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Chers amis,
C’est avec une émotion particulière que je viens conclure cette 7ème Convention nationale du CRIF, la première depuis mon élection à la présidence du CRIF il y a maintenant 6 mois. Cette édition 2016 s’inscrit bien entendu dans la continuité de la réflexion initiée tous ensemble lors des éditions précédentes.
Je suis convaincu que la nature et l’envergure des défis qui s’annoncent, tant pour les Français juifs que pour l’ensemble de nos concitoyens ont donné à cette Convention 2016 une tonalité très particulière, et une forme certaine de gravité.
« Si on parlait de la France ? Français, Juifs et citoyens », voilà un thème pleinement au cœur de la mission du CRIF et des préoccupations des Juifs de France. Tout au long de cette journée nous sommes plus de 1500 personnes à avoir accepté de braver nos idées reçues pour venir confronter nos opinions à celles de plus d’une cinquantaine d’intervenants de tous horizons, philosophes, journalistes, politologues, historiens, sociologues et politiques venus analyser les enjeux, décrire et contextualiser des phénomènes complexes et enrichir notre réflexion.
Lorsque le terrorisme frappe, lorsque populisme guette, lorsque l’antisémitisme et le racisme se développent, lorsque les stéréotypes s’incrustent, et lorsque le complotisme étend sa toile, il est utile d’avoir une vision éclairée de la société que nous voulons construire et laisser à nos enfants.
Au fil de la journée et des tables-rondes, j’ai perçu beaucoup d’intérêt, de curiosité, d’engagement, de sérieux mais aussi un immense enthousiasme, un désir d’apprendre, une soif de partage, d’échange et de dialogue. Dès 10 heures du matin je vous ai vu très nombreux venir réfléchir aux inquiétudes des Français juifs. La Convention nationale du CRIF est aussi un espace qui leur permet de faire entendre leur voix.
J’ai assisté comme vous à l’intervention de Luc Ferry, au débat entre Dominique Schnapper et Gilles Clavreul sur la laïcité. J’ai entendu cet après-midi les réflexions de Benjamin Stora, de Patrick Pelloux ou de Jean Birnbaum.
Je remercie en particulier Alain Touraine, Blandine Kriegel et Yann Moix qui ont su, il y a quelques instants, avec leurs mots choisis, élever le débat et réaliser le plus bel objectif de cette journée, celui de nous donner à penser. Pas des idées toutes faites, que nous n’aurions qu’à intégrer. Non, donner à penser c’est précisément le contraire, c’est offrir, en éclairant d’une lumière nouvelle une question parfois très ancienne, la possibilité à chacun de faire son propre chemin. Donner à penser, c’est au fond, émanciper chacun de ses propres certitudes et idées reçues. C’est à la fois restaurer la capacité à douter sincèrement puis à choisir librement.
Et si un terme, un seul, devait être choisi pour qualifier cette journée, je choisirais celui d’échange plutôt que débat. L’échange porte l’idée de la co-construction des raisonnements, du chemin parcouru ensemble, main dans la main entre des interlocuteurs de bonne volonté qui acceptent leurs propres doutes. Le débat au contraire est aujourd’hui un terme fourre-tout qui masque mal que la confrontation d’idées est devenue malheureusement souvent une confrontation des prêt-à-penser, une opposition caricaturale de certitudes. Dans un échange, l’interlocuteur n’est pas un adversaire mais un partenaire, à l’image de nos rencontres toute la journée.
« Si on parlait de la France ? Français, Juifs et citoyens ». Ce thème et au fond le principe-même de cette journée sont une affirmation du lien inextricable qui unit les Juifs et la France.
J’ai d’ailleurs la conviction profonde que si c’est en France, d’abord, que les Juifs ont obtenu leur émancipation, c’est-à-dire la pleine égalité des droits, en 1791 cela s'inscrit pleinement dans la capacité de notre pays à accepter le débat d’idées authentique comme passion nationale.
Cette émancipation des Juifs de France a marqué en son temps une véritable rupture dans l’exil pour les Juifs du monde entier. Elle a inspiré les Juifs de toute la Diaspora en traçant les contours de l’identité juive diasporique moderne, dont nous sommes aujourd’hui encore les héritiers. Elle a aussi je crois fait rayonner le nom de la France et contribuer à lui forger ses lettres de noblesse.
J’aime rappeler les propos du père de Levinas, qui voyant depuis sa Lituanie natale, la passion qui animait la France au moment de l’Affaire Dreyfus aurait dit : «Un pays qui est prêt à se déchirer sur le sort d’un petit capitaine juif, c’est un pays où il faut aller vivre au plus vite. ».
Je veux croire également que le fait que Rachi, le commentateur incontesté de la Torah, soit né et ait vécu en France n’est pas le fruit du hasard. L’esprit talmudique du pilpoul, c’est-à-dire de la discussion entre commentateurs, est d’une certaine manière le versant religieux d’un débat citoyen français ! C’est à ce débat citoyen que nous vous avons conviés tout au long de cette journée.
