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Publié le 13 Septembre 2005

Le Bal

Le bal est un loisir si désuet de nos jours qu’il n’évoque pour la jeunesse qu’ennui et mode d’antan. Pourtant, durant des siècles, l’aristocratie, puis la bourgeoisie lui donnent une signification. Au delà du simple amusement, l’organisation d’un bal révèle l’aisance des hôtes et la qualité de leurs relations. Malgré tout, si parfois, il alimente aigreur et frustration, il n’en garantit pas moins l’entrée dans le monde de la jeune fille, puis, quelques années plus tard, il est le centre des diverses possibilités d’alliance qui s’offrent à elle…et à ses parents. Le bal est une marche d’escalier pour les jeunes filles et un repose pieds pour leur mère. Celui auquel nous invite Irène Némirosky aurait pu être une soirée à thème « Arsenic et vieilles dentelles ».




Antoinette Kampf a presque quinze ans. Elle mène une existence morne et triste entre les murs blancs de l’immense appartement parisien de ses parents, Rosine et Alfred nouvellement enrichis par un prodigieux coup en bourse.


D’un naturel vulgaire, Rosine Kampf camoufle des manières de poissarde sous diverses couches de diamants et dans des tenues onéreuses. Elle a fait de sa fille sa plus grande rivale. Capable de comportements égocentriques et cruels, Rosine Kampf hait l’adolescence d’Antoinette. Elle veut éloigner sa face de la sienne, la maintenir en enfance pour ne pas qu’elle devienne une femme.
Pour tromper l’ennui, porter ses bijoux, voir et être vue, elle veut donner un bal. Et quand la longue liste de noms bien nés ou fraîchement parvenus est finalement dressée, Antoinette n’y figure pas. Son désappointement se mue alors en désespoir, vaste champ ou, sous l’abondance des larmes, germe malgré elle l’envie de revanche secrète.


Toute la préparation de la fête, voulue somptueuse, va crescendo sous la plume de l’auteur entraînant le lecteur à mesure dans la détresse d’Antoinette, prisonnière d’une existence solitaire et malheureuse, en marge de tout. Pour ne plus en mourir, elle commet un acte terrible mais salvateur, oxygénant, et à ce titre, compréhensible.


Dans un monde injuste et sournois, manquant cruellement de noblesse, et dans une famille méchante, oublieuse, pourquoi ne pas céder à la tentation de blesser ? De voir l’autre à genoux, tomber le masque de la comédie humaine, vaine, idiote et destructrice ? Et redevenir pauvre et inoffensif comme au jour de sa naissance, comme au jour de sa mort.


Juste pour pouvoir s’agenouiller auprès de sa mère, pour exister dans son existence, Antoinette Kampf a vieilli d’autant d’années qui séparent l’enfant vulnérable de l’adulte endurcie dans sa violence contenue.


Le Bal est un livre puissant, trop peut être pour être né de la seule imagination de Némirovsky.
Derrière cette écriture profonde et forte se profile la silhouette hésitante d’une enfant maltraitée.

Stéphanie Dassa


Le Bal, Irène Nemirovski, Editions Grasset, collection le Cahier Rouge, 120 p. Paris 2005