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Marie Claire Sfadj anime la première table ronde. Expert des Droits de l’Homme auprès des Nations Unies, de l’Union Européenne et du Conseil de l’Europe, Gérard Fellous, s’appuie sur les statistiques du rapport de l’Agence des droits fondamentaux (FRA) de l’UE pour nous démontrer ce que nous savions déjà, hélas, que la montée de l’antisémitisme dans les pays européens s’aggrave, en Belgique, en Suède, en Hongrie, la France étant le plus mauvais élève. Les causes avancées englobent l’émergence de l’Islam radical, l’extrême gauche antisioniste, la montée des partis populistes et le transfert du conflit israélo-arabe.
Sur ce dernier point, Serge Cwajgenbaum, Secrétaire Général du Congrès Juif Européen et Jean Yves Camus, politologue et chercheur à l’IRIS, sont en léger désaccord avec Gérard Fellous et rappellent que : « s’il y a eu des pics d’antisémitisme lors de la seconde Intifada ou lors de Plomb Durci, il y en a aussi lorsqu’il ne se passe rien au Moyen-Orient, on ne relève pas d’automatismes, il existe un fonds antisémite, les acteurs antisémites sont nouveaux, mais les préjugés et les stéréotypes sont les mêmes ».
Serge Cwajgenbaum souligne « ce qui me préoccupe c’est ce constat, le malade reste malade, nous n’avons pas d’explications, l’antisémitisme est irrationnel par essence, alors que faire ? », il poursuit : « notre réconfort c’est de voir que l’antisémitisme ne prend pas forme d’état, les pouvoirs publics européens réagissent avec fermeté et l’exemple du Ministre de l’Intérieur français Manuel Valls doit être encouragé ».
Serge Cwajgenbaum incite chacun de nous à voter lors des élections européennes, car le parlement européen est très influent, la montée des eurosceptiques et des partis extrêmes peut affecter la démocratie européenne et conduire comme cela a été fait il y a peu, à la résolution votée contre la circoncision apparentée à tort à l’excision.
Revenant sur le problème de l’antisémitisme, Jean-Yves Camus avance deux scénarios-chocs que nous devons défendre : « l’expression de la liberté religieuse, considérée par la gauche comme archaïque et comme une menace contre la République et la liberté d’expression qui n’est pas de dire n’importe quoi, mais qui doit respecter la loi et ne pas la transgresser (ex : Dieudonné)», la seconde thèse proposée par le politologue se développe autour d’« Une Europe en panne, sans vrai projet, qui fait quoi ? Vers quoi allons-nous ? vers un projet fédéral ? Les institutions européennes ressemblent à un millefeuille incompréhensible pour la plupart des Européens».
Aux nombreuses questions posées, sur le temps qui passe et l’oubli, sur l’enseignement de la Shoah, la formation des jeunes générations, le communautarisme, nous retiendrons la réponse de Bruno Morin, Professeur de Droit, aux raisons qui font que Jean Marie Le Pen ne va jamais en prison : « les condamnations sont des sanctions de 5e classe, considérées par la loi comme des contraventions ».
Aux remarques « subversives » de Serge Cwajgenbaum sur « Y-a-t-il un avenir pour les Juifs en France ?... Plus de 300 000 jeunes Français s’expatrient à Londres » Gérard Bismuth, Vice-Président du CRIF, non sans humour, répond dans sa conclusion que cette dernière problématique dépasse de loin l’antisémitisme, et que les crises économiques et sociales en sont peut être la cause. Il rend hommage à Manuel Valls qui a obtenu l’adhésion du Président François Hollande et du gouvernement à ses prises de position.
Nous avons profité de l’interruption de 12H30, pour nous retrouver avec les intervenants autour d’un plateau-repas et accueillir une délégation de Comoriens et d’amis de Nora Preziosi, adjointe au Maire, venue écouter la conférence sur la Laïcité.
En introduction de cette seconde partie, Jean Meyer, Vice-Président du CRIF fait référence à Me Robert Badinter et donne de la Laïcité sa définition principale, celle de garantir la liberté d’opinion, la légalité, la dignité de chacune et chacun ». Il poursuit et dresse un portrait de chaque intervenant. De Haïm Korsia il retiendra l’homme de dialogue et d’ouverture, du Père Pascal Sevez, le sens du partage et de l’amitié, de l’Imam Tareq Oubrou, la compatibilité entre l’enseignement du Coran et les réalités de la civilisation européenne et de Me Bruno Morin, son investissement à la préparation de la loi visant à interdire « la quenelle ». Joël Benhamou, Directeur de la Yéshiva des Étudiants, conduit cette deuxième table ronde.
Avant d’entrer dans le débat « La laïcité est-elle une chance ou un défi pour les religions ?», Gérard Fellous, auteur de « La laïcité à la française », « un sujet passionnant, mais clivant », dit-il, fait un rappel historique de la laïcité, spécificité française, héritage de la révolution de 1789, qui érige un grand principe : la laïcité ne reconnait qu’une seule catégorie d’individus, leur appartenance à la communauté des humains sans distinction de particularités, de religion, de sexe ou d’opinion, ces libertés sont indérogeables.
Laissant de côté le texte qu’il avait au préalable préparé, le plus jeune des intervenants, Haïm Korsia, Aumônier Général Israélite des Armées et de l’Ecole Polytechnique, captive d’autorité le public.
