Etudes du CRIF
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Publié le 18 Janvier 2018

#EtudesDuCrif - Etude N°47 : "A la conquête de la modernité - Les peintres juifs à Paris", par Anne Le Diberder

C’est une véritable galerie de portraits qui nous est proposée dans ce nouveau numéro de la Collection des Études du Crif.

"A la conquête de la modernité - Les peintres juifs à Paris", par Anne Le Diberder - Les Études du CRIF n°47, dirigée par Marc Knobel. Janvier 2018. 38 pages. 10 euros.

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C’est un numéro particulièrement original qui nous est proposé avec la nouvelle livraison des Études du Crif que dirige avec brio Marc Knobel. En effet, loin des questions politiques et sociétales habituelles, nous pénétrons dans le domaine prestigieux de l’art, de l’art juif en particulier. « Existe-t-il un art juif » se demandait Dominique Jarrassé dans un ouvrage éponyme en 2006 (1).

Pour l’auteure, historienne de l’art et directrice de la maison-atelier Foujita, la réponse est incontestablement positive, malgré l’interdiction contenue dans le deuxième commandement : « Tu ne feras point d’idole, ni une image quelconque de ce qui est en haut du ciel, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux  au dessous de la terre » (Exode XX, 1-4). C’est que les artistes juifs, enfants de la Haskala et des Lumières, ont pris le parti de la liberté, de l’indépendance intellectuelle et de la transgression artistique. L’auteure rappelle d’ailleurs que le jeune Chaïm Soutine fut roué de coups au point d’être hospitalisé lorsque, à onze ans, il fut surpris par le fils d’un rabbin, alors qu’il dessinait son père. L’art juif, il convient de le préciser, ce n’est pas nécessairement l’introduction de thèmes juifs dans les œuvres, mais, avant tout, une certaine sensibilité spécifique à « l’âme juive ». C’est une véritable galerie de portraits qui nous est proposée dans cette belle « Étude » à la rencontre de ces hommes et de ces femmes, Juifs parfois convertis à la chrétienté, venus de loin, de Russie et d’Allemagne, de Pologne et de Biélorussie, de Lituanie, de Bulgarie, d’Italie ou encore de Hongrie, et qui se sont retrouvés à Paris, à La Ruche, dans les cafés de Montparnasse, Le Dôme, La Coupole, La Closerie des Lilas, la Cité Falguière ou encore au Bâteau-Lavoir à Montmartre.

La série de portraits s’ouvre sur le poète et critique d’art, Max Jacob, alias Léon David, Juif converti au catholicisme, qui sera arrêté le 24 février 1944 et transféré à Drancy où il mourra le 5 mars, deux jours avant le départ du convoi n°69 qui devait le conduire à Auschwitz.

Voici les Polonais Moïse Kisling, de Cracovie et les frères Léopold et Maurycy Gottlieb, de Drohobycz. Voici aussi, venu d’Allemagne, Otto Freundlich peintre avant-gardiste, considéré comme « dégénéré » par les nazis et qui mourra en déportation à Sobibor en 1943.

Originaire de Varsovie, Ludwig Casimir Markus, impressionniste, sera connu sous le nom de Louis Marcoussis, un pseudonyme que lui suggéra Guillaume Apollinaire. Il s’inspira comme bien d’autres, de la géométrie non-euclidienne et du fameux « nombre d’or ».

On découvre ensuite les « trois amis » : Chaïm Soutine, Michel Kikoïne dont le fils, Jacob, également peintre, signera sous le nom de Yankel et Pinchus Kremègne, élèves de Fernand Cormon, Et les « Princes de Montparnasse » : Julius Mordecaï Pincas, alias Jules Pascin et Amedeo Modigliani, « L’enfant des Étoiles », dont la compagne, Jeanne Hebuterne, qui ne supportera pas sa mort, en janvier 1920 et se défenestrera, quelques jours plus tard, alors qu’elle était enceinte, laissant orpheline leur petite Jeanne, âgée de deux ans.

Marc Chagall, de l’école de Vitebsk, dont l’œuvre monumentale transcendera la tradition hassidique et qui, avec sa femme, Bella, leur fille Ida et son mari, pourront, grâce à Varian Fry, rejoindre New York. Chagall, on le sait, ce sont notamment  les vitraux de la cathédrale de Reims, le plafond de l’Opéra de Paris ou encore la Bible illustrée. Il fut un ami très proche d’André Malraux.

Les sculpteurs et les femmes ne sont pas oubliés dans ce panorama. On découvre Oscar Mietschaninoff, Ossip Zadkine, Grand Prix de la Biennale de Venise en 1950, Chaïm Jacob Lipchitz dit Jacques Lipchitz, ami du rabbi de Loubavitch et qui est enterré à Jérusalem, Léon Indenbaum dit Liev, qui obtint, en 1958, le Prix Wildenstein de l’Institut de France, Maria Melania Mutterlich dite Mela Mutter, proche du poète Rainer Maria Rilke, Marie-Vorobiev-Steblaska qui travailla notamment pour le couturier Paul Poiret, Khana Orlova, dite Chana Orloff, qui, amie d’Edmond Fleg et de Meïr Dizengoff,  vécut en terre d’Israël et milita à l’Hapoël Hatsaïr. On lui doit une célèbre sculpture de David Ben Gourion. Et, enfin, Anna Priner, alias Anton, béret sur la tête et pipe en bouche, céramiste et peintre réputée.

En épilogue, Anne Le Diberder, si elle convient que le temps de l’École de Paris et de tous ces grands artistes appartient désormais au passé, considère que l’héritage est assuré et que « d’autres artistes se sont emparés de la mémoire juive ». Elle cite en exemple, Joann Sfar et Carole Benzaken, Gérard Garouste et Anselm Kiefer, pour lesquels « les temps révolus ne doivent jamais être oubliés mais dépassés ».

Une contribution remarquable.

Jean-Pierre Allali

(1) Éditions Biro. Voir notre recension dans la Newsletter du Crif en date du 5 septembre 2006.

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