Tribune
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Publié le 3 Juillet 2014

Natalia Baleato : « La laïcité préserve l'espace commun »

Propos recueillis par Anne Jouan, entretien publié dans le Figaro le 2 juillet 2014

Le 25 juin dernier, la Cour de cassation donnait définitivement raison à l'association Baby-Loup en confirmant le licenciement d'une salariée qui avait refusé d'enlever son voile. La directrice de Baby-Loup revient sur les six années de combat judiciaire qui ont fait de sa crèche un symbole de la lutte contre les communautarismes.

Comment un conflit entre un employeur et une salariée est-il devenu «l'affaire du voile»?

Parce qu'il y a quelque chose de non réglé dans la société française qui suscite les passions. Ce problème, c'est, d'un côté, l'arrivée de populations immigrées et, de l'autre, l'abandon des quartiers populaires par la République. On voit des villes sans piscine, sans bibliothèque, désertées par les institutions. Le vide est alors rempli par des phénomènes religieux, et pas seulement musulmans. Depuis une quinzaine d'années, j'observe une montée en puissance des Témoins de Jéhovah qui sont très actifs et prosélytes. Il y a aussi les hindous ou encore les mormons et les évangélistes. En ce qui concerne l'affaire Baby-Loup, une salariée s'est emparée de ce manque de République. Comme elle n'était plus en phase avec nos principes, elle a fait de cette «histoire» du voile un motif de discrimination.

En mars 2010, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations (Halde) condamnait Baby-Loup pour discrimination. Quel a été l'impact de cette décision?

J'ai immédiatement eu des demandes du personnel catholique de la crèche pour ne plus travailler à Pâques et à Noël. Si l'on acceptait la demande de notre salariée de venir travailler voilée, il fallait accepter les demandes de tout le monde. Nous avons dû être pédagogues, mais fermes, c'était un équilibre difficile à tenir. Et nous n'avons pas tenu, c'est pourquoi nous avons dû quitter Chanteloup.

Après un premier arrêt de la Cour de cassation, en mars 2013, qui vous donne tort, les revendications communautaires explosent…

Oui, des parents musulmans ont demandé que les bonbons ne soient plus distribués à cause de la gélatine fabriquée à partir de porc. Les assiettes en plastique à l'effigie d'animaux ont été accusées de provocation, car certaines représentaient des cochons. D'autres parents ont exigé que l'on surveille leurs enfants pour qu'ils ne mangent pas le porc de l'assiette des copains. Des parents Témoins de Jéhovah voulaient que leurs enfants soient exclus des fêtes de Noël. Des hindous nous ont demandé d'interdire le bœuf de la cantine.

Pourtant le militantisme de Baby-Loup ne concerne pas la laïcité, mais l'insertion des femmes des milieux défavorisés?

Oui. Car une femme qui travaille a une vie sociale, elle ne demande plus d'aide. Elle devient active à sa propre réussite et à celle de sa famille. Aussi avions-nous inscrit dans le règlement que nous n'étions pas un substitut des parents et que notre travail devait se faire dans la plus stricte neutralité. Il s'agissait d'être neutre politiquement, philosophiquement et religieusement dans l'intérêt de l'enfant.

La nécessité de la laïcité est-elle apparue rapidement?

Oui, elle coulait de source. Souvent, la laïcité est vue comme l'interdiction de toutes les religions, voulue par des mécréants ou des athées. Je pense au contraire que c'est, au nom de l'espace public, le respect de toutes les religions. Or notre espace commun concerne de très jeunes enfants. La laïcité permet de préserver cet espace commun sans lequel on vit non pas ensemble, mais les uns à côté des autres. Ce n'est pas ça, la France… Lire la suite.