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Découvrir l'Etudes du Crif n°53
La fin d'une illusion : pour une approche renouvelée de l'enseignement de l'histoire de la Shoah
Une étude de Iannis Roder
Sous la direction de Marc Knobel, l’excellente revue des Études du Crif poursuit avec bonheur et réussite son chemin. Dû à la plume alerte de Iannis Roder, le nouveau numéro s’avère de la même qualité et du même niveau de réflexion que les précédents, avec, cette fois, un sujet véritablement préoccupant : l’enseignement de l’Histoire et de la Mémoire de la Shoah.
Professeur agrégé d’histoire, responsable des formations au Mémorial de la Shoah, Iannis Roder avoue son inquiétude et s’interroge : bien que l’enseignement de l’histoire de la Shoah soit, avec trois occurrences dans les programmes scolaires, devenu un élément incontournable de l’enseignement contemporain, les doutes s’accumulent. Les derniers témoins disparaissent peu à peu, la concurrence mémorielle se développe et l’islamisme radical interfère dans la façon d’être et de penser de certaines populations. Dès lors, la question se pose : faut-il changer les méthodes ou, tout du moins les modifier ? « Il nous faut, pour cela, oser sortir des schémas connus et nous adapter aux réalités d’aujourd’hui ». Car « vouloir émouvoir pour mieux provoquer l’empathie présente le risque de s’éloigner d’un discours scientifique et historique et, finalement, de sombrer dans un discours moralisant inefficace ».
Il convient de ne pas rester sourd aux propos entendus chez certains élèves, rapportant parfois les discours de leurs parents : « Encore les Juifs ! » « Ils ne sont pas les seuls à avoir souffert ! ». On évoque les malheurs des enfants de Gaza et même si comparaison n’est pas raison, il y a là des paramètres dont il va falloir tenir compte.
Face à l’émergence de « nouveaux citoyens » dans notre pays, il convient de tout faire pour éviter une déjudaïsation de la Shoah. Pour éclairer les jeunes et les moins jeunes sur ce que fut le sort spécifique des Juifs, le vocabulaire utilisé a son importance. Il ne faut pas hésiter à parler d’assassinat des Juifs et pas seulement de déportation. Et de bien souligner que nul autre ensemble humain n’eut, à travers l’Histoire, à subir une telle rage destructrice. Bref, « employer devant les élèves, le vocabulaire juste, permet de distinguer les politiques mais aussi les victimes ; c’est rendre lisible la mise en œuvre de la vision du monde nazie et c’est ainsi lutter contre les amalgames et la concurrence victimaire ».
C’est un fait, constate amèrement Iannis Roder : « L’une des difficultés auxquelles se heurte aujourd’hui le corps enseignant est de faire comprendre la portée universelle du crime commis contre les Juifs ». Dès lors, il est souhaitable d’évoquer dans les débats d’autres sujets : aborder, par exemple, la question du programme T4 d’élimination par les nazis des enfants trisomiques ou encore les autres génocides : Arméniens, Tutsis… voire les violences salafistes.
Cela dit, le voyage à Auschwitz, s’il est bien organisé, continue d’être une solution à l’enseignement de la tragédie de la Shoah. Et si, probablement, on ne parviendra jamais à éradiquer l’antisémitisme, notre objectif est de le contenir. Pour cela, il faut cesser de donner à pleurer et songer plutôt à donner à penser.
« Enseigner l’histoire de la Shoah comme un événement historique et politique devient indispensable et urgent. Réfléchir aux méthodes pédagogiques qui permettent à tous d’accéder à la connaissance et à la réflexion s’avère une nécessité ».
Une étude remarquable. Un travail magistral.
Jean-Pierre Allali
Découvrir l'Etudes du Crif n°53
*Iannis Roder, professeur agrégé d'Histoire. Responsable des formations au Mémorial de la Shoah. Directeur de l'Observatoire de l'Education de la Fondation Jean Jaurès.
La collection des Etudes du Crif est dirigée par Marc Knobel.