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Les différents invités qui avaient été choisi par le journaliste, connaissent assurément le sujet, mais ils ne partagent pas le même avis sur la question et n’ont pas forcément la même appréciation sur le bien fondé ou non de cet ouvrage. Le propos de David Kertzer peut se résumer ainsi : « Ce qui a rendu la Shoah possible, c’est une entreprise délibérée de diabolisation des Juifs, mise en œuvre durant des décennies par la hiérarchie catholique au plus haut niveau, à savoir celui du Pape lui-même. »
La première question fut posée à l’historien René Rémond et concernait l’ouverture annoncée pour le 15 février 2003, d’archives vaticanes sur le rôle du Pape Pie XII, avant que la Seconde Guerre mondiale ne commence. René Rémond expliqua que tant que ces archives n’avaient pas été ouvertes, on ne pouvait préjuger de ce que l’on y trouverait. Selon René Rémond, des millions de documents se sont accumulés et n’ont toujours pas été dépouillés, les classements n’ont pas forcément été effectués et les catalogues sont en cours de réalisation. Néanmoins, « si la décision préliminaire a été prise, c’est que le travail préliminaire a été effectué. »
Faisant allusion aux différentes formulations et excuses officielles qui ont été formulées, prononcées et présentées par l’Eglise catholique ainsi que par le Pape et qui ont été adressées aux Juifs - face aux persécutions dont ils ont été les victimes - le journaliste demanda aussitôt à René Rémond si l’on pouvait aller plus loin que la repentance ? René Rémond répondit que « l’idée que l’Eglise puisse avoir une part de responsabilité dans la Shoah est insupportable, c’est inacceptable, cela relève de la diffamation ». Puis, René Rémond rappela que, dès 1929, l’Eglise avait condamné sans réserve le racisme et l’antisémitisme. « Dire que l’Eglise est responsable de la Shoah est intéressé. On peut lui reprocher beaucoup de choses : le silence, le mépris à l’égard des Juifs, mais pas cela. »
Pour entrecouper le débat, un premier reportage fut diffusé sur les archives vaticanes. Il fut rappelé que les archives de la période sensible 1939-1945 seront ouvertes dans quelques années, et qu’il fallait comprendre qu’elles ne sont toujours pas cataloguées. Dans les années 60, cependant, 3 millions de volumes d’archives furent dépouillés et consultés par quatre ecclésiastiques qui avaient été nommés par le Vatican. L’un d’entre eux, le Père Bley, fut interviewé. Il expliqua que de toute manière « on n’apprendrait rien de nouveau. Car si Pie XII avait encouragé la déportation des Juifs, on aurait trouvé cela dans les archives vaticanes. »
Après que ce reportage ait été diffusé, Yves Calvi demanda à l’écrivain Gérard Messalier si l’Eglise d’aujourd’hui avait changé ? Messalier soutient que l’Eglise a réellement évolué « la notion de Peuple déicide a changé, les Papes depuis Jean XXIII ont exprimé leur tristesse et s’il y a de l’antisémitisme aujourd’hui, il est politique mais pas religieux. »
Georges-Elia Sarfati, qui est linguiste et analyste des discours politiques, et qui avait notamment publié Le Vatican et la Shoah, chez Berg internationales (2000), estime que René Rémond « na pas entièrement raison. Ce qui est objecté à l’Eglise, c’est le fameux silence de Pie XII et c’est le fait que l’on s’exonère de toute responsabilité dans la genèse de l’antijudaïsme et ses continuités avec l’antisémitisme (…) L’Eglise a certes changé d’attitude à l’égard des Juifs depuis le Concile de Vatican II (…) mais là ou elle n’a pas changé d’attitude, c’est lorsqu’elle conduit le dogme du Juif en tant que Peuple témoin, ce qui signifie que le Peuple Juif doit être maintenu dans un état d’abaissement pour témoigner du triomphe de l’Eglise. »
Esther Benbassa, qui enseigne à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, intervint dans le débat. Elle tint à faire une distinction entre l’Eglise et les hommes d’Eglise, entre l’antijudaïsme de l’Eglise qui ne tendait pas à la destruction des Juifs, qui devaient continuer à exister et l’antisémitisme racial qui visait à la destruction et à l’extermination des Juifs.
