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Les Palestiniens, victimes de la géopolitique des pays arabes pendant plusieurs décennies, le sont aujourd’hui tout autant de ceux chez lesquels ils n’existent qu’en tant que catégories sémantiques dont la seule utilité semble résider dans la légitimation de la détestation de la catégorie du Juif.
Que de déferlements de haines, de détournements et de propos d’excitation ces derniers jours ! Le plaisir malsain chez certains de parler de l’«entité sioniste» plutôt que de nommer Israël (voilà qui va aider les Palestiniens…), la référence - tout aussi malsaine, car œuvrant à un retournement pervers visant à associer Israël au nazisme - d’un génocide en cours à Gaza, l’association - dans la même veine - du sionisme à un fascisme volontiers expansionniste alors même que le sionisme est un nationalisme traversé comme tout nationalisme par des courants d’une extrême diversité et que le «rêve» du Grand Israël a pris fin en 2006 avec le désengagement d’Israël de la bande de Gaza…
L’antisémitisme qui s’exprime, en plus d’être une très mauvaise nouvelle pour les Palestiniens puisqu’il est par effet d’association un facteur de décrédibilisation de leur lutte nationale, pose la question des blocages d’une lecture politique du conflit au Proche-Orient et de la recherche d’une véritable solution. Ces blocages sont connus : déplacement des problématiques de domination qui se jouent ici et se trouvent, par difficulté à s’identifier à une position de dominés, transposées dans l’association aux Palestiniens, figure métaphorique de soi-même ; trop grande difficulté à affronter les sources réelles de l’infériorisation dans la société française, et donc explication paranoïaque de ses difficultés par la figure du Juif, dont les attributs du bouc émissaire sont depuis longtemps disponibles ; au sein d’une partie des populations de culture arabo-musulmane, existence d’un refus que le Juif, ancien dhimmi, puisse apparaître comme en position de puissance, fut-elle fantasmée ; situation d’infériorisation qui obère un travail d’introspection critique, ce qui renvoie à la façon dont la société française est elle-même bloquée sur ce refus de pleine égalité envers ses enfants ; et enfin la longue tradition de l’antisémitisme dans cette même société française, au point où un parti dont ce fléau est une des matrices peut réunir 25% des voix aux élections européennes.
Comme un mauvais jeu de miroir, une partie des soutiens à Israël se sont mis depuis plusieurs années à recouvrir d’intolérance la richesse qui s’exprimait naguère au sein de la communauté juive de France sur le conflit au Proche-Orient. Quels sont cette fois-ci les blocages ? Le colportage de l’idée selon laquelle le peuple palestinien n’existerait pas (prière d’en avertir ledit peuple palestinien) ce qui permet, chez une partie des Juifs de France, afin de prouver son attachement à Israël, l’association à l’exclusivisme qui gagne la société israélienne ; remontée à la surface de traumatismes, notamment celui de la fin brutale de la vie au sein du monde musulman, repeint en pays de cocagne qu’il fallut quitter du fait d’arabo-musulmans plus ou moins inconsciemment essentialisés. Des musulmans avec lesquels le contact qui se recrée en métropole peut être émotionnellement vécu comme un danger latent. À ces blocages, s’ajoute une composante fondamentale dans la société française : l’existence d’une extrême droite bien enracinée et qui, à chaque fois qu’elle renifle des tensions et de la haine, s’y jette comme la vérole sur le bas clergé. Encore que cette extrême droite ne sache plus parfois où donner de la tête entre son racisme anticarabe et son antisémitisme. Mais, chez ceux qui se vivent comme appartenant à tel ou tel camp, cette extrême droite peut être vécue comme une force d’appoint, au nom d’une alliance contre nature et temporaire nouée en vertu de la théorie de l’«ennemi principal».