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Discours de Francis Kalifat, Président du Crif, à la commémoration du soulèvement du ghetto de Varsovie
Paris, le 17 avril 2019
Monsieur le Président du Mémorial de la Shoah, cher Eric,
Madame l'Ambassadrice d'Israël
Monsieur l'ambassadeur de Pologne
Chers Beate et Serge Klarsfeld,
Pasteur François Clavairoly, Président de la Fédération Protestante de France
Monseigneur Emmanuel, Métropolite de France
Monsieur Slimane Nadour, représentant Dalil Boubakeur, recteur de la Mosquée de Paris
Monsieur le Maire,
Madame Marie-Christine Lemardelet adjointe à la Maire de Paris, représentant Anne Hidalgo,
Mesdames et Messieurs les Présidents
Mesdames et Messieurs Survivants de la Shoah
Chers amis de la Commission du Souvenir du Crif
Mesdames et Messieurs,
En 1943 le judaïsme polonais, qui représentait 20% du judaïsme mondial avant–guerre, est quasi englouti. Les hommes, les femmes et les enfants qui le composaient ont péri massivement en Pologne dans les centres de mise à mort allemands.
Le 19 avril 1943, quand les troupes nazies entrent dans le ghetto de Varsovie, elles sont attendues par plus de 700 combattants juifs.
C’est cet évènement dont l’écho a retenti bien au-delà de la Pologne que nous commémorons aujourd’hui.
La révolte du ghetto, quasi vidé par les rafles de 1942, est une action défensive menée en clandestinité par l’Organisation juive de Combat contre la soumission et la mort, c’est un combat dont la dimension est universelle.
Pendant trois semaines, faisant fi de leurs oppositions idéologiques, bundistes, gauche sioniste et sionistes de droite, sont alliés pour l’ultime combat.
Avant de se donner la mort dans le bunker de la mythique Mila 18, Anielewicz et ses troupes tirèrent jour et nuit depuis toutes les caches que l’OJC avait mis en place des mois auparavant.
C’est seulement le 15 mai 1943, après la destruction de la grande synagogue, que le général SS Jurgen Stroop écrit à Berlin : « Le quartier Juif de Varsovie n’existe plus. »
L’issue, si elle était fatale, était cependant en totale rupture avec l’image du juif pleutre et lâche qui a tant habité l’imaginaire.
Marek Edelman, un des rares survivants du ghetto de Varsovie disait : « En nous soulevant, nous avons rappelé notre appartenance au genre humain. En prenant les armes contre ceux qui voulaient nous anéantir, nous nous sommes raccrochés à la vie et nous sommes devenus des hommes libres. »
Les derniers juifs du ghetto ont décidé de se battre, et en s’engageant sur la voie du combat, ils ont réinscrit le peuple juif dans la part héroïque de son histoire.
Les combattants juifs du ghetto, devenus de véritables héros de la Résistance, incarnent tous les révoltés des autres ghettos et des centres de mise à mort.
A travers cette commémoration, nous rendons hommage à la résistance juive et à ses combattants qui n’ont pas vu la victoire des Alliés, mais aussi à toutes les victimes de la Shoah qui n’ont pas eu les moyens de prendre les armes et parmi eux un million et demi d’enfants.
L’histoire de la Shoah s’écrit encore aujourd’hui et la France compte dans ses rangs d’éminents historiens qui continuent d’analyser ses rouages.
Les violences subies par les Juifs, motivées par idéologie et par intérêt lucratif, prennent leurs sources dans l’antisémitisme.
Les clichés antisémites millénaires sur le supposé argent des Juifs, sur leur puissance économique, leur contrôle de la presse et des médias, ou sur le grand complot juif, ont nourri l’antisémitisme depuis de nombreuses générations.
On sait combien ces stéréotypes mués en certitude ont stimulé le passage à l’acte.
L’histoire du soulèvement du ghetto de Varsovie nous renvoie aussi à l’évidence aux relations entre Juifs et Polonais.
L’introspection historique qui a été menée courageusement par certains historiens polonais accusés aujourd’hui de sentiments anti patriotiques, est au contraire une introspection politique et morale guidée par un impératif devoir de vérité.