Il évoque qu’à « chaque cérémonie sous l’Arc de Triomphe, devant le drapeau bleu blanc rouge déroulé, on touche à la République, aux Français, quel que soit son culte… La laïcité nous permet de vivre notre religion ». Il considère qu’on peut entrevoir la laïcité d’une manière intelligente ou pas. Il prend le cas précis d’un étudiant dont l’examen tombe le jour d’une fête juive importante, à qui on demande de choisir entre deux identités, « laquelle veut-on qu’il évite ? Le fait d’être mis en demeure de choisir est une situation d’une extrême violence alors que cet étudiant ne veut pas être différent des autres…Une laïcité intelligente aurait été de faire passer l’examen à un étudiant non juif le samedi et à l’étudiant juif un autre jour de la semaine ». Jeune Rabbin à Reims, et ayant envoyé une lettre au Saint-Père il reçoit du Pape cette réponse : « La prière des uns est importante pour l’autre ».
Jésuite de formation, le Père Pascal Sevez rappelle que ce sont les républicains qui ont fondé et élevé la laïcité en deux principes : Unité et Unicité. C’est avec humour qu’il se souvient qu’avant la loi de 1905 les Jésuites étaient interdits, qu’il a grandi avec la laïcité, principe de neutralité, mais que son inquiétude du moment est de voir réapparaître une laïcité de combat.
L’Imam Tareq Oubrou, se fait l’écho « d’une actualité chargée d’émotion », il demande : « où est le bon sens qui caractérise l’être humain ?… Les religions ont cette capacité, sauf la clientèle communautariste…la laïcité revêt deux formes, celle de l’État qui s’est émancipé des religions et qui garantit l’ordre public et celle de la société, plus désordonnée...Les religions sont nécessaires pour les valeurs qu’elles incarnent et pour leur contribution à la paix civile…le musulman doit respecter le droit français, la problématique s’installe lorsqu’il y a confusion entre population musulmane et religion… »
Haïm Korsia cite le peintre Georges Braque lorsqu’il dit : « j’aime la règle qui corrige l’émotion, j’aime l’émotion qui corrige la règle ». Il reste peu de temps à Serge Coen pour conclure, mais il le fait avec brio.
Il est déjà plus de 16H et le public est toujours aussi nombreux, celui du matin se mêle à celui de l’après-midi, plus de 400 personnes remplissent les gradins de l’amphithéâtre Callelongue.
Tous attendent avec une certaine impatience les interventions d’Yves Moraine, Maire des 6e et 8e arr. et de Patrick Mennucci, Député-maire du 1er secteur de Marseille. À la tribune et à leur côté, Michèle Teboul, Présidente du CRIF Marseille Provence et Isidore Aragones, Past-Président et modérateur, à qui il convient de présenter nos deux invités.
Yves Moraine rappelle les grands principes du thème débattu ci-dessus et ajoute : « La laïcité est l’extension du Siècle des Lumières…dans le cas de Marseille, qui n’est pas une ville comme les autres, la laïcité, dans la plus vieille ville de France, mosaïque de cultures différentes, ne peut pas être la même… »
Patrick Mennucci a la voix plus offensive et s’inscrit dans « Marseille Espérance » création du Maire Robert-Pierre Vigouroux, une particularité de Marseille, que beaucoup nous envient. Il martèle : « Je ne confonds pas le CRIF et le Consistoire, le financement d’une Mosquée ou celui d’une association musulmane, celui d’une synagogue ou d’une rencontre de foot du Bné Akiva. Il y a une place pour le culte et une autre pour la culture, je développerai si je suis élu Maire de Marseille les liens économiques entre Israël et la cité phocéenne ».
À la question de Michèle Teboul aux deux protagonistes sur la disparition inéluctable des associations juives pour cause de laïcité trop dogmatique, Yves Moraine retient que les subventions allouées par la Mairie ont augmenté, Patrick Mennucci ne peut qu’écouter Bernard Guigui lorsqu’il dit que les subventions sont réduites à zéro pour « Les Paniers du Chabbat » alors qu’ils sont distribués sans distinction de religion ou d’appartenance à une communauté. William Labi, Président du Directoire du Consistoire demande à Patrick Mennucci d’être l’écho de l’inquiétude et du malaise de la communauté juive de Marseille, sur les questions de l’abattage rituel et de la circoncision, remis en cause à l’échelon européen et dont la motion a été approuvée par nos députés. Les échanges restent courtois, parfois vifs, mais toujours respectueux.
Michèle Teboul conclut cette journée qui restera gravée dans les mémoires par la qualité de toutes les interventions, questions et réponses et réaffirme avec force sa détermination à défendre Israël et la communauté juive marseillaise.
Edith Janowski-Bismuth,
CRIF Marseille-Provence
PS. Notons la présence des élus
Eugène Caselli, Patrick Mennucci, Avi Assouly, Yves Moraine, Martine Vassal, Daniel Sperling, Caroline Pozmentier, Dominique Tian, Fatima Orsatelli, Mme Levy-Mozziconacci, Nathalie Pigamo, Séréna Zouaghi, Jocelyn Zeitoun, Gérard Bismuth, Évelyne Sitruk, Patrick Zaoui, Marianne Moukomel, Gérard Vitalis, Gilberte Mizrahi…