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Hommage à Sabine Zlatin
1987 : le procès Barbie
2017 : l’Ain rend hommage à la dame d'Izieu
30 ans après la condamnation de Klaus Barbie pour crimes contre l’humanité ,30 ans presque jour pour jour après le verdict a eu lieu la révélation du nom du collège de Belley
44 enfants raflés en 1944...et aujourd'hui 1000 élèves de 30 communes alentour qui iront chaque matin au collège Sabine Zlatin (directrice de la colonie d'izieu)
Symbole fort, travail de mémoire, engagement de la communauté éducative et des acteurs locaux. Toute la représentation institutionnelle était présente ce 26 juin, préfet, rectrice, ancien ambassadeur...
Soulignons l’engagement sans faille du président du département de l 'Ain Damien Abbadide la principale du collège, de l’équipe des salariés de la Maison d 'izieu, de son conseil d'administration et de son président Thierry Philip pour qu’une telle action ait pu avoir lieu.
Quel espoir pour demain que de regarder les visages de ces collégiens si attentifs à l’histoire de cette femme d’exception contée par Frédéric Gersal, quel espoir pour la transmission aux générations futures de la mémoire de ces 44 enfants et leurs éducateurs. Les valeurs d’humanité et la pérennisation de la mémoire de la Shoah des enfants sont inscrites au fronton d'un collège de la République, le " collège sabine Zlatin".
Prise de parole de M. Hervé SULTAN, Vice-Président du Crif Auvergne- Rhône-Alpes
Cérémonie du 2 juillet 2017 - Rillieux La Pape
1 - Demain, Lundi 3 juillet, à 21h30, à l’occasion du 30e anniversaire du procès Barbie, à Lyon, 1er procès pour crime contre l’Humanité jugé en France, va se dérouler une cérémonie solennelle à l’intérieur et sur le parvis du Palais de Justice (24 colonnes), au cours de laquelle on pourra entendre, entre autres, la liste des noms des victimes de Klaus Barbie, dont celles toutes juives de la rafle de la rue Sainte-Catherine ou de la rafle de la colonie d’Izieu.
Demain au Palais de Justice, on n’entendra pas les noms de ces 7 hommes, 7 otages, 7 martyrs à qui nous rendons hommage ce matin à Rillieux la Pape…Les noms de Claude Benzimra, Leon Glaeser, Louis Kriskowski, Siegfried Prock, Maurice Schusselman, Emile Zeizig et cet homme sans identité d’environ 25 ans sont gravés dans notre mémoire. Oui, c’est la même barbarie, la même haine, cette haine antisémite qui les a conduits à ce destin tragique et injuste.
Au nom du Crif Auvergne Rhône Alpes, je voudrais remercier la mairie de Rillieux la Pape, le Département, la Région d’avoir su pérenniser cette cérémonie commémorative du 29 juin 1944.
Des cérémonies où je me souviens avoir croisé à plusieurs reprises, Gérard Benzimra, le frère d’un des fusillés, présent malgré son âge et la fatigue. Je me rappelle également la participation d’un « conseil municipal des enfants »…venu écouter la narration de l’histoire et l’explication morale des faits et atrocités commises il y a aujourd’hui 73 ans.
2 - Les 28 et 29 juin 1944, nous sommes déjà plus de 3 semaines après le débarquement des alliés sur les côtes de Normandie. La guerre touche à sa fin et est pratiquement perdue pour l’Allemagne nazie et ses collaborateurs. Et pourtant…L’élimination, à Paris, par des résistants, du secrétaire d’état à l’information et à la propagande de Vichy, Philippe Henriot, va provoquer la fureur des miliciens de Lyon, qui, sur ordre de Paul Touvier, vont se lancer dans une traque macabre pour trouver des otages juifs qui devaient « payer ». Aucun de ceux qui ont été arrêtés, incarcérés, puis emmenés devant ce mur pour être froidement assassinés, n’était résistant. …mais Ils étaient tous juifs.
Emile Zeizig était l’un d’eux…Extirpé de son commerce à Ste Foy les Lyon, tabassé devant son épouse, dépouillé de tous ses biens, lui qui croyait tant en la France, au point de s’être inscrit volontairement sur les listes de français juifs réclamées par Vichy,…..fut incarcéré, impasse Catelin, à Lyon, dans les locaux de la Milice. Il fut fusillé au matin du 29 juin 1944, avec ses 6 autres compagnons d’infortune……Abattus sur le chemin de terre jouxtant le cimetière.
Merci aux autorités municipales de Rillieux d’avoir rebaptisé dans les années 2000, ce Chemin du Cimetière en Rue du Souvenir Français.
