Dans ce nouvel ouvrage : « Vichy dans la solution finale. 1941 – 1944. Histoire du Commissariat Général aux Questions Juives » Laurent Joly s'appuie sur une connaissance impressionnante des archives et sur la découverte de nombreux fonds inédits dans les archives nationales. L'auteur reconsidère les grandes étapes de l'antisémitisme vichyssois, du statut d'octobre 1940 à la tentative de dénaturalisation collective de 1943, en passant par la déferlante législative de 1941 et les rafles de l'été 1942.
Dans une première partie, Laurent Joly s’attache à analyser les fondements puis la mise en œuvre de l’antisémitisme vichyssois des années 1940 – 1942. A partir du printemps 1941, Xavier Vallat et ses collaborateurs bénéficient d’une marge de manœuvre importante qui leur permet d’élaborer un jeu complet de mesures visant des Juifs de France : un nouveau statut renforçant celui adopté par Vichy en octobre 1940 ; l’organisation d’un recensement sur l’ensemble de la France ; une grande loi de spoliation des biens Juifs. Cet ensemble s’accompagne de nombreux décrets réglementant les professions libérales (numerus clausus instauré pour les médecins, les dentistes, les avocats…) Vallat établit ainsi une « œuvre » législative importante, dont il se glorifie. Le premier commissaire général aux Questions juives échoue à réaliser une « politique française » en la matière, et se heurte régulièrement à son gouvernement dès l’été 1941, note Laurent Joly. Toutes ces querelles et négociations internes à Vichy se déroulent sous les yeux des autorités allemandes et le plus souvent à leur profit. Dans cette histoire conflictuelle entre le CGQJ et le gouvernement, le mois de décembre 1941 constitue un moment décisif. L’amiral Darlan et le ministre de l’Intérieur Pierre Pucheu décident, à la suite d’une rafle allemande ayant visé des notables français de la communauté juive parisienne, de reprendre le contrôle de la politique antisémite de Vichy en la recentrant contre les étrangers – alors que jusqu’à présent Vallat et le commissariat s’en prenaient indistinctement à ces derniers et aux nationaux. C’est à ce moment, poursuit l’auteur, que des mesures ciblées, annonçant à bien des égards les déportations de l’été 1942, sont mises en œuvre : les Juifs arrivés en France depuis janvier 1936 et les réfugiés en zone libre sont recensés et regroupés dans des centres d’internement ou de travail obligatoire. Huit mois plus tard, la police de Vichy les livrera de sa propre initiative aux autorités allemandes. A partir de l’été 1942, les services de Darquier de Pellepoix (nouveau commissaire général aux questions juives) ne jouent pratiquement plus aucun rôle politique et de production législative. Certes le successeur de Xavier Vallat préside les réunions préparatoires à la grande rafle parisienne, dite du Vel d’Hiv, mais, désormais, les négociations franco-allemandes en matière d’antisémitisme ont lieu à un niveau supérieur, gouvernemental, dépassant la simple autorité du commissaire général aux questions juives.
Laurent Joly montre que, marginalisé sur le plan politique, le CGQJ conserve cependant jusqu’à la Libération un rôle décisif dans la persécution des Juifs. Dès 1941, le commissariat est devenu un organisme important ayant sa propre logique bureaucratique et investi par des militants de la cause antijuive et autres fonctionnaires imbus de leur mission « administrative » - éliminer « l’influence juive » en France. C’est cette permanence et cette automatisation de l’action du CGQJ qui est étudié par l’auteur dans une seconde partie. Joly s’intéresse plus particulièrement aux motivations et aux méthodes de travail des quelque 2500 agents salariés par le commissariat général aux questions juives entre 1941 et 1944, et plus particulièrement les 180 hommes et femmes qui sont définis comme étant les « cadres » du CGQJ. Laurent Joly montre bien que sous leur impulsion, le commissariat applique jusqu’à la Libération des procédures juridiques fort complexes, que cela soit pour spolier les Juifs ou pour trancher l’appartenance à la « race juive » des cas « douteux ». C’est ce « légalisme » pour ainsi dire déculpabilisant, souligne l’auteur, qui explique qu’une vingtaine de ces employés supérieurs aient jugé normal de demander à la Libération à continuer leur mission dans les services de Restitutions du nouveau régime républicain.
Marc Knobel
Laurent Joly : « Vichy dans la solution finale. 1941 – 1944. Histoire du Commissariat Général aux Questions Juives », Paris, Grasset, 2006, 1011 pages, 35 euros.