Jean Pierre Allali

Jean-Pierre Allali

Juifs et Musulmans en Algérie - VIIè-XXè siècle, par Lucette Valensi (*)

05 Juillet 2016 | 322 vue(s)
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Un ouvrage à ne pas manquer.
 
La Collection  " histoire croisée " des juifs en terre d'islam -dont les livres sur l Algérie sont les premiers avec celui sur israel Palestine écrit par Amnon Cohen  , est réalisée par le Projet Aladin   Dont le site www. Projetaladin.org  offre d'ailleurs trois entretiens complémentaires avec Lucette Valensi , Amnon Cohen et Michel Abitbol. 
 
Lucette Valensi, native de Tunisie, est une spécialiste incontestée du judaïsme nord-africain. Dans son nouvel ouvrage, elle nous propose une véritable histoire des Juifs d'Algérie vue sous l'angle de leurs rapports avec les Musulmans.
 
Bien qu'elle souligne, dès le début de l'ouvrage que les Juifs d'Algérie, à l'instar de tous les Juifs qui vécurent dans le monde arabo-musulman, furent astreints au statut infamant de la « Dhimma », l'auteure tente de dégager les moments, rares, il faut le reconnaître, où la cohabitation entre Juifs et Musulmans, avant l'arrivée des Français, fut paisible.
 
En 1954, les Juifs vivaient en grand nombre en Algérie, répartis sur plus de 250 communes. Huit ans plus tard, ils n'étaient plus que quelques milliers. En 2016, leur nombre avoisine zéro. Et les jeunes Algériens ignorent, pour la grande majorité d'entre eux, que des Juifs ont longtemps vécu dans leur pays. « Que s'est-il passé ? Comment une coexistence millénaire entre Juifs et Musulmans a-t-elle été possible ? Comment a-t-elle pris fin ? ». Tel est le questionnement majeur de Lucette Valensi qui nous propose de remonter le temps avec elle à la recherche des Juifs d'Algérie.
 
La « dhimma », d'abord, dès l'instauration de l'islam en Algérie où les Juifs étaient présents depuis des centaines d'années. Pour l'auteur, « En dépit de ces limitations et de cette discrimination, les Juifs ont connu des conditions d'existence plus favorables en terre d'islam que dans l'empire byzantin ou dans les pays chrétiens du nord de la Méditerranée ». Cela n'empêchera pas le grand Maïmonide (1138-1204) d'écrire, dans son « Épître au Yémen » : « Et vous, nos frères, vous savez que le Saint, béni soit-il, nous a fait tomber dans les abîmes de nos fautes, au milieu de cette nation ismaélite qui a abattu sa méchanceté sur nous et intrigue pour nous faire du mal et pour nous détester... ».
 
Après plusieurs siècles de « dhimmitude » avec des hauts et des bas dans la sévérité de traitement des maîtres musulmans à l'égard de leur sujets juifs, la conquête du pays par la France va changer du au tout le statut des Juifs. « Avec la prise d'Alger par les Français, le 5 juillet 1830, une nouvelle page s'ouvre pour les Juifs d'Algérie ». Le décret Crémieux, qui va, selon l'auteur, créer un fossé entre Juifs et Musulmans, accorde aux Juifs en bloc, en 1870, la nationalité française. Pas à tous les Juifs, en réalité car Lucette Valensi a le mérite de lever un coin du voile sur une partie de la population juive, celle de Ghardaïa et du Mzab, qui n'obtint pas, elle, à de rares exceptions près, cetteg nationalité française.
 
Devenus Français, les Juifs d'Algérie n'en seront pas moins victimes de l'antisémitisme colonial. Pour Lucette Valensi, la colonisation n'a pas été la réussite que d'aucuns veulent nous faire accroire : « Non, la société coloniale n'a pas été cosmopolite, au sens où des êtres nés dans un lieu et attachés à ce lieu auraient, sans renier leurs particularités, cru à l'égalité des membres du genre humain et à l'universalisme des Lumières ». Autre « révélation » de Lucette Valensi qui a son intérêt. Elle concerne la ville d'Oran qui, en 1881, déjà, comptait plus d'Européens que de Musulmans : 41 714 Européens, 9 000 Musulmans et 3 500 Juifs !
 
Un chapitre très intéressant est consacré aux « émeutes de Constantine » de 1934 que Lucette Valensi  hésite à qualifier de pogrome (1) tout en reconnaissant que « cette crise d'une très grande gravité marque une fracture entre Juifs et Musulmans d'Algérie ».
 
Dans les années cinquante, en route pour l'Indépendance, l'Algérie connaît des troubles de plus en plus graves dont les Juifs font souvent les frais : « En 1956, c'est le rabbin de Batna qui est l'objet d'une agression mortelle, tandis qu'est incendiée la synagogue d'Orléansville et qu'une grenade est lancée dans un café fréquenté par les Juifs à Constantine... ». Dès lors, les répliques ne vont pas manquer et on verra de jeunes Juifs armés s'attaquer à des Musulmans. Que va-t-il se passer ? Quelle sera la place des Juifs dans une Algérie indépendante ? Pour les dirigeants du FLN à l'époque, nul doute que l'identité de l'Algérie indépendante sera arabo-musulmane. Et, de fait, « les Juifs d'Algérie, devenus étrangers dans le pays de leurs ancêtres, se dirigent vers la France dans leur majorité, moins de 12 000 choisissant le départ pour Israël ».
 
120 000 Juifs vont ainsi quitter l'Algérie en quelques mois.
Lucette Valensi nous décrit aussi dans ce beau livre quelques figures marquante de l'histoire de l'Algérie : Henri Alleg qui n'était pas Juif d'Algérie mais Juif russo-polonais du nom d'Harry Salem et bien d'autres personnages encore.
 
Un ouvrage à ne pas manquer pour qui veut retrouver l'histoire millénaire des Juifs et des Musulmans en Algérie.
 
Notes : 
(*) Éditions Tallandier. Préface de Michel Abitbol et Abdou-Filali-Ansary. Juin 2016. 256 pages. 15 euros.
(1) Sur ce sujet, l'auteur propose en note une abondante bibliographie. On pourra également consulter avec profit mon article paru à l'occasion du cinquantième anniversaire du pogrome dans « La Terre Retrouvée » d'octobre 1984. J'y donne, notamment, la liste de toutes les victimes juives avec la nature de leurs blessures mortelles. À consulter également dans « Radiocom' Magazine » de septembre 1984, les interviews que j'ai réalisées de survivants du massacre : Raymond Attali, Roland Halimi, Roger Attal et Madame Halimi. Toujours dans ce journal, une interview de Jean Pierre-Bloch, alors président de la Licra et envoyé spécial du « Populaire » à Constantine en 1934. Enfin, sous ma signature, dans « Le Droit de Vivre » de septembre 1984, une analyse de l'événement où je rappelle que Pierre Emmanuel, envoyé spécial de la LICA en Algérie en août 1934, avait parlé d'un « Kichinev II », considérant qu'il s'agissait incontestablement d'un pogrome.