Merci aussi à la Ville de Lyon, qui a fait apposer en 2014, impasse Catelin, au Collège Jean Monnet, une plaque commémorative avec le nom des 7 otages assassinés. Saluons le travail de mémoire, effectué par des élèves du Collège Jean Monnet, sur les persécutions perpétrées dans les locaux de la Milice.
3 - Le président de la république Emmanuel Macron, se recueillant le 10 juin dernier, au village d’Oradour-sur-Glane a réaffirmé
« S’il ne faut pas vivre dans le passé, des évènements sont symboliques » …« Si l’impact des balles s’est poli sur le mur, il en va de même de la mémoire. Elle aussi s’érode. Ce qui se transmet risque de s’affadir. Nous devons sans cesse raviver la flamme et lui redonner sens »
« Il faut que les jeunes générations voient de leurs propres yeux le lieu, qu’ils approchent la famille des victimes. Leur présence leur confie le rôle de témoins mais aussi de consciences, car tout peut recommencer. La barbarie couve toujours… »
La brûlante actualité de ces derniers mois lui donne raison et la disparition, il y a deux jours de le regrettée Me Simone Veil, très grande figure de notre Histoire de France, démontre l’urgente nécessité de la transmission de l’histoire par les jeunes générations.
4 - Si la lutte contre le racisme et l’antisémitisme ne doit pas faire de distinction entre les coupables…elle ne doit pas non plus faire de distinction entre les victimes: qu’elles soient des journalistes, qu’elles soient des policiers comme ces derniers jours sur les Champs Elysées, qu’elles soient des jeunes gens attablés en plein centre de Londres, qu’elles soient des personnes de confession musulmane lors d’une attaque à la fourgonnette à la sortie d’une mosquée de Londres…
Lorsque la victime est un agriculteur du Lot et Garonne, agressé, dimanche 18 juin dernier, d’un coup de couteau à l’épaule par un individu fiché S, qui ne respecte pas son assignation à résidence, il a droit à la même compassion, indignation ou couverture médiatique. Un de ses voisins agriculteurs a dit « Quand on s’en prend à un paysan, on s’en prend à ce que la France a de plus cher ».
Elie Wiesel, disparu il y a 1 an jour pour jour, et dont on pourra entendre le témoignage lors du procès Barbie, demain soir au Palais de Justice, avait dit, en 2009, devant une centaine de collégiens et lycéens de Nice:
« Vous les jeunes: accrochez-vous aux questions, car les questions unissent les hommes. Il n’y a que les réponses qui les divisent »
Alors posons-les ces questions !
- Pourquoi ce silence autour de l’assassinat en plein Paris, le 4 avril dernier, de madame Sarah Attal-Halimi ?
- Pourquoi cette femme de 66 ans, ancienne directrice de crèche, a-t-elle été torturée chez elle au rythme de sourates du Coran, défenestrée vivante de son balcon aux cris de « Allah ou Akbar » par un français de 27 ans, d’origine malienne, délinquant multirécidiviste récemment radicalisé en prison et fréquentant une mosquée salafiste?
- Combien de temps faudra-t-il attendre pour que ce meurtre soit qualifié d’acte antisémite?
Dans une tribune parue ce lundi 26 juin dans le Figaro, Francis Kalifat, président du Crif National, affirme : « Sarah Attal-Halimi n’a pas été assassinée par hasard, ni parce qu’elle habitait là ou qu’elle aurait eu de l’argent…Elle a été massacrée parce qu’elle était juive, la seule juive de son immeuble et pour cette unique raison… »
Inapte à être placé en garde à vue, Kadar Traoré l’assassin a été interné d’office en hôpital psychiatrique. Il est peut-être dément, mais c’est un dément antisémite.
Alors oui, si, pour Elie Wiesel, les réponses peuvent diviser les hommes, celles qui ne dénient pas le réel, sont là pour apaiser la souffrance d’une famille qui pourra enfin commencer son deuil.
L’évidence pour nous tous est que justice soit faite. Nous avons confiance en la France, en notre France, en ses institutions, en nos institutions… Et en même temps… Nous restons vigilants.
Texte relatant la cérémonie du 03 juillet 2017 au Palais de Justice de Lyon
Par Sylvie Altar Secrétaire Générale du CRIF Auvergne -Rhône-Alpes
1987, dans la nuit du 3 au 4 juillet, la Cour d’assises de Lyon condamnait Klaus Barbie à la réclusion à perpétuité. C’était la première fois en France, qu’un homme, en l’occurrence le chef de la Gestapo de la région de Lyon, était appelé à répondre de crimes contre l’Humanité.
