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Publié le 10 mars sur le site de BFM
Prenez un concours de chant qui réunit une Europe toujours plus divisée politiquement. Organisez-le en Israël, berceau de l'un des conflits qui déchaînent les plus vives passions du monde contemporain. Vous aurez une idée des auspices sous lesquels se dessine l'édition 2019 de l'Eurovision.
Depuis la victoire de l'israélienne Netta Barzilai avec la chanson Toy, le 12 mai dernier à Lisbonne, la perspective d'une Eurovision moyen-orientale attise les colères à travers le monde occidental. Le choix de Tel Aviv comme ville-hôte (après la polémique née de l'éventualité d'une organisation à Jérusalem) avait suffi à générer des tensions. À quelques mois de la finale du concours, le 18 mai, retour sur les (déjà) nombreuses polémiques qui ont entaché cette 64e édition.
Calendrier compliqué
C’est en Islande que les premières réticences se sont fait sentir. Trois jours après la victoire d’Israël à l’Eurovision 2018, une pétition appelant au boycott de l’édition 2019 y recueillait 8.000 signatures. La veille, plus de 60 Palestiniens avaient été tués par des tirs israéliens, alors qu'ils manifestaient dans la bande de Gaza contre le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem. Faisant du lundi 14 mai 2018 la journée la plus meurtrière du conflit depuis 2014.
Une semaine après ces affrontements, Netta Barzilai et sa chanson ont fait l’objet d’une parodie très politique aux Pays-Bas. Reprenant la tenue et les mimiques de la chanteuse, l’actrice et artiste de cabaret néerlandaise Sanne Wallis de Vries y déclamait des paroles hostiles à l’État hébreu.
Le ministère israélien des Affaires étrangères avait estimé que cette parodie "comportait malheureusement des allusions antisémites comme se moquer de la nourriture casher ou se référer à l'argent, dans la vieille tradition antijuive", rapportait l'AFP. La télévision néerlandaise BNNVARA s’en était défendue, expliquant que "les événements de la semaine passée (du 14 mai) étaient) abordés de manière satirique."
Profusion d'appels au boycott
Depuis, les voix critiques se sont faites entendre un peu partout. En septembre, plus de 140 artistes internationaux appelaient au boycott du concours, parmi lesquels les Français Jacques Tardi, Francesca Solleville ou encore Alain Guiraudie, pointant du doigt "la privation des droits fondamentaux" des Palestiniens. Et en janvier dernier, une cinquantaine d’artistes britanniques demandaient à la BBC de ne pas diffuser le concours pour les mêmes raisons:
Des appels au boycott ont également résonné en France, par le biais de militants pro-palestiniens qui ont brièvement envahi le plateau de Destination Eurovision, le télé-crochet organisé par France 2 pour désigner le représentant de l'Hexagone.
L'hostilité à la politique de l’État hébreu pourrait s’inviter jusque sur la scène du concours. Le groupe Hatari, qui représentera l’Islande, ne cache rien de ses sensibilités pro-palestiniennes et semble bien décidé à les mettre en avant. S’ils ne sont pas disqualifiés - le règlement de l’Eurovision interdit toute prise de position politique - les Islandais comptent utiliser la scène de l'Eurovision pour faire passer leur message. Un membre du trio, resté anonyme, a par ailleurs invité le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu à affronter le groupe lors d’un match de glima, lutte scandinave.
Sans oublier l'Europe...
À ces polémiques s’ajoutent les controverses, moins inhabituelles, propres à chaque pays. Tous les ans, l’Eurovision s’accompagne de tensions intra-européennes et le cru 2019 ne fait pas exception à la règle. L’Italie se divise déjà sur son candidat, le chanteur Mahmood, sur fond de xénophobie. L’artiste a été élu lors du festival San Remo, institution locale de la chanson, sauvé grâce aux votes du jury alors que le public ne lui avait accordé que 14% des voix, contre 46% pour le favori Ultimo.
Sa chanson, qui allie pop, rap, sonorités orientales et quelques mots d’arabe - le chanteur a des origines égyptiennes - a valu à Mahmood des commentaires racistes sur les réseaux sociaux. Matteo Salvini, ministre de l’Intérieur et patron de l’extrême-droite, a quant à lui fait part sur Twitter de sa déception face à l’élection du chanteur.
L’Ukraine, de son côté, a dû déclarer forfait fin février, après le refus de quatre formations musicales de la représenter. Maruv, chanteuse élue grâce au Destination Eurovision locale, a assuré que le diffuseur national UA:PBC exigeait qu’elle ne se produise plus en Russie. "Je suis une musicienne, pas un outil de l’arène politique", a-t-elle déclaré. Les trois artistes suivant dans la sélection ont décliné l’offre de la remplacer.
C’est là le dernier épisode des tensions entre la Russie et l'Ukraine, jusque sur la scène de l’Eurovision, sur fond d'annexion de la Crimée par la Russie. En 2016, la candidate ukrainienne avait remporté le concours. avec une chanson sur la déportation des Tatars de Crimée par Staline. Et en 2017, la représentante russe n’avait pas pu pénétrer sur le sol ukrainien, qui organisait le concours cette année-là.
... ni la France
En France aussi, la qualification du représentant a apporté son lot de polémiques. D'anciens tweets de Bilal Hassani, publiés lorsqu'il avait 14 ans ont ainsi été exhumés. Il y accusait notamment Israël de "crime contre l’humanité". Le chanteur aujourd’hui âgé de 19 ans a réagi en assurant que ces propos n’étaient pas les siens, et que plusieurs personnes avaient accès à son compte à l’époque. Un sénateur LR a par ailleurs réclamé son éviction, accusant le jeune chanteur de "banalisation du terrorisme". Bilal Hassani s'est défendu de ces allégations dans Le Parisien.