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Publié le 19 Octobre 2006

Le Pouvoir de bénir. Méditations sur les lectures hebdomadaires de la Torah Par David Saada (*)

On connaît David Saada comme Directeur général du F.S.J.U., infatigable et dévoué militant communautaire. Ce que l’on sait moins, c’est qu’au sein de sa synagogue, en banlieue parisienne, il prodigue un enseignement du Chabbath, un commentaire éclairé des péricopes, ces tranches de Torah qui ponctuent l’année liturgique juive et reviennent au bout d’un an, telles un mouvement perpétuel, une fois la lecture du texte sacré achevée à l’office. Ce sont ces commentaires de très haute qualité qui forment la trame du livre que vient de publier David Saada.


Avec brio, avec conviction et avec une érudition remarquable, l’auteur, de la paracha « Béréchit » à la paracha « Vézoth Habérakha » nous invite à pénétrer l’intimité du texte considéré comme un « message crypté », à le décortiquer, à le distordre au besoin par le biais de l’anagramme ou de l’acronyme, à utiliser les paraboles, même anthropomorphiques, à interroger les grands maîtres et les ouvrages de référence, pour tenter de comprendre des détails qui, à première vue peuvent paraître anodins, mais sont essentiels, pour y déceler l’image, le « Tselem » caché et découvrir les aspects dissimulés sous sa surface ou pour tenter de déchiffrer telle ou telle étrangeté du récit biblique.
Pour David Saada, « Rien dans la Thora n’est de l’ordre de la coïncidence » et, comme le dit Rachi, dès ses premiers versets, le texte biblique nous interpelle, semblant dire au lecteur : « Interprète-moi ! ». C’est ce qui apparaît d’emblée avec l’énoncé, au demeurant simplissime : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre ». Cela paraît limpide, et, pourtant, remarque David Saada, dès ces premiers mots, il semble y avoir un blanc, un chaînon manquant dans la formulation. Car au vocable hébraïque « Réchit » a été accolé un beth, lequel peut être vu comme une contraction de « Bichvil », « Pour » ou « En vue de ». Dès lors il faut lire : « C’est en vue de la Torah et d’Israël que Dieu créa le ciel et la terre ». C’est déjà autre chose, une lecture au second degré, tout à la fois étonnante et déconcertante, voire réductrice ou chauvine. Saada appelle alors à son secours le Midrach par le biais du Sefer Ha Bahir qui propose une piste, celle de l’analogie littérale : « Béréchit » et « Bérakha » commencent tous deux par la lettre Beth. Quant à la Guémara, elle nous apprend que le mot « Hokhma », « Sagesse », peut être décomposé en « Koah Ma », littéralement « Puissance du quoi ». Sans oublier de remarquer que la racine du mot « Béréchit » est « Rech » qui renvoie à la boîte crânienne, habitacle du cerveau.
De fil en aiguille, on arrive au commentaire de Rabbi Haïm Ben Attar, selon lequel, le premier verset biblique doit se comprendre ainsi : « Tout ce qu’a créé le Très Haut dans le monde, que ce soit au plan de ses fondements que de ses développements au ciel et sur la terre, Il l’a créé par une seule parole ». Il ne faut pas voir dans ces interprétations, souligne David Saada, l’expression d’un particularisme exacerbé, mais « la vocation essentielle et désintéressée d’Israël ». Et pourquoi donc Israël ? Utilisant une image politique très actuelle, l’auteur considère que le créateur, déçu par l’attitude d’Adam, change de plan. Du plan A initial, il passe au plan B qui voit Abraham prendre le relais de la mission divine.
Dans une analyse très fine du déroulement de la première semaine de la Genèse, David Saada introduit, dans la tradition kabbalistique, le concept de « Birour », de décantation : « Chaque jour de la Genèse est caractérisé par un birour nouveau qui vient affiner le birour précédent. La fin de ce processus, le dégagement parfait du Bien de l’emprise des forces du Mal était prévu pour le septième jour, le saint Chabbath ». Pour couronner le tout, retour à l’anagramme : Le terme « Béréchit » est formé des mêmes lettres que l’expression hébraïque signifiant « Il éclairera le Chabbath ». C’est pourquoi « l’accueil du Chabbath, qui se fait par l’allumage de lumières, exprime symboliquement l’accomplissement de l’intention du Créateur, celle qui est celée dans la première parole de l’œuvre du Commencement, l’avènement de la « ménouha ». La « ménouha », c’est à dire le repos divin au sens d’une « ultime pièce du puzzle de la Création ».
La conclusion de la première étude donne le ton général de l’ouvrage : « La Torah affirme au fond le contraire des thèses freudiennes : ce n’est pas la partie animale de l’homme qui est refoulée, mais sa partie divine. Toute l’Histoire d’Israël, depuis Abraham jusqu’au Machiah, peut être comprise comme l’Histoire du « retour du refoulé ».
Et c’est dans la dernière étude, celle de la paracha « Vézoth Habérakha », qu’une forme de conclusion se dessine : après la faute d’Adam, le monde est caractérisé par une extériorité défectueuse qu’il convient de réparer par le biais du « Tikoun ». Mais qui, pour cette tâche de rédemption, sera le « Recevoir parfait » ? « Abraham et Itshak ont eu chacun un fils inapte à réaliser la réparation de l’extériorité et c’est pourquoi Ichmael et Essav ne sont pas considérés comme les héritiers du patrimoine spirituel des Patriarches. ». Le Recevoir parfait, c’est « le réceptacle réparé que constitue le peuple d’Israël issu des douze fils de Yaakov ». Et l’auteur de préciser : « Le nombre douze est d’ailleurs significatif à cet égard puisqu’il représente le nombre de combinaisons distinctes qu’il est possible de faire avec les quatre lettres du Tétragramme ». C’est pourquoi « La communauté de Yaakov est un Recevoir qui, comme le corps du premier Adam, est en mesure d’irradier la lumière infinie qu’il a recueillie, symbolisée par le Tétragramme déployé à travers toutes les combinaisons de ses lettres. Un Recevoir pour donner ».
On pourrait être tenté de croire que l’ouvrage est ésotérique et réservé aux spécialistes. Qu’on se détrompe. Les connaisseurs, Juifs et non Juifs, prendront, certes, un grand plaisir à cette lecture. Mais, surtout, le livre de David Saada devrait permettre à ceux, et ils sont nombreux, qui ne pratiquent pas régulièrement la synagogue, de se mettre au diapason de leurs coreligionnaires pratiquants, en s’imposant, une fois par semaine et pendant l’année, la lecture de la péricope saadienne. Un exercice simple et salutaire qui, à lui seul, justifierait amplement la parution de cet excellent ouvrage.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Bibliophane Daniel Radford. Mai 2006. 496 pages. 26€