Pourquoi bâillonner l’histoire ?
Bien sûr, chacun doit savoir que la Pologne a été victime des nazis, que son intelligentsia a été décimée, que des millions de Polonais non-Juifs sont morts pendant la guerre, et que si les camps d’extermination se trouvaient en Pologne ils n’étaient nullement des camps « polonais », mais bien des camps nazis sur le territoire polonais.
Et il faut rendre hommages aux 6620 Justes polonais qui ont sauvé des juifs au risque de leurs vies. Ils sont la face lumineuse de cette tragédie.
Nous ne l’oublierons jamais.
Pourtant cette lumière ne saurait effacer une autre réalité :
Numérus clausus dans les universités, restrictions bancaires et violences physiques dans l’entre-deux guerres…….
Mais aussi dénonciations, assassinats, dont certains sont survenus une fois la guerre finie, spoliations, beaucoup de spoliations, et aussi indifférence, beaucoup d’indifférence.
Si le gouvernement polonais s’est exilé à Londres, les Polonais, eux, ont bien été les témoins de la mise à mort de millions de Juifs polonais et de celle des millions de Juifs qui ont été déportés en Pologne pour y être assassinés.
Ces 3 millions de Juifs polonais vivaient à leurs côtés, dans leur pays, dans leurs villes et dans leurs campagnes.
Parce que la Pologne tient cette position singulière, il est naturel que les historiens étudient au plus près l’attitude des Polonais vis-à-vis des Juifs pendant la Shoah.
Et il ressort aussi de ces études une certaine responsabilité Polonaise.
Responsables quand en 1941 la totalité des Juifs de Yedwabne sont brulés dans la grange du village par leurs voisins, responsables quand en 1946 les Juifs de Kilcé subissent un pogrom alors que les nazis sont vaincus, responsables quand certains juifs ont cherché refuge auprès de leurs voisins qui les ont assassinés.
Nous le savons, l’histoire n’est pas une vue de l’esprit, c’est une science qui s’appuie sur des faits et des archives : il faut laisser la parole aux historiens et savoir reconnaître le rôle de chacun à un temps donné. C’est ce qu’a fait la France, c’est ce qu’a fait le Président Chirac en 1995 en reconnaissant la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs.
Nous craignons le retour d’une brutalité qui s’illustre notamment à travers une presse d’extrême droite violente qui titrait le mois dernier « Comment reconnaitre un Juif ? », qui s’illustre aussi à Paris lorsque la très sérieuse E.H.E.S.S. organise un colloque international sur « La nouvelle histoire polonaise d’histoire de la Shoah » et que ses travaux sont perturbés violement par des militants nationalistes polonais, scandant des slogans antisémites.
Oui ! Tout cela nous choque et nous interroge.
Tout autant que nous choque et nous interroge la réponse du gouvernement polonais à Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur qui je cite souhaitait: « une expression claire (…) visant à distancier le gouvernement polonais de ces perturbations »
La réponse du gouvernement polonais à notre ministre, minimisant les faits et les paroles antisémites, fustigeant les historiens comme des ennemis de la Pologne et enfin, renvoyant la France à ses problèmes actuels, apparaît comme un déni du réel.
Nous sommes réunis pour dire ici l’histoire du soulèvement du ghetto de Varsovie.
C’est avant tout l’histoire d’une jeunesse.
Une jeunesse qui était parfois en rupture avec l’enseignement des pères, qui s’est abreuvée d’idéaux et d’espoirs anéantis bien avant leur concrétisation.
Il n’y a pas de passage à la modernité sans rupture avec les usages les plus habituels, il n’y a pas de révolution intellectuelle sans l’apport des sciences et des arts.
Nous formulons le simple vœu que la jeunesse polonaise choisisse la voie du débat et de la vérité des faits car,
La grandeur d’une nation, je l’ai déjà dit, réside dans son courage à regarder son histoire en face.
76 ans plus tard nous sommes là et nous nous souvenons.
Notre souvenir n'est pas que l'évocation d'une histoire qui fut
Churchill disait :
"Un peuple qui oublie son passé, se condamne à le revivre".
Alors n’oublions pas.