Rappelons les faits : en 1938, un jeune médecin juif autrichien, Fritz Finaly, qui vient d’épouser Annie Schwarz, juive, elle aussi, réalisant qu’après l’Anschluss, son avenir à Vienne est compromis, décide de quitter le pays. Après bien des détours, il se retrouve à La Tronche, près de Grenoble. Anni mettra au monde Robert Michaël Ruben le 14 avril 1941 puis Gérald Pierre Guédalia le 3 juillet 1942. Parce qu’ils sont profondément attachés à la foi de leurs pères, les Finaly décident, malgré les risques encourus, de faire pratiquer la circoncision sur leurs enfants. En février 1944, la Gestapo arrête les parents Finaly qui sont déportés et assassinés dans les camps de la mort. Les enfants, qu’ils avaient pris soin peu avant de placer discrètement dans une crèche sont finalement confiés à Antoinette Brun.
Après la Guerre, la famille des enfants Finaly, bien que vivant aux antipodes de l’Hexagone, se manifeste. Elle veut, très légitimement récupérer les petits. Antoinette Brun ne le voit pas de cet œil-là. L’affaire commence. De conseils de familles à répétition, de jugements des tribunaux en atermoiements et en manœuvres dilatoires, tout est fait pour contrer la famille naturelle. Jusqu’au jour où Mademoiselle Brun avoue avoir fait convertir les enfants au catholicisme. Pour la communauté juive, religieux et laïcs, rabbins et dirigeants communautaires, journalistes et écrivains, c’est le tollé. Le Rubicon de l’intolérance a été franchi. La gauche laïque et la presse anticléricale sont à ses côtés. Une véritable course d’obstacles commence. Avec la complicité d’ecclésiastiques, les enfants Finaly seront séquestrés en Espagne. Et, finalement, en 1953, ils rejoindront leur famille naturelle en Israël. Ruben deviendra médecin et Guédalia militaire de carrière, puis industriel.
Dans son volumineux travail de recherche effectué avec le concours de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, du Centre National du Livre et du Centre de Recherche Français de Jérusalem, l’auteur tient immédiatement à préciser qu’il convient de jeter un regard sur l’affaire en se plaçant dans les conditions et dans l’esprit de l’époque. Notamment en milieu chrétien. Car il fut un temps où le caractère irréversible du baptême était considéré comme un dogme. Plus tard, avec Vatican II, une tout autre vision du monde et des rapports entre les religions se dessinera.
Il n’est pas inintéressant de rappeler, comme le fait Catherine Poujol, qu’à l’époque, deux procès faisaient les manchettes de la presse : le procès des responsables du massacre d’Oradour-sur-Glane et l’affaire Finaly. Des commentateurs n’hésitaient pas à évoquer l’Affaire Dreyfus ou encore celle du jeune juif Edgardo Mortara converti subrepticement en Italie et qui deviendra curé.
L’auteur explore avec minutie la presse nationale : La Croix, Le Figaro, Le Populaire, Franc-Tireur, L’Observateur, Le Monde, la presse chrétienne, Témoignage Chrétien, Esprit, Réforme, la presse extrême, Rivarol, Aspects de la France et, bien entendu, la presse juive, La Terre Retrouvée, Le Journal des Communautés, Les Cahiers de l ‘Alliance, La Vie Juive….
Elle examine le rôle dans le déroulement de l’affaire des institutions et des congrégations chrétiennes comme celui des organisations juives : CRIF, Consistoire, Alliance Israélite Universelle, C.J.M., Joint, OSE, et donne des portraits très détaillés des principaux protagonistes : Jacob Kaplan, Wladimir Rabi, Moïse Keller, Antoinette Brun, le père Chaillet, Monseigneur Gerlier, Mère Antonine et bien d’autres.
Parmi les axes de réflexion auxquels nous conduit Catherine Poujol, on peut relever : le fait que bien d’autres affaires similaires, qu’il est difficile de quantifier, se sont nécessairement déroulées sur le territoire français, la dimension antisioniste qui a conduit bien des tenants de la non-restitution à arguer du fait qu’il y avait un risque de voir grossir les effectifs démographiques du nouvel État juif honni, pour refuser de rendre les enfants à leur famille, une certaine tendance à mettre en accusation toute l’Église catholique et, surtout, la dimension basque de ce rapt dans lequel il faut voir, ce qui n’était peut-être pas évident jusqu’ici, une lutte d’influence entre le caudillo espagnol Franco et les nationalistes basques.
S’il est incontestable, et Catherine Pujol le reconnaît, qu’il serait malvenu, d’initier un procès en béatification du pape de l’époque, Pie XII, comme cela a été envisagé, il convient aussi de mesurer l’énorme chemin parcouru depuis Vatican II dans les rapports judéo-chrétiens dans lesquels l’affaire Finaly aura joué le rôle d’un déclencheur salutaire.
Avec calme mais aussi avec honnêteté, il faudra, au fur et à mesure que les archives, notamment chrétiennes, sont mises à la disposition des historiens, déterminer avec de plus en plus de précision, les contours de toutes les questions qui ont opposé, par le passé, Chrétiens et Juifs.
Les "enfants" Finaly lors d'un passage à Paris.
De g à d: Robert Finaly, Jean-Pierre Bansard, Gérald Finaly et son épouse.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Berg International. Avril 2006. 320 pages. 24 €