Jean-Pierre Allali
Né le 15 décembre 1920, intellectuel juif d’origine tunisienne, chantre de la dépendance, spécialiste de la colonisation et de la décolonisation, Albert Memmi, dont les ouvrages font autorité dans les universités d’Afrique du Nord et d’Afrique Noire, est souvent considéré comme le « Frantz Fanon tunisien ».
Juif non croyant et non pratiquant, marié en1946 à Germaine Dubach, une Catholique lorraine, inventeur du concept de « judéité », il a participé à la création de l’AJHL, Association pour un Judaïsme Humaniste et Laïque.
Outre ses nombreux livres, il est l’auteur de plusieurs textes publiés dans des revues ou préparés à l’occasion de conférences, textes disséminés ici et là et peu accessibles au grand public.
C’est pourquoi on peut considérer que c’est une excellente idée d’avoir rassemblé bon nombre de ces textes publiés depuis 1945. Les sujets traités sont très divers : la Tunisie, bien sûr, mais aussi l’Afrique Noire, Frantz Fanon, l’Antillais devenu militant algérien, la colonisation, le conflit israélo-arabe, les Juifs de Tunisie et ceux d’Algérie, le cas Spinoza, la figure de Freud, la francophonie, le déracinement, l’identité culturelle, la dépendance…Sans oublier le racisme et l’hétérophobie.
L’ouvrage s’achève par une interview intitulée « Une générosité amusée » accordée à Hervé Sanson en 2016. On sera un peu déçu par cet entretien car il aurait pu être l’occasion d’une réactualisation salutaire. Or, on y revient essentiellement sur les sujets déjà traités dans les textes précédents. On aurait aimé connaître la position de Memmi sur les attentats meurtriers commis dans notre pays ces dernières années au nom de l’islam, le nouvel antisémitisme d’origine musulmane, la tentation islamiste en Tunisie…
On notera par ailleurs avec surprise et non sans un certain dépit, cette réponse d’Albert Memmi à une question ainsi formulée : « On sait très bien que les Palestiniens, ou les Arabes israéliens, sont des citoyens de seconde zone. Ils n’ont pas les mêmes droits que les Israéliens juifs » : « C’est exact. Il faut le dire. Vous savez, je ne recule jamais devant l’expression de la vérité »
Eh bien c’est faux ! Les Arabes israéliens, outre le fait qu’ils ne sont pas astreints au service militaire, bien que certains d’entre eux le fassent de manière volontaire, ont exactement les mêmes droits que leurs concitoyens juifs. Des députés arabes israéliens se permettent même à la Knesset de vilipender l’État dont ils sont les citoyens !
Reste un recueil très intéressant et très instructif. Á découvrir.
Jean-Pierre Allali
(*) Textes réunis et présentés par Hervé Sanson. Éditions Non Lieu. Avril 2017. 368 pages. 22 €.