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Dans son introduction, David Chemla -qui est le responsable pour la France du mouvement « La Paix Maintenant »- explique son projet. Il ne s’agit pas d’écrire sur les racines du conflit, ni sur les récents développements et encore moins de raconter une histoire, « mais des histoires, celles d’hommes et de femmes, israéliens et palestiniens -certains connus, d’autres moins- qui ont tous une caractéristique commune, celle de partager une même vision : proposer une solution de compromis pour mettre fin à ce conflit. » David Chemla raconte alors qu’il a voulu comprendre leurs engagements et découvrir le cheminement qui les a conduits là où ils en sont aujourd’hui : « Mon objectif à été de donner à chacun d’eux la possibilité de se raconter, de retracer son parcours. Je leur ai tout d’abord demandé de décrire leur milieu familial, leur formation, puis leurs premiers engagements. Je les ai ensuite questionné sur les étapes marquantes de leur vie, celles où ils ont contribué à écrire ou tout simplement croisé l’histoire. J’ai essayé de déceler les expériences qui les ont amenés à dépasser leurs propres blocages pour être capable de découvrir l’autre côté. Enfin, je leur ai demandé d’exprimer leur motivation présente et le message qu’ils souhaiteraient transmettre à chacun des deux peuples. »
Très honnêtement, Chemla révèle qu’il a choisi d’interroger ces seize Israéliens et Palestiniens, connus ou inconnus, plutôt que d’autres personnalités, tout en leur laissant la responsabilité des propos qu’ils tiennent. Chemla explicite ainsi sa démarche : « pour la plupart, ces personnes sont depuis longtemps engagées dans la défense de leur pays ou de leur cause ». Il s’agit donc -selon l’auteur- de « patriotes », qui, à un moment de leur vie, ont choisi de « s’engager publiquement, parfois en prenant des risques, pour affirmer leur volonté de se battre pour la paix. » Chemla ajoute néanmoins qu’ils n’ont pas forcément les mêmes points de vue pour parvenir à la paix. Mais, ce qui les rassemble, s’apparenterait éventuellement à cela : « la reconnaissance et la prise en compte de la légitimité de l’autre ; la conscience de la nécessité d’abandonner une part de rêves de leur propre camp pour promouvoir une solution réaliste et humaine du conflit qui préserve pour chacun l’essentiel ; le sentiment d’urgence de trouver une solution et la nécessité de s’opposer aux extrémistes de leur camp. »
Dans sa postface, David Chemla indique qu’il ne pense pas que le lecteur puisse sortir indemne de la lecture de ce récit. Les vies, les itinéraires avec lesquels elle nous confronte traduisent, mieux que beaucoup d’analyses, la réalité complexe de ce conflit. Et de conclure que, finalement « l’enjeu pour les uns comme pour les autres est de réussir à s’inscrire dans le temps et l’espace. Pour les Juifs, qui ont eu trop d’histoire et pas assez de géographie, il s’agit de cesser de se référer en permanence à une histoire douloureuse. Contraints par le passé à être des passeurs de frontières, ils doivent aujourd’hui fixer les leurs, en accord avec leurs voisins. » Pour le monde arabe, « qui a disposé de l’espace mais n’a pas eu de prise sur son destin, l’enjeu est de réussir son inscription dans le temps, ajoute l’auteur, celui de la modernité ». Et concernant les Palestiniens, David Chemla note avec justesse : « confrontés à une société occidentale qu’ils sont obligés de côtoyer quotidiennement, (ils) sont amenés, plus que tous les pays arabes, à s’y adapter. Faire le choix d’une solution pragmatique, c’est admettre le principe de réalité et la frustration qui en est partie intégrante. »
Pas de Grand Pardon ici et aucune promesse de s'aimer. Qadora Fares (quatorze ans dans les prisons israéliennes), Ami Ayalon (ancien chef des services secrets israéliens), Tsvia Grinfeld, juive orthodoxe, Nazmi Al-Jubeh, communiste arabe, et les douze autres témoins de ce livre sont des pragmatiques qui parlent à livre ouvert.
Marc Knobel
David Chemla, Bâtisseurs de paix, Editions Liana Levi, 2005, 15 euros.