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Publié le 1er février dans Le Point
Clément Weill-Raynal est le journaliste qui, en 2013, a filmé avec son téléphone et révélé le trop fameux « mur des cons ». Ce collage de photos de personnalités politiques, artistiques, des médias et de la justice était installé dans les locaux du Syndicat de la magistrature. La polémique fut énorme et lui valut dans un premier temps d'être mis à pied par son employeur France3. Il a raconté ce pan de sa vie professionnelle quelques mois plus tard dans Le Fusillé du mur des cons (éd. Plon). Toujours salarié de France Télévisions, il a suivi avec attention et acuité le procès qui s'est tenu en décembre dernier. Jeudi 31 janvier, Françoise Marter, alors présidente du syndicat a été condamnée à verser des indemnités pour compenser le préjudice subi par Philippe Schmitt, le père de l'une des victimes. Le tribunal a estimé que l'ex-responsable, arrivée à la tête du SM à un moment où le « mur » n'était vraisemblablement plus mis à jour, « a contribué au maintien de cet affichage » par son « inaction » pour le faire enlever, et que les faits ne sont pas prescrits. Les juges ont étrillé « une composition collective obéissant à des règles définies par les membres du syndicat et n'ayant jamais fait l'objet d'une remise en cause de leur part ». Alors que le jugement est déjà décrié pour sa bienveillance, Clément Weill-Raynal se montre plutôt satisfait de la décision des juges de la 17e chambre correctionnelle de Paris.
Le Point : Que vous inspire le jugement rendu dans l'affaire dite du « mur des cons » ?
Clément Weill-Raynal : On peut saluer l'indépendance des juges qui ont rendu ce jugement. Je vous rappelle que depuis le début de l'affaire, le parquet s'est opposé aux poursuites et a fait feu de tout bois pour que le procès ne se tienne pas. Eh bien, il a eu lieu et s'est déroulé de manière exemplaire. Contrairement à ce qui a été avancé de manière inexacte par certains journaux, ce n'est pas une relaxe, mais bien un jugement de condamnation qui a été prononcé ! Le tribunal a considéré que le « mur des cons » constituait une injure publique à l'encontre de tous ceux qui y étaient épinglés et il a motivé son jugement de manière très sévère à l'égard du Syndicat de la magistrature. Les juges de la 17e chambre correctionnelle ont rejeté l'argument selon lequel il ne s'agirait que d'une « blague de potache » ou encore d'une réaction de légitime défense de la part de magistrats agressés par le pouvoir politique… Mais surtout, le tribunal a souligné que ce « mur des cons » était une œuvre « collective » et que la faute morale retombe non seulement sur la présidente du Syndicat, mais sur tous ceux qui ont participé à l'édification de ce pilori politico-judiciaire. À mon sens, ce jugement est bien la condamnation d'une dérive militante dans laquelle se sont laissés entraîner des magistrats qui avaient pourtant fait le serment de rendre une justice impartiale.
Françoise Martres a été condamnée à 500 euros avec sursis au profit d'une seule victime, ce n'est pas beaucoup…
Cinq cents euros d'amende avec sursis (qu'elle ne versera donc pas au Trésor public), mais elle a également été condamnée à payer 15 000 euros de dommage et intérêts (au titre du préjudice moral et des frais d'avocats) au général Schmitt ! Ce père d'une jeune fille assassinée par un multirécidiviste s'est retrouvé épinglé sur le mur de l'infamie pour avoir, dans sa douleur, eu le grand tort de critiquer le laxisme de la justice. Dans ce dernier cas, les juges de la 17e chambre correctionnelle ont considéré que le délit d'injure publique était largement constitué. Le cas du général Schmitt est le plus emblématique. Il résume à lui seul le scandale du « mur des cons ».
La justice veut-elle ainsi signifier qu'elle est capable de montrer du doigt ses moutons noirs ?
Lorsque l'affaire a éclaté, il y a six ans, l'émotion a été considérable dans l'opinion. De nombreux magistrats ont également été choqués d'apprendre l'existence de ce mur. Le Syndicat de la magistrature, qui représentait à l'époque environ un tiers de la profession, a d'ailleurs perdu pas mal d'adhérents à la suite du scandale. Reste que le tribunal s'en est tenu à une stricte application du droit en évitant tout « règlement de compte ». Les juges ont souligné que Françoise Martres n'était condamnée que parce qu'elle était la présidente du Syndicat de la magistrature au moment de la découverte du « mur des cons ». Sa mise en place avait commencé du temps de ses prédécesseurs… Mais une fois en poste, elle n'a pas jugé utile de faire retirer ce trombinoscope aux relents de justice maoïste. Dans leurs motivations, les juges ont indiqué qu'elle aurait pu sonner la fin de la récré et faire voter par son bureau le démontage du mur. Quoi qu'il en soit, c'est effectivement la dérive collective de ce syndicat, animé par une conception très militante de la justice, qui a été sanctionnée. S'ils épinglent en ricanant des justiciables en fonction de leurs idées politiques réelles ou supposées, ces magistrats sont-ils en mesure de rendre la justice de manière équitable ? C'est la question que l'opinion s'est légitimement posée. L'affaire a jeté une lumière très crue sur le Syndicat de la magistrature qui bénéficiait d'une image positive, entretenue complaisamment par une partie de la presse.
Pourquoi les demandes de condamnations émanant des personnalités politiques ont-elles été rejetées ?
Pour des raisons de pure forme et non de fond. L'affaire du « mur des cons » relève du droit de la presse qui est un droit complexe, plein de chausse-trappes procédurales. Les députés et les personnalités politiques ont été déboutés, même si le jugement reconnaît qu'ils ont été eux aussi injuriés dans les mêmes conditions que tous ceux qui étaient alignés sur le « mur des cons ».
Selon vous, faut-il interdire aux magistrats de se syndiquer ?
Je ne crois pas, non. Les autres syndicats de magistrats comme l'USM ou FO-Magistrats mènent une action de défense des intérêts de leur profession parfaitement compatible avec les exigences de l'institution. Ce qui me semble être en cause dans cette affaire, c'est précisément un dévoiement de l'action syndicale à des fins politiques. On a vu le résultat !
Finalement avec cette condamnation, on peut encore avoir confiance dans la justice de son pays ?
On peut ne pas désespérer de la justice. Il faut se garder de toute appréciation trop globale. Il y a de bonnes et de moins bonnes décisions. Le jugement du « mur des cons » est à mon sens un bon jugement.