Tribune
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Publié le 22 Juin 2015

Laïcité, schisme à gauche

La place réservée à la religion dans la société française est devenue un tabou tant le sujet divise.
 

Par Grégoire Biseau et Sonya Faure, publié dans Libération le 21 juin 2015
La place réservée à la religion dans la société française est devenue un tabou tant le sujet divise les laïcards, fidèles à une vision «historique», et les tenants d’une adaptation de la loi de 1905 au nom de la protection des minorités.
Laïcité. Le mot est devenu incontournable après les événements de janvier. Il est de tous les discours, et certains aimeraient l’inscrire aux frontons des écoles. Un extraordinaire mot fourre-tout qui réussit cette prouesse de faire à la fois unanimité et polémique. Notamment à gauche. Tout le monde s’en revendique. Mais chacun défend «sa» laïcité, selon un axe classique qui va d’une laïcité stricte, qui souhaite repousser les signes extérieurs de la religion dans la seule sphère privée, à une laïcité plus ouverte qui, au nom du respect de la différence, affirme la nécessité de faire une place aux religions, et notamment à l’islam, dans notre espace public. La fracture est si profonde et ancienne que cette question est devenue le grand non-dit de la gauche. Le gouvernement le sait. La poser, c’est déclencher à coup sûr une tempête dans sa majorité. Les attentats contre Charlie et l’Hyper Cacher n’ont rien apaisé. Au contraire. «Les positions se sont tendues», reconnaît, fataliste, Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité.
Et pourtant, tout le monde reconnaît l’urgence pour la gauche d’ouvrir enfin ce débat et de trouver un début de position commune. «La campagne de 2017 se fera sur le terrain des valeurs, et notamment celle de la laïcité, estime Philippe Doucet, député socialiste qui travaille à l’élaboration d’une charte de la laïcité. Sarkozy a d’ailleurs commencé. Or, à gauche, on ne sait pas comment s’y prendre.» La semaine dernière, le gouvernement a pour la première fois tenté un dialogue avec les autorités musulmanes. Et ce lundi, à l’initiative de Jean Glavany, député socialiste grand défenseur d’une laïcité stricte, se tient à l’Assemblée nationale un débat intitulé «République et islam, ensemble, relevons le défi», où le président de l’Assemblée, Claude Bartolone, et Manuel Valls prononceront chacun un discours.
«Compromis et apaisement»
La crise de la gauche est double. A la fois existentielle et de circonstance. D’abord, comme le résume le sociologue Michel Wieviorka, l’arrivée de l’Islam en France est venue contester l’héritage politique de la gauche. «En 1905, le grand combat de la gauche était de séparer l’Eglise et l’Etat. Aujourd’hui, le problème est l’inverse : elle doit inclure une nouvelle religion dans la République, faire valoir de nouvelles attentes, fixer des relations entre l’Etat et l’islam.»
Avec l’irruption de ce nouveau fait religieux, les différentes racines historiques de la gauche ont réapparu à la surface. L’historien Arnaud Houte décrypte : «Sous la IIIe République déjà, au moins trois gauches coexistaient sur la laïcité. Les socialistes ne voient pas dans le cléricalisme leur ennemi prioritaire, alors que les radicaux, comme Clémenceau, sont franchement anticléricaux et veulent mener à bien la séparation de l’Eglise et de l’Etat. L’opportuniste Jules Ferry, enfin, prône une laïcité de compromis : le maître d’école est invité à enseigner grosso modo la même morale que celle du curé.» Avec la loi de 1905, ces trois familles avaient trouvé un terrain de «compromis et d’apaisement», selon Houte. Inconsciemment peut-être, la gauche espérait ne jamais avoir à y revenir. Et quand, pour mieux stigmatiser l’islam, le FN s’est mis à revendiquer le mot de laïcité, personne à gauche ne s’est réveillé. Philippe Doucet raconte : «Il y a eu dans notre famille politique un état de sidération face à ce coup stratégique de Le Pen. En détournant une valeur de gauche, il nous a renvoyés dans nos contradictions»… Lire l’intégralité.