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Par Alain Bauer, Criminologue, publié dans le Figaro le 30 juin 2015
Longtemps le terrorisme fut une affaire d’État.
Depuis 1979 avec la chute du chah d’Iran, suivie en 1989 de celle de l’URSS, l’apparition d’un terrorisme d’une nature différente des précédents a changé la donne.
Le terrorisme d’État s’est réduit, les irréductibles Basques et Irlandais ont rendu les armes, les Farc colombiennes se sont tout simplement criminalisées. Le « golem » al-Qaida version Ben Laden, qui s’est retournée contre ses inventeurs et après avoir inventé l’hyperterrorisme, s’est fait dépasser par le califat de l’État islamique.
Sont apparues en complément deux « nouveautés » : les hybrides, gangsterroristes et le lumpenterroriste, agissant par impulsivité avec les moyens du bord. Le tout porté par un processus d’accélération de la radicalisation grâce à l’incubateur Internet. Ces nouveaux opérateurs ne sont du coup plus importés de l’extérieur, mais sont nés sur le sol des pays occidentaux cibles. Des terroristes enracinés ont peu à peu remplacé les habituels commandos envoyés de l’extérieur. Quand ils ne sont pas simplement convertis dans l’espace de l’Islam radicalisé, loin d’être le principal opérateur du terrorisme, en Occident tout du moins.
Avec Khaled Kelkal en 1995, puis le gang de Roubaix en 1996, la France a connu la douloureuse expérience des hybrides, mi-gangsters, mi-terroristes, naviguant entre deux fichiers et échappant ainsi à l’attention des services incapables de faire la connexion et de dépasser les cloisonnements. Mohamed Merah, seize ans plus tard, rappellera que le processus fonctionnait toujours, comme cela avait d’ailleurs été longuement rappelé dans l’étude de Mitch Silber supervisée par moi-même pour le NYPD (police de New York) sur la « Radicalisation en Occident, la menace intérieure » en 2006 : « Tandis que la menace extérieure demeure, plusieurs des attentats terroristes ou des complots contrecarrés dans des villes en Europe, au Canada, en Australie et aux États-Unis, ont été conceptualisés et planifiés par des résidents/citoyens qui ont cherché à attaquer leur pays de résidence. La majorité de ces individus sont considérés comme “ordinaires” - ils avaient des motifs “ordinaires”, des vies “ordinaires” et peu d’antécédents terroristes ou même parfois criminels. » Les frères Kouachi et Amedy Coulibaly ont complété la série.
Désormais, la menace provient de groupes hybrides et opportunistes capables de transformations rapides. Il existe un nouveau « melting-pot » criminel intégrant fanatisme religieux, massacres, piraterie, trafic d’êtres humains, de drogues, d’armes, de substances toxiques ou de diamants. Un continuum criminalo-terroriste, un gangsterrorisme apparaît, qui ne correspond plus aux petits casiers doctement préparés pour eux. Faute d’imaginer la complexité, les bureaucraties tentent désespérément de rendre compatible la réalité avec leur vision de celle-ci. Il est rare que la réalité s’adapte.
On les retrouve aux États-Unis, en Grande-Bretagne, au Canada, en Belgique, en Israël, en France. Micro-attentats, commis en général par des opérateurs solitaires ou à deux, armes des moyens du bord (couteau, machette, véhicules, parfois armes de chasse ou équipement de petits malfrats, plus rarement armes automatiques)… Lire l’intégralité.