- English
- Français
Publié le 8 février dans 20Minutes
La silhouette s’est avancée doucement vers la présidente de la cour d’assises, le buste ostensiblement tourné vers le box des accusés et le regard aimanté par le visage de ce « fantôme de Syrie ». Nicolas Hénin, accompagné de son confrère Didier François, a retrouvé ce jeudi et pour la première fois ce geôlier « sadique », « fantasque » et « narcissique » qui a hanté leur détention en Syrie.
Enlevés par Daesh en 2013 aux côtés des journalistes et photographe Pierre Torres et Edouard Elias, les deux reporters ont livré au tribunal le récit brutal et surréaliste de leur captivité. Assis à quelques mètres de leur geôlier, tous deux l’ont répété à la cour : Mehdi Nemmouche alias « Abou Omar », actuellement jugé pour la tuerie du musée juif de Bruxelles, est bien celui qui les a brutalisés et terrorisés lors de leur détention à Alep.
« Nos nuits étaient meublées du bruit des tortures »
Depuis l’ouverture de son procès le 10 janvier, Mehdi Nemmouche n’a pas dit un mot ou si peu. Faisant valoir son « droit au silence », qu’il a fini par abréger en simple « D-A-S » lancé à la cour d’assises, l’accusé n’a rien livré de son parcours, rien dit de son tempérament. Un vide rempli ce jeudi par les sinistres souvenirs de Nicolas Hénin et Didier François, entendus en qualité de témoins. Le premier, journaliste au Point lors de son rapt, a minutieusement dépeint ces dix mois passés sous le joug de Daesh.
« La tournée des toilettes que nous redoutions le plus était celle du soir, menée par les djihadistes européens. Il était très fréquent que nous recevions des coups, pendant que nous avancions tête baissée, en file indienne, jusqu’aux toilettes (…) Quand cette tournée était finie commençaient les tortures (…) généralement sur des Syriens, jusqu’à la premiere prière du matin. Nos nuits étaient meublées du bruit des tortures. Du bruit des coups. Du bruit des hurlements », a-t-il retracé. Son collègue, journaliste pour Europe 1, ajoute :
Membre de l’équipe chargée de les surveiller entre juillet et décembre 2013, Mehdi Nemmouche ou « Abou Omar » prend très vite une place à part dans le quotidien des journalistes.
« À genoux ! On va vous décapiter ! »
Francophone proche de plusieurs djihadistes belges, Nemmouche est passionné par les faits divers et l’émission Faites entrer l’accusé, fin connaisseur du djihad et du conflit en ex-Yougoslavie, il interagit régulièrement avec les otages. Didier François raconte, volubile : « Il y avait des moments surréalistes où Nemmouche faisait des blagues, qui me faisaient parfois rire. Il me vannait sur la combinaison orange qu’on m’avait donnée en me disant "ça te va bien ton costard en peau de saumon fumé mon petit Didier" ». Dans le box, l’accusé toujours muet se gondole, visiblement amusé à l’évocation de ce souvenir commun.
Nicolas Hénin, lui, n’a rien oublié des manipulations « sadiques » de celui qu’il nomme « mon tortionnaire ». « Une nuit (…) ils (parmi eux, Abou Omar) sont rentrés avec un sabre traditionnel et ils se sont mis à hurler "À genoux ! On va vous décapiter !" Ils nous bousculent, nous malmènent. Puis rien, et ils sont repartis en riant ». Prudents, les « gros bras » de Daesh apparaissent presque systématiquement masqués. Lors des rondes quotidiennes pour les toilettes, Nicolas Hénin et Didier François tentent parfois de ruser, de soulever le bandeau qui leur est imposé, captent un regard, la forme d’un visage. Mais c’est la voix, les gestes et l’attitude de Nemmouche, immortalisés sur les vidéos qui leur sont présentées par les enquêteurs après l’attentat du musée juif de Bruxelles, qui permettront aux ex-otages de l’identifier.
« C’est lui qui foutait les coups »
Convaincu du caractère prémédité de l’attentat du musée juif, Didier François s’est justifié : « Il parlait beaucoup de Mohamed Merah –"le plus grand homme que la France ait produit" selon lui– et avait des flambées antisémites, il disait qu’il avait "envie de fumer une petite israélite avec un calibre" ». Au journaliste d’Europe 1, Mehdi Nemmouche se dépeint, « assez justement » selon le reporter, comme « un petit criminel reconverti dans le nettoyage ethnique religieux ». Complexe, l’homme est considéré par l’otage comme « dangereux », « violent » : « C’était le bras armé, c’est lui qui foutait les coups, qui mettait les baffes et la pression ».
Son confrère, Nicolas Hénin estime que Nemmouche a, petit à petit et sous leurs yeux, « construit » son parcours criminel : « Il connaissait les avocats pénalistes, les jaugeait et parlait déjà de son procès. Il était ravi qu’on soit témoin de cette "aventure"». Inspiré, l’accusé lui lance un jour au fond de sa cellule : «Et toi, tu seras témoin à mon procès ! ». Cinq ans après, le face-à-face a bien eu lieu.