Trente ans plus tard, le 3 juillet 2017, ce triste anniversaire est rappelé avec sobriété et solennité au palais de justice historique de Lyon.
Ce procès est une première à la portée historique et mémorielle sans commune mesure, car les 37 audiences ont été filmées selon la loi du 11 juillet 1985 et l’ordonnance du 14 avril 1987. En tout 145 heures de film. De cette manière au-delà de juger, ce tribunal a documenté et mis en lumière l’Histoire. Voici un procès aux vertus pédagogiques inégalées dont les Lyonnais en particulier, les Français en général, ont pu mesurer les effets dans la salle des Pas perdus qui accueillait 300 personnes. Les brefs discours de présentation ont laissé la place à l’Histoire et à la Mémoire.
Il est un peu plus de 21h30 lorsque sont évoqués, en prodrome, les chefs d’accusation contre Klaus Barbie ;
« Le 11 mai 1987, l’officier SS Klaus Barbie comparait devant la Cour d’assises du Rhône, sous l’accusation de crimes contre l’Humanité commis à Lyon et dans sa région, entre novembre 1942 et septembre 1944. Il doit répondre de trois chefs d’accusation principaux :
- La rafle du 9 février 1943
- La rafle des enfants juifs et de leurs 7 accompagnateurs de la colonie d’Izieu
- Le convoi ferroviaire du 11 août 1944 ».
Le public sait que ce n’est pas Barbie qui est important mais que ce sont toutes les victimes entendues lors du procès, car la force des leurs témoignages a créé une intimité qui touche intimement ceux qui les écoutent. Ce que Emmanuel Lévinas résume avec justesse en évoquant la spécificité de ce procès : « ce sera d'entendre dans ces témoignages, dans le rappel des faits et dans toute cette souffrance humaine devenue discours, textes, autre chose que des faits historiques vrais [...]. Les témoignages, qui resteront comme l'essence et la raison d'être de ce procès ».
L’auditoire regarde avec attention les deux écrans sur lesquels est projetée la plaque commémorative de la rue Sainte-Catherine. Il écoute la lecture des noms des 86 victimes de l’UGIF qui redonne une identité à ceux qui furent arrachés à la vie parce qu’ils étaient juifs. Puis, les noms s’effacent et une photographie de la Maison d’Izieu illustre la tragédie de la colonie juive. Précédemment implantée dans l’Hérault, la colonie a trouvé refuge en 1943, à Izieu, dans l’Ain, sur les hauteurs de Bregnier Cordon. Cette région est à cette époque concédée à l’occupant italien qui tolère la présence des Juifs. Mais la chute de Mussolini va entrainer, à partir de septembre 1943, sa prise de contrôle par l’occupant nazi. Le jeudi 6 avril 1944, au moment du petit déjeuner, des soldats en uniforme et des agents de la Gestapo font irruption à la colonie d’Izieu et rafent les 44 enfants présents et leurs éducateurs. Tous sont déportés et exterminés. Seule une monitrice, Léa Feldblum, survit.
Pour perpétuer la mémoire des enfants et des sept éducateurs, leurs portraits, au fusain, du peintre dessinateur et sculpteur Winfried Veit illuminent la pénombre. Le spectateur sait que leur souvenir n’existe plus que par leurs noms et leurs visages. L’émotion tangible se diffuse alors que résonne le témoignage de Sabine Zlatin, la directrice de la colonie :
« C’est avec un cœur serré que je vais vous raconter l’histoire de la maison d’Izieu. Avant toute chose, j’aimerais exprimer ici aux mères, aux parents, aux cousins, tantes, oncle ma profonde douleur que je partage avec eux [...]. Je vais vous dire et je vais dire surtout à la défense de Barbie que Barbie a toujours dit qu’il s’occupait uniquement des résistants et des maquisards c’est-à-dire des ennemis de l’armée allemande. Je demande les enfants , les 44 enfants c’était quoi, c’était des Résistants, c’était des maquisards qu’est-ce-qu’ils étaient, c’était des INNOCENTS ».
Pétrifié et silencieux, l’auditorium est accompagné dans cette évocation par des intermèdes musicaux dont les notes de violon tanguent entre complainte et douceur. Puis, dans sa plus simple expression, une photographie d’une voie ferrée évoque le train parti le 11 août 1944, trois semaines avant la Libération de Lyon :
« Le vendredi 11 août 1944, un convoi ferroviaire quitte la gare de Lyon-Perrache. À son bord, près de 650 détenus extraits de la prison de Montluc et, pour une centaine d’entre eux, de la maison d’arrêt de Saint -Paul. Il est à destination des camps de transit de la région parisienne de Drancy et Compiègne, mais devant l’avancée des troupes alliées, il prend la direction de Vittel puis de Rothau dans le Bas-Rhin. 221 hommes non-juifs sont débarqués pour rejoindre le camp de concentration de Natzweiller-Struthof. 64 femmes non-juives sont dirigées sur Berlin puis conduites vers le camp de Ravensbrück. Les autres déportés, hommes, femmes, enfants juifs sont accrochés à un convoi en partance pour le camp d’Auschwitz-Birkenau où la mort les attend ».
