monstruosités de l’apocalypse ». Plus tard, Simone Veil, lors de sa réception à l’Académie française, le 18 mars 2010, dira : « La tragédie de ces familles entières abandonnées laisse en tout cas une trace indélébile sur notre histoire contemporaine ».
Certains ont voulu faire des Pieds-noirs des exploiteurs faisant « suer le burnous » qui auront mérité tout compte fait leur sort. Alain Vincenot, fort opportunément reproduit les propos, en 1957, de Germaine Tillon, résistante, déportée à Ravensbrück : C’étaient , pour l’essentiel« des ouvriers spécialisés, des fonctionnaires, des employés, des chauffeurs de taxis, des garagistes, des chefs de gare, des médecins, des enseignants, des standardistes, des manœuvres, des ingénieurs, des commerçants, des chefs d’entreprises ».
Dans une seconde partie, l’auteur a recueilli dix témoignages saisissants. Une chronologie qui va du 14 juin 1830 ( Débarquement des troupes française à Sidi-Ferruch) au 13 septembre 2018 (Visite du président Macron à la veuve de Marice Audin, militant communiste et sympathisant du FLN, disparu en juin 1957), un glossaire et des repères bibliographiques concluent cet ouvrage très intéressant.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions de L’Archipel. Mars 2019. 352 pages. 20 euros.
(1) Editions des Syrtes, 2010.
(2) Editions de L’Archipel, 2012.
(3) Editions de l’Archipel, 2015.
(4) Editions de l’Archipel, 2014.