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Depuis la seconde Intifada, en 2000, il y a une montée spectaculaire des actes (atteintes aux personnes et aux biens) et des menaces (intimidations, graffitis, tracts) contre les juifs de France. Comment l’expliquer ? Des individus sont animés par un sentiment d’hostilité à Israël plus ou moins diffus, exacerbé par la médiatisation d’affrontements au Proche-Orient. Ceci facilite leur projection dans un conflit, qui à leurs yeux, reproduit des schémas d’exclusion et d’échec dont ils se sentent victimes en France. À force de lire et de rabâcher que les Israéliens se comporteraient comme des monstres ; à force à l’inverse, d’idéaliser la cause palestinienne, érigée en nouvelle lutte des peuples, certains esprits faibles s’en prennent, à défaut d’Israéliens, aux Juifs. Les cibles sont assimilées aux Israéliens, c’est-à-dire aux oppresseurs. N’oublions pas par ailleurs, que les islamistes travaillent les banlieues, ils savent désigner l’ennemi ou les ennemis (les Juifs, la France…). Pour eux, les Juifs et, dans une moindre mesure, les chrétiens, ont rejeté le Prophète et l’islam. Dans les prêches ou sur Internet, ils présentent ainsi une vision complotiste d’un islam prétendument menacé par les Américains, les Européens et les Juifs. Ajoutons que les vieux stéréotypes sont toujours là. Le meurtre tragique d’Ilan Halimi résulte bien de la survivance d’un antisémitisme structurel qui s’appuie sur de vieux clichés nauséeux – les mêmes depuis des siècles. Tout cela se faisait/se déroule encore dans un contexte où l’antisémitisme a conquis son droit de cité planétaire en/dès août 2001, à Durban, en Afrique du Sud, lors de la Conférence de l’ONU contre le racisme. Le conflit israélo-palestinien, qui n’avait rien à y faire, a occupé tous les participants et Israël a été mis au ban des nations.
Sur le long terme également et depuis la fin des années 90, ces chiffres sont extrêmement préoccupants. Disons d’abord que onze personnes ont été assassinées, parce que juives. Détaillons. En 1998, 81 actes antisémites avaient été comptabilisés et 82 en 1999. Avec des pics extrêmes en 2000 (744 actes), en 2002 (936), en 2004 (974), en 2009 (832), en 2012 (614), en 2014 (651), en 2015 (808). Certes, le nombre total d’actes antisémites signalés en 2017 (311) est plus faible si on dresse une comparaison avec les pics signalés plus haut (des années 2002, 2004, 2009, 2012, 2014, 2015). Mais ce chiffre est plus élevé que les actes qui avaient été recensés en 1998, et en 2001. En résumé, depuis le mois d’octobre 2000 et jusqu’à fin 2017, 10586 actes antisémites ont été recensés en France. Pour comprendre l’étendue du problème, il convient de rappeler que la communauté juive est généralement estimée à 500.000 personnes, soit 1% environ de la population totale. La proportion des actes antisémites au sein des actes racistes en 2015 étaient de 40% et en 2016, de 30%. La communauté juive est donc touchée de manière totalement disproportionnée par ces violences.
Comment s’étonner dans ces circonstances que cette montée des actes génère un sentiment d’insécurité croissant. L'étude, conduite en septembre 2015 par l’IFOP auprès d’un échantillon de 724 personnes se déclarant de confession ou d’origine (au moins un parent) juive, le démontre. 63 % des sondés jugent qu’il y a « beaucoup de racisme anti-juif » en France. 43 % des sondés affirment avoir déjà été « agressés parce que juifs » ; 51 % avoir fait « l’objet de menaces parce que juifs » ; 63 % avoir été « insultés parce que juifs ». Cette perception est particulièrement élevée chez les plus pratiquants, qui sont des cibles repérables en signes extérieurs de leur appartenance religieuse. Assurément c’est ce que veulent les antisémites, les islamistes, les fanatiques. Susciter un sentiment de peur, d’effroi, de panique. Frapper les Juifs là où ils se trouvent, quelque puisse être le mode opératoire (menaces, violences, autres) et les cibles (enfants, personnes âgées, écoles...). Les langues se délient, sur les réseaux sociaux et sur le Net, les Juifs sont malmenés, injuriés, diffamés. Il est de bon ton de jeter les Juifs aux chiens. Comment s’étonner dans ces conditions, que les Juifs qui doivent affronter des torrents de boue, l’indifférence crasse et/ou s’entendre dire que l’on parle trop d’eux, choisissent de quitter la France.
Marc Knobel, historien, directeur des Etudes au Crif