Outre ces trois principaux chefs d’accusation Barbie doit encore répondre des actes de tortures et déportations perpétrés individuellement sur 37 résistants et 21 Juifs. Parmi eux, la résistante Lise Lesèvre, arrêtée le 13 mars 1944 par Barbie et torturée pendant 19 jours. En dépit de son grand âge, elle veut témoigner debout en mémoire de ses frères d’armes disparus :
« Je n’ai pas vu Barbie en gare mais c’était son équipe, ils étaient 3 sauvages. J’ai été amenée à la prison Montluc, j’étais en gare pour une mission et j’étais malheureusement chargée de nombreux papiers. On m’a emmenée à Montluc [...] dans un salon d’interrogatoire, convenable je dois dire, et le 1er jour, cette première soirée, on m’a posé des questions auxquelles je ne pouvais répondre sans mentir et ensuite on m’a emmenée dans les cachots de l’École de santé. Le lendemain matin, j’ai fait connaissance de Barbie, on m’avait décrit le bonhomme si bien que je n’ai eu aucune peine à le reconnaître. Barbie était toujours armé d’une schlag, d’un nerf de bœuf et frappait sur tout ce qui était à sa portée et quand il n’y avait personne à sa portée, il frappait ses bottes. À midi j’ai eu la pendaison par les poignets, les menottes à griffes, j’avais vu sur une table des choses étranges, alors on m’a expliqué, on posait une question, on serrait, c’était infiniment douloureux j’avais l’impression que mes ongles allaient tomber. Comme je n’ai pas parlé, on est passé à un autre exercice ; j’ai été pendu par les poignets et là je ne sais pas combien de temps a duré la séance, on avait les bras écartés, j’ai eu ce supplice bien des fois et je me suis toujours retrouvée par terre allongée à plat ventre [...] et comme je n’avais pas parlé, Barbie a lancé la menace : "nous allons chercher ton mari et ton fils et devant eux tu parleras".
Moins d’une heure après j’ai vu arriver mon mari et mon jeune fils de 16 ans et demi, nous avons pu nous dire courage mutuellement. Mais cette situation a été terrible pour moi quand je les ai vus arriver. L’après-midi je suis restée dans ces fameux cachots et le soir à minuit [...] j’ai eu la baignoire, alors là ça a été une épreuve terrible, il a fallu entrer dans la baignoire, nue bien entendu et là Barbie était là, on m’a déshabillée brutalement parce que je refusais de le faire et je suis entrée dans la baignoire, je ne pouvais pas faire autrement. La séance a commencé, une grande brute me pinçait le nez et une autre avec une boite à biscuit rouillée ... ils m’ont entonnée de l’eau dans la bouche, puisqu’ils me pinçaient le nez j’étais obligée d’ouvrir la bouche. Et puis ensuite on est passé à un autre genre d’exercice, j’avais les pieds liés sur une planchette, Barbie était au pied de la baignoire et j’avais les mains liées derrière le dos. Une question, je ne répondais pas, c’est là que j’ai eu mon dernier interrogatoire qui m’a abimé la colonne vertébrale et tout le système osseux. On m’a fait entrer dans une pièce nue garnie d’une chaise pleine de chaines, on m’a fait mettre à plat ventre sur la chaise on m’a attachée les poignets d’un coté, les genoux de l’autre et avant Barbie était venu me montrer un fouet, c’était un manche avec au bout une boule hérissée de pointes. Il a manié l’objet devant moi, il y a avait un grand ressort qui commandait la boule. L’instrument a servi à me massacrer le dos. [...] Barbie m’a frappée, je ne peux pas vous dire combien de temps, j’ai dû perdre connaissance ».
À l’unisson l’émoi se propage, comme il y a trente ans dans la salle des Pas perdus, à l’évocation si réaliste de ces tortures. Les mots sont simples, ils atteignent nos corps qui frissonnent des douleurs indélébiles qu’à vécu cette résistante. L’émotion est à son acmé et le public retient son souffle lorsque le témoignage de Simone Kadosche-Lagrange est projeté. Enfant pendant la guerre, elle a treize ans le 6 juin 1944, au moment où elle est arrêtée et torturée par Barbie. Déportée à Auschwitz-Birkenau avec son père et sa mère, alors que son frère et sa sœur ont été cachés. Elle seule a survécu.
