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LE FIGARO. – Ce soir, le dîner du Crif se déroulera en présence d'un Premier ministre de droite. L'année dernière, votre interlocuteur était Lionel Jospin. Droite, gauche, faites-vous une différence ?
Roger CUKIERMAN. – En tant que président du Crif, je ne fais aucune différence. Mais, l'an dernier, alors que les actes antisémites se multipliaient, la réaction du gouvernement avait manqué de vigueur. Le discours de Jospin, lors du dîner, n'avait pas répondu à nos attentes. Quelques jours plus tard, dans un communiqué à la presse, le ministre de l'Intérieur, Daniel Vaillant, avait divisé par dix les chiffres des actes antijuifs que nous lui avions donnés.
Aujourd'hui, nous sommes entendus par Jean-Pierre Raffarin et Nicolas Sarkozy. Le 21 juillet dernier, à l'occasion du soixantième anniversaire de la rafle du Vél-d'Hiv, le Premier ministre a fait une déclaration extraordinaire : «Quand on attaque la communauté juive, on attaque la France et la République.» Le ministre de l'Intérieur, quant à lui, a pris les problèmes de violence à bras le corps : le nombre d'actes antijuifs a diminué à cause de la peur du gendarme.
Mais des insultes antisémites sont encore fréquemment entendues...
Le climat reste pesant. Notamment dans les écoles et les collèges, où de nombreux incidents sont recensés. Ce sera d'ailleurs le thème majeur du dîner du Crif. Il y a une libéralisation de la parole antisémite. Il devient difficile d'enseigner l'Holocauste ou l'histoire des Hébreux dans certains établissements. Et nous craignons, en cas de guerre au Proche-Orient, un nouvel accès de violence.
Qui sont, selon vous, les agresseurs ? On parle beaucoup de jeunes d'origine maghrébine...
Souvent, mais pas exclusivement. Je crois qu'il y a un climat de brutalité dont nous, citoyens français, sommes tous responsables.
Que pensez-vous de la polémique entourant l'agression du rabbin Farhi ?
Des rumeurs calomnieuses circulent. Laissons la police enquêter. Il est indispensable d'établir la vérité sur cette affaire, car c'est trop grave. Pour l'intéressé, pour la communauté juive libérale, et pour tout le monde.
Vous ne mettez pas en doute les propos du rabbin ?
Je suis comme tout le monde. Je crois les gens, et je n'ai pas de raison de remettre en cause leur parole.
Le repli de la communauté juive semble se poursuivre...
Quand des enfants vont à l'école et se font agresser en raison même de leur religion, les parents réagissent et se tournent vers des établissements juifs. C'est très difficile à supporter soixante ans après la Shoah. On peut nous accuser de communautarisme, mais, s'il y a communautarisation, nous en sommes les premières victimes et non les auteurs. L'antisémitisme est devenu banal.
D'où l'augmentation du nombre des départs vers Israël ?
Cette émigration reste marginale. Elle concerne deux Juifs français sur mille. La communauté juive est parfaitement intégrée en France.
A quand un président de la République juif ?
Pourquoi pas ? Nous avons eu cinq premiers ministres d'origine juive.
Que pensez-vous des initiatives de Nicolas Sarkozy pour organiser l'islam en France ?
Il faut qu'il y ait une organisation unique qui représente le culte musulman. Ne serait-ce que pour avoir des interlocuteurs avec lesquels les autorités puissent dialoguer. Quand il se passe un événement grave comme celui du 11 septembre 2001, il est important que des voix autorisées délivrent une parole apaisante.
Même si cette parole risque d'être en partie contrôlée par des représentants réputés rigoristes?
Quand des gens sont responsables devant les pouvoirs publics et l'ensemble de leur communauté, leur discours devient plus modéré.
Le financement de la construction des mosquées provoque un débat. Faut-il réformer la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l'Etat ?
Je ne suis pas un responsable religieux. Mais je souhaiterais que la France fasse un effort financier pour que les mosquées et les imams ne dépendent plus de pays étrangers, dont certains sont des asiles du terrorisme.
Vous prenez parfois la défense d'Israël, comme dans l'affaire du récent boycott prôné par certaines universités françaises. En réagissant ainsi, vous semblez soutenir la politique d'Ariel Sharon...
Quand l'université Paris-VI et celle de Grenoble décident de boycotter des scientifiques israéliens, elles ne boycottent pas Sharon. Les intellectuels israéliens sont majoritairement opposés à Sharon. En réalité, c'est une action menée contre le peuple israélien, et non contre une politique. Cette dérive est inadmissible. Tout comme l'appel au boycott des produits israéliens lancé par un collectif d'extrême gauche. Je rappelle que le boycott est illégal en France. Il y a un garde des Sceaux, il est là pour faire appliquer la loi.
Cette agitation peut-elle être assimilée à de l'antisémitisme ?
Un phénomène nouveau apparaît en France. Les extrêmes se rejoignent. A côté de l'antisémitisme traditionnel de l'extrême droite, un courant de pensée, relayé par l'extrême gauche, dérive petit à petit de l'anticapitalisme, l'antiaméricanisme, l'antimondialisme vers l'antisionisme. Et de l'antisionisme, on dérape facilement vers l'antisémitisme. José Bové en est un exemple. Voilà un homme qui va défendre les paysans français à Seattle, à Porto Alegre, puis qui va saluer Arafat à Ramallah avant de revenir en France, où il affirme : Si des synagogues brûlent, c'est à cause du Mossad. Ces gens-là ont une attitude particulièrement pernicieuse, car ils habillent leurs propos d'humanisme en faveur des opprimés. Dans certains milieux intellectuels, l'antisémitisme est devenu politiquement correct.
Certains Juifs prônent l'autodéfense. Que leur dites-vous ?
Il s'agit de groupuscules de faible importance et avec lesquels nous n'entretenons pas de relations. Nous ne sommes pas à l'abri de dérapages. Les gens qui n'ont pas de responsabilités peuvent dire des choses épouvantables, mais il n'y a jamais eu de Juifs attaquant une mosquée ou un imam, pour prendre ce seul cas de figure. Je suis davantage préoccupé par quelques intellectuels comme Alain Minc, qui traite le Premier ministre élu démocratiquement d'Israël de soudard et se qualifie, dans la même phrase, de mauvais Juif. Ce type de comportement est choquant pour l'immense majorité des Juifs français, qui sont solidaires des combats que mène le Crif. Cela dit, c'est aussi la fierté du peuple juif d'avoir toujours eu des individus qui s'opposent à l'immense majorité. Je me réfère à Jésus-Christ, Marx et quelques autres.
Le Crif prétend-il représenter tous les juifs de France ?
C'est une question piège. Le Crif rassemble soixante institutions, du Consistoire au Fonds social juif unifié, qui regroupe des écoles et des bibliothèques. Soit un tiers des 600 000 Juifs de France. Les autres, qui ne sont pas engagés dans la vie communautaire, partagent toutefois nos engagements. Nous l'avons constaté lors de la grande manifestation du 7 avril 2002 contre l'antisémitisme et pour le soutien à l'existence d'Israël.