Jean Pierre Allali

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Lectures de Jean-Pierre Allali - Le Chantre des murs blancs par Sid Maleh

23 Avril 2019 | 83 vue(s)
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Le Chantre des murs blancs, par Sid Maleh*

Truculent, savoureux, écrit dans une langue aussi riche qu’originale, ce livre est un chant d’amour à la gloire du mellah, le quartier juif des villes du Maroc au temps où vivait là une grande communauté d’Israël. Nous sommes à Casablanca, dans le dédale des rues du mellah. Des bâtisses loqueteuses qui menacent de s’écrouler, des détritus, des boyaux de poulets et des carcasses de chats. Les Juifs y passaient leurs journées en prières sous le régime des trois P : les poux, les puces et les punaises.

Voici Meyer Bouskila, cordonnier attitré du mellah, assez riche pour avoir deux épouses. Il avait quitté le mellah de Mogador-la-neurasthénique pour celui de Casablanca la débauchée et possédait une bâtisse de deux étages qui surmontait son atelier. Et voici son fils, David, un surdoué aux talents de chanteur inouïs et à la mémoire phénoménale. Pour lui, une seule voie s’impose : l’Alliance Israélite, une institution pourtant décriée par les Juifs religieux. Le petit David sera admis moyennant un arrangement quant aux chaussures orthopédiques du délégué.

Voici encore Shlomo le Boiteux, dit Pied-Bot, illettré mais au courant de tout, « énergumène du mellah, patron des chats et mécène des mendiants. Et voici Baba le marieur, lui-même père de cinq filles, disciple de Wittgenstein dont il avait suivi les cours à Cambridge et passionné de photographie. Plus tard, on lui demandera comment dire en judéo-marocain la preuve ontologique de Descartes ou l’occasionnalisme de Malebranche. C’est lui qui organisera le mariage du jeune David.

Baba et David vont entreprendre une incroyable tournée musicale à travers tout le Maroc : Tétouan, Tanger, Meknès. Dans cette dernière ville, on découvre Mimoun. « Mimoun détenait le monopole des prépuces qu’il recueillait auprès des circonciseurs. Plutôt que de les enterrer comme le veut le rite, il les moulait, les diluait dans de l’eau-de-vie et donnait les décoctions à boire aux femmes stériles en échange de l’engagement de donner son nom au garçon qui naîtrait grâce à son remède ». À Meknès, les deux « vedettes » sont reçues avec les honneurs en présence des plus hautes autorités rabbiniques, chrétiennes et musulmanes. « Les képis se mêlaient aux casquettes, les bonnets aux bérets, les tarbouchs aux toques. Les sarouals côtoyaient les pantalons, les robes, les djellabas. Les babouches conversaient avec les bottes, les sandales avec les chaussures ». Puis c’est Fès, Marrakech et Mogador-Essaouira, des villes qui, toutes, aux yeux de nos deux héros, « avaient vécu trop longtemps en vase clos pour ne pas dégager des relents de moisi ».

Puis, c’est le retour à Casablanca, une ville où « les rabbins étaient si nombreux que le titre de rabbi désignait désormais un chômeur patenté ».
Au départ interprète de chants religieux et spécialiste du Cantique des Cantiques, David va peu à peu enrichir son répertoire de chansons populaires s’imposant comme le plus grand troubadour des communautés juives du Maroc. Il finira par épouser Deborah, la fille de Baba. Tout ce beau monde choisira de monter en Israël où les maabarot s’avéreront un véritable cauchemar : « Des mouches, des cafards et des lézards ». Sans compter les controverses et les tensions communautaires. La déception, quoi ! « Au Maroc, ils étaient humiliés comme Juifs ; en Israël, ils le sont comme Marocains » ;
Époustouflant ! À découvrir absolument.

 

Jean-Pierre Allali

(*) Éditions May/ Matanel  Foundation. 366 pages.