Pour conclure, les leçons du procès Barbie ont été tirées par deux témoins dits d’intérêt général, André Frossard et Élie Wiesel.
Le premier, journaliste écrivain, catholique engagé arrêté en 1943, comme étant un quart de sang juif qui lui vient de sa grand-mère est incarcéré à Montluc dans la « baraque aux Juifs » pendant huit mois au cours desquels il a vu mourir beaucoup de détenus. Il définit dans sa spécificité le crime contre l’Humanité :
« Avec votre permission M. le Président, je voudrais dire un mot de Montluc et cette baraque aux Juifs dont on a parlé quelquefois mais pas beaucoup, parce que le nombre des survivants est très faible, je me demande même certains jours si je ne suis pas le dernier. J’ai commencé à comprendre vraiment ce qu’était le crime contre l’Humanité par l’exemple d’un détenu, un Juif, un brave homme, le genre bonnetier de la rue des Rosiers, un homme simple et bon, qu’un sous-officier avait pris comme tête de turc et auquel il avait enjoint d’apprendre la phrase suivante : "le Juif est un parasite qui vie sur la peau du peuple aryen et il faut l’extirper". La phrase était à apprendre en allemand et il ne parlait pas l’allemand. Chaque syllabe lui posait une difficulté qui lui valait, bien entendu, à chaque fois des coups de poings et des coups de pieds dans le ventre. Puis il avait fini, enfin à apprendre la phrase entière à force de coups et il la récitait de lui-même. Dès qu’il entendait la porte de la baraque s’ouvrir, même quand il était au fond il commençait à dire : " le Juif est une parasite... ". C’est ça l’humiliation de l’être. Le jour où on l’a amené pour être fusillé avec d’autres otages, le même sous-officier sur le seuil de la porte, dans la cour, devant les soldats allemands, l’a obligé à répéter une dernière fois (...). Et à mon avis, le crime contre l’humanité c’est d’abord tuer quelqu’un pour le seul motif qu’il est né, qu’il est venu au monde, il n’y a pas d’autres griefs contre lui. Mais il faut encore que cette mise à mort soit précédée d’une tentative d’humiliation, d’abaissement, d’avilissement de la personne. Le crime contre l’humanité se distingue du crime de guerre et de toute forme de crime par ces deux éléments là à mon avis. Et c’est pourquoi ce procès me parait si important, non pas à cause de la personne de Barbie qui n’était pas un grand personnage dans l’échelle de l’oppression, de la violence ou de la terreur. Mais parce que s’est la première fois qu’un tribunal a l’occasion de juger à partir de la notion de crime contre l’Humanité. Et puis il est important que ce tribunal statue, car il faut éviter que recommence cette période. J’ai vu et je crois avoir compris comment on fait les Barbie. Les Barbie en général sont des médiocres qui ont donné leur conscience au parti, mais totalement, qui ont fait abdication totale de leur conscience personnelle, propre. Elle est mise en dépôt au siège du parti nazi et on ne la recouvre jamais. En échange le parti désigne le bien et le mal et vous donne un pouvoir de vie et de mort sur votre semblable. L’abandon de votre conscience vous vaut ce surcroit de puissance que vous n’obtiendriez jamais par vos propres moyens ».
Quant à Élie Wiesel, véritable conscience de la Shoah, que nous dit-il ?
« Si je suis là c'est que c'est ma place, que je me dois d'être avec les survivants, les victimes pour entendre leurs voix, pour leur faire entendre la mienne, pour qu'ils sachent qu'ils ne sont pas seuls.[…] Il s'agit plus [que de la justice]. Aucune justice n'est possible pour les morts. Et le tueur tue deux fois. La première en tuant, la seconde en essayant d'effacer les traces de son crime. Nous avons à empêcher la seconde mort, car si elle avait lieu, ce serait alors de notre faute ».
Une minute de silence et de recueillement s’impose au terme de cette immersion dans les temps forts du procès et de cette évocation mémorielle des victimes. Elle est accompagnée par la projection de l’œuvre de Menashe Kadishman composée de milliers de visages découpés dans l’acier jetés sur le sol au musée juif de Berlin.
Ce lundi 3 juillet 2017, à Lyon, les mots de Vladimir Jankelevitch: « lutter passionnément contre l’oubli » parce que « les morts dépendent entièrement de notre fidélité » ont résonné dans l’atrium du palais de justice des 24 colonnes.