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Par Jean-François Fiorina, Directeur de l'ESC de Grenoble, publié dans le Huffington Post le 9 mars 2015
A la fois cible et vecteur de «conflits informationnels» ou d'actions de prédation plus triviales, il est devenu un territoire de choix pour les luttes de nature géopolitique.
Le 24 novembre 2014, une retentissante attaque informatique visait Sony Pictures. Elle est considérée aujourd'hui encore comme la plus importante ayant touché une grande entreprise, en raison de sa sophistication, mais aussi de son ampleur : les «pirates» ont subtilisé la quasi-totalité des fichiers présents sur le réseau de la société d'entertainment américaine (messageries internes, fichiers de films...). Cette attaque est symptomatique de la montée en puissance de la cybercriminalité, mais aussi des interactions parfois troubles entre sphère économique, communication et logiques de puissance géopolitique.
La cybercriminalité, une activité en croissance exponentielle
Dans un récent article du Monde (02/02/2015), Philippe Escande rappelle que «le crime sur la Toile, qu'il soit ludique, politique ou crapuleux, a connu une accélération spectaculaire ces deux dernières années». Selon un expert anglais interrogé à la suite du piratage de 233 millions de fiches clients d'un géant d'e-commerce, cité par Xavier Raufer dans son dernier ouvrage consacré à la Cyber-criminologie (CNRS Editions, décembre 2014), «l'univers cybernétique est désormais l'un des principaux domaines de la fraude et du crime».
En réponse, le marché mondial de la cybersécurité croit très fortement, de près de 8 % par an, et devrait atteindre 86 milliards de dollars en 2016. Il est vrai qu'un rapport du Ponemon Institute (26/05/2014) estime le coût total moyen d'une violation de données personnelles des clients d'une entreprise à 4,16 millions d'euros, dont 2,28 millions de perte directe de chiffre d'affaires et 1,14 million de coûts induits (centre d'assistance, réparation, remises à la clientèle, etc.). Et ce, sans compter l'atteinte à l'image et la réputation, devenues un actif majeur des entreprises du fait même du développement de l'univers numérique... Le sujet est devenu à l'évidence stratégique. Les Etats ne s'y sont pas trompés.
Internet, un domaine à forte présence étatique
Contrairement à son état d'esprit libertaire affiché, Internet n'a jamais cessé d'être, conformément à ses origines historiques et technologiques, un outil aux mains de la puissance étatique - en particulier états-unienne. Même bousculée, l'hyperpuissance américaine contrôle toujours en effet, via l'ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), la «gouvernance d'Internet». Et, surtout, l'essentiel des infrastructures physiques qui en permettent le fonctionnement. C'est-à-dire à la fois le soft et le hard. Mieux : l'administration américaine dispose de puissants moyens et dispositifs d'intrusion sur le Net.
L'affaire Snowden l'avait révélé aux plus naïfs. L'affaire Sony Pictures le confirme aux derniers sceptiques. Si les Etats-Unis se sont empressés de dénoncer Pyongyang, il est vrai bruyamment rétif à la diffusion par l'opérateur américain du film satyrique L'interview qui tue, c'est qu'ils disposaient d'indices probants. Depuis 2010 en effet, l'Agence nationale de sécurité américaine a mis en place un système de surveillance complet des réseaux de communication nord-coréens : «Conçu à l'origine comme un moyen de récolter des informations sur le programme nucléaire de ce régime ultra-secret, l'opération de la NSA a progressivement évolué au vu de la menace grandissante de la Corée du Nord en matière d'espionnage informatique, après une attaque contre des banques sud-coréennes en 2013» (Les Échos, 20/01/2015). Même si de nombreux experts, parmi lesquels les services de renseignement français, doutent de la version américaine, au regard de la faiblesse des preuves présentées, la cyber-attaque de Sony Pictures a fourni le prétexte à de nouvelles mesures de rétorsion contre le régime nord-coréen. D'évidence, Internet n'est pas simplement piraté - par des criminels ou des services étatiques : il est instrumentalisé à des fins (géo)politiques… Lire l’intégralité.
Pour aller plus loin : «Internet, un espace de jeu géopolitique», note d'analyse géopolitique CLES de Grenoble Ecole de Management, n° 154, 05/03/2015 - lien direct sur notes-geopolitiques.com