L’année qui s’ouvre devant nous, je le disais en démarrant mon propos, est une année pleine de nombreux défis. Et partout où je regarde, je vois que nos adversaires sont toujours ceux qui justement refusent l’échange et font le choix du prêt-à-penser et du dogmatisme. De BDS au Front National, des islamistes à l’extrême-gauche, je n’entends que des discours populistes, pour les uns, et des réflexes totalitaires, pour les plus radicaux.
Où est la volonté d’échange et de débat authentique lorsqu’un mouvement d’appel au boycott d’une nation, - et une seule Israël, prospère dans les rues de nos villes, dans nos universités, et polluent notre vie culturelle et sportive ?
En plus d’être illégal, ce mouvement est insupportable pour les Juifs de France, parce qu’il est discriminatoire à l’encontre du seul Etat juif et qu’il favorise, même s’il s’en défend, ce nouvel antisémitisme qui avance sous le masque de l’antisionisme. Nous demandons que la loi soit appliquée et que les manifestations récurrentes du mouvement BDS soient purement et simplement interdites.
Dans le même contexte je veux dire aussi dire combien nous sommes choqués de voir s'appliquer dans notre pays, une directive européenne, appelant au double étiquetage des marchandises provenant de territoires disputés. Cette décision relève encore d’un traitement discriminatoire appliqué au seul état d’Israël, alors que de nombreux autres pays sont concernés par des conflits territoriaux similaires.
D’autres pays européens ont fait un autre choix.
Où est la volonté d’échange et de débat authentique, lorsqu’au Front National, on nourrit un discours politique populiste tellement opposé aux valeurs que nous défendons et dont nous savons trop ce que cela peut porter comme danger.
J’observe avec inquiétude monter, y compris dans certaines sphères politiques ou intellectuelles de notre pays, l’idée, après tout, que le populisme n’est pas si grave. Évitons de semer dans l’esprit des Français les graines de la banalisation du Front National.
Nous, Français Juifs, avons un rôle particulier à jouer contre la banalisation de ces idées.
Où est la volonté d’échange et de débat authentique, chez les islamistes qui prêchent publiquement la haine de la France, des juifs et de tous ceux qu’ils prétendent être des infidèles ? Et même si je m’inquiète de voir avec quelle clémence nous traitons en France parfois nos propres ennemis, je veux saluer l’effort qui est fait sur le plan sécuritaire, et je souhaite remercier les autorités au premier rang desquelles le Président de la république et le ministre de l’intérieur pour leur mobilisation permanente pour la sécurité des Français en général et des Français juifs en particulier.
Mais je sais aussi que la bataille face aux islamistes ne se joue pas que sur le plan sécuritaire : c’est une bataille culturelle, qui se joue au sein de l’islam de France mais pas seulement. L’école, le monde associatif, le monde sportif, le monde syndical, l’univers culturel : tous ont un rôle à jouer pour stopper la spirale de l’embrigadement et de la radicalisation.
Où est enfin la volonté d’échange et de débat authentique lorsque nous voyons aux frontons de certaines de nos mairies le portrait de terroristes érigés en héros alors qu’ils ont sur les mains, le sang des victimes civiles des attentats qu'ils ont perpétrés, et qu’ils ont été condamnés par les tribunaux civils d'un état démocratique.
Nous ne voulons plus voir ces mêmes terroristes, à l’image de Marwan Barghouti, faits citoyens d'honneur de ces mêmes communes.
Faire cela c’est faire l’apologie du terrorisme.
Jusqu’où devons-nous accepter ces renoncements à nos principes, jusqu’on devons-nous accepter ces renoncements à nos valeurs lorsque notre pays, a fait le choix de l'abstention lors d’un vote à l’UNESCO niant au peuple juif son lien historique avec Jérusalem. S’abstenir, lorsqu’il s’agit de choisir entre la vérité et le mensonge, entre l’honneur de l’histoire et l’infamie du révisionnisme, n’est pas digne de la France et de ses valeurs.
S’abstenir c’est accepter que l’honneur de l’histoire comme richesse commune fasse place aux contrevérités historiques, la promotion de la culture et de l’éducation, à l’instrumentalisation politique.
Le CRIF avait alerté à plusieurs occasions le Président de la République sur l’écho de ce vote auprès des Français, de toutes origines et de toutes confessions, qui ne peuvent supporter de voir la France renoncer à défendre l’histoire et la vérité.
Là encore un autre vote était possible et les Etats-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni, notamment, l’ont fait.
Vous l’avez compris, une Convention nationale est une démarche intellectuelle mais aussi une démarche éminemment politique. Pour l’année qui s’ouvre devant nous, nous comptons donc sur votre mobilisation à nos côtés pour faire face ensemble à ceux qui menacent la France. C’est ainsi la meilleure manière de défendre en même temps les Français, Juifs et citoyens que nous sommes.
Je ne peux conclure cette journée sans remercier chaleureusement l’ensemble des intervenants et bien sûr les équipes du CRIF, professionnelles et bénévoles, qui ont travaillées avec conviction, efficacité et compétence à l’organisation de cette convention.
C’est à elles et aux nombreux et talentueux orateurs et à vous tous chers amis que nous devons la réussite de cette journée exceptionnelle.
Merci à tous et rendez-vous en décembre 2017 pour la 8 ième convention nationale du CRIF.