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Par Maurice-Ruben Hayoun, Spécialiste de la philosophie médiévale, publié dans le Huffington Post le 22 janvier 2015
Pour le citoyen moyen qui regarde la télévision, lit les journaux et/ou écoute la radio, la question de l'existence, passée ou future, d'un Islam des Lumières, d'une religion Musulmane éclairée, se pose avec acuité. La réponse à cette question brûlante est nécessaire, voire urgente, si l'on veut barrer la route à la diffusion de rumeurs qui déclarent cette religion ennemie de la paix et incompatible avec une spéculation philosophique normale.
Ibn Rushd, Averroès de son nom latin, reste l'incarnation même de l'esprit philosophique en Islam. Mort en 1198, il prolongea toute une lignée de falasifa, c'est-à-dire d'authentiques penseurs rationalistes qui assurèrent le développement d'un legs spirituel gréco-musulman. Il ne s'agit pas ici de tresser, sans discernement, des couronnes à je ne sais quel esprit ou tendance qui n'aurait existé que dans l'imaginaire de ses zélés concepteurs. Un Islam des Lumières a bel et bien existé au Moyen Âge. Certes, il fut confiné à une religion des élites et n'a jamais pu gagner le cœur des gens simples. Mais il a existé et rien ne permet de dire qu'il est mort et enterré ad vitam aeternam. Des raisons politiques précises, inhérentes à l'ancienne cité Musulmane, expliquent sa longue éclipse à travers l'histoire intellectuelle européenne et l'histoire des religions comparées.
L'intérêt d'Averroès pour la spéculation philosophique hellénique, donc païenne et polythéiste, ne s'est jamais démenti, même si ce grand inspirateur du legs intellectuel gréco-Musulman a dû concilier deux impératifs contradictoires: la fidélité à une tradition religieuse révélée et un amour, parfois jugé immodéré ou déraisonnable, pour la philosophie d'Aristote. Cette situation ne fut pas unique en son genre puisqu'en Chrétienté et dans le judaïsme, d'autres grands maîtres (Albert le Grand, Thomas d'Aquin) furent confrontés au même dilemme.
Voici une citation qui nous aide à bien comprendre l'intérêt majeur que la philosophie aristotélicienne, donc non-monothéiste et ignorant tout de la notion même de Révélation divine, revêtait aux yeux de ce philosophe arabo-andalou:
"Nous adressons des louanges sans fin à celui (Dieu) qui a distingué cet homme (Aristote) par la perfection et qui l'a placé seul au plus haut degré de la supériorité humaine, auquel aucun homme dans aucun siècle n'a pu arriver. C'est à lui que Dieu a fait allusion en disant: cette supériorité, Dieu l'accorde à qui il veut."
Et voici Aristote promu, sur la foi d'un verset du Coran, au rang d'un élu de Dieu en personne, lui qui n'était qu'un Grec polythéiste… Lire la suite.