Gérard Messalier, apparemment irrité par les propos de Georges-Elia Sarfati, tint à rappeler qu’en ce qui concerne le silence de Pie XII que l’on « transforme en culpabilité », les catholiques « furent les premiers que les nazis éliminèrent. Le futur Pie XII connaissait très bien l’Allemagne… Ce silence est celui d’un responsable qui ne veut pas exciter les nazis. » Très excédé, Messalier s’écria aussitôt : « Ce fameux silence que l’on nous rabâche, j’en ai assez ! » René Rémond estima tout de suite après que la distinction qu’a énoncé Esther Benbassa « n’est pas une distinction d’opportunité, mais la réalité des faits. Je voudrais revenir à M. Sarfati. Je m’inscris en faux à ces propos. Quant Jean Paul II s’adresse à la Synagogue de Rome, il dit des Juifs que « vous êtes nos frères aînés. Cela inscrit la filiation que la presse n’a pas évoquée. Nous utilisons aujourd’hui l’expression « judéo-chrétien » qui était impensable auparavant. Il y a une profondeur. L’Eglise s’enracine dans le passé. » Et de s’interroger : « Quels sont les prières de l’Eglise ? Les Psaumes. »
Dans un second reportage, les journalistes interviewent très brièvement Gérard Israël qui réaffirme que les mentalités ont bel et bien changé depuis le Concile de Vatican II : « ce qui est important, c’est de remarquer la révolution quant à l’enseignement que l’Eglise prodigue à l’égard des Juifs (…) Vatican II va modifier le fait que les Juifs ne sont plus un peuple maudit. » Le Père Desbois, qui anime la Commission épiscopale de relation avec le Judaïsme, est également interviewé. Le Père Desbois estime que l’on ne peut pas dire « que le nazisme et l’antisémitisme Chrétien sont l’un dans l’autre. L’Eglise reconnaît sa part de responsabilité, des fautes et le voit comme un engagement pour le futur. Mais elle rappelle aussi que le nazisme est une idéologie païenne qui voulait s’en prendre aux Chrétiens également (…) On ne peut pas tirer un trait sur les persécutions passées. Il faut être responsable en ayant la mémoire de nos fautes. »
Yves Calvi reprend la parole et demande aux intervenants si la diabolisation du Juif est un fait religieux ou politique. Esther Benbassa répond qu’elle utiliserait l’expression « d’actes antijuifs », pour qualifier ce qui se passe aujourd’hui en France et en Europe. Et de s’interroger pour savoir si les jeunes de banlieue « ont une idéologie ? » Plus généralement, elle rappelle notamment que des Chrétiens ont été des philosémites notoires et ont sauvé des Juifs sous l’Occupation allemande. Georges-Elia Sarfati demande que l’on ait le sens des mots. Il préfère utiliser un terme qui fut développé par le philosophe Pierre-André Taguieff : Judéophobie. Ce terme désigne les trois modalités du refus de l’être Juif (l’antijudaïsme, l’antisémitisme et l’antisionisme).
Un dernier reportage clôturera pratiquement l’émission. Des élèves d’une douzaine d’années d’un collège de la ville de Boulogne-Billancourt s’expriment. Ils expliquent à l’antenne que dans toutes les cités, on entend l’expression « sale Juif ». Et lorsqu’une journaliste demande à un élève de couleur s’il a l’impression que cette expression est raciste, il répond par la négative, puis par la positive, un sourire sur les lèvres. Par la suite, une huitaine d’élèves de Terminale d’un lycée de Seine Saint Denis, explique pour quelles raisons, elles n’aiment pas les Juifs. Les clichés les plus vils, les expressions les plus grossières se déversent alors comme une traînée de poudre, le plus simplement et benoîtement du monde, naturellement. Néanmoins, une certaine gêne est perceptible, comme si elles mesuraient à certains moments l’énormité de leur propos : « C’est de la jalousie. Ils sont mieux habillés que nous, ils sont docteurs et ingénieurs. Il y a plus de place dans la société pour les Juifs que pour les Noirs et les Arabes. On a la rage. »
Après la diffusion de ce reportage, les intervenants choqués réaffirmèrent en guise de conclusion à quel point et face à une telle levée d’inhibition, la République n’a pas fait son travail. N’est-ce pas là une fois encore, la preuve éclatante de ces fameux territoires perdus de la République, dont on parle si communément depuis quelques temps ?
Marc Knobel
Observatoire des médias