Le CRIF en action
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Publié le 30 Octobre 2013

Le FN, mon cauchemar pour 2017

Par Roger Cukierman, Président du CRIF, pour le Monde

 

Il est 20 heures ce 14 mai 2017. Le visage de Marine Le Pen se dessine lentement sur les écrans de télévision de millions de Français, au soir du second tour de l'élection présidentielle. Elle devient le 8e président de la Ve République. C'est un séisme politique. Quelques semaines plus tard, portée par ce succès et à l'issue de tractations avec des parlementaires en dissidence de leurs propres partis, Marine Le Pen dispose de la majorité à l'Assemblée nationale.

 

Le scénario de mon cauchemar varie selon les nuits. Parfois, Marine Le Pen applique ses promesses à l'encontre de l'Europe et du reste du monde : sortie de la France de la zone euro, moratoire sur le remboursement de la dette, suspension de notre contribution au budget européen, barrières douanières. Le nouveau franc s'effondre, le déficit extérieur plonge, nos exportations chutent, nos entreprises ferment, le chômage explose, la violence prospère. Parfois, Marine Le Pen renvoie à plus tard ce volet de son programme : nous conservons l'euro et notre pays poursuit cahin-caha sa trajectoire économique, avec des secousses mais sans cataclysme. Mais, dans tous les cas, moi qui ai été un enfant caché pendant la seconde guerre mondiale, je frémis de voir notre pays sombrer dans un régime où le populisme refuse les opinions minoritaires, rejette ce qui s'écarte de ses normes, redéfinit à sa sauce les droits et les libertés. Un régime où la critique est une trahison, où l'autorité est dévoyée au profit des affidés du pouvoir, où les principes républicains s'effacent devant les partis pris idéologiques, où on prétend que les difficultés disparaîtront quand les boucs émissaires auront été expulsés hors de nos frontières.

Attention ! Il y a péril dans la maison commune !

Le spectacle est suffisamment effrayant pour qu'il ne soit pas utile de le noircir davantage en invoquant Jean-Marie Le Pen, le père, ses paroles douteuses -– jamais désavouées par sa fille bien que condamnées par la justice -–, le pedigree collabo de plusieurs fondateurs de son parti, un ami de Marine Le Pen qui assure aujourd'hui sa communication après avoir été tenancier d'une librairie antisémite et révisionniste.

 

Péril dans la maison commune

 

Certains me diront que l'arbitraire et le grignotage des libertés sont peu de chose quand on est sans travail ni avenir, quand on vit l'insécurité, la précarité et le déclassement, quand on se dit "pourquoi pas le Front national puisque les autres ont échoué et n'ont rien fait pour moi ?"

 

A ceux-là, je veux dire qu'ils s'illusionnent, qu'au mieux le FN se renierait économiquement, qu'au pire il tiendrait parole. En toute hypothèse, il ne fera pas reculer la misère, qui est grande, ni le chômage, qui est au plus haut, même s'il procure des exutoires. Surtout, le troc de l'espérance de la sécurité contre la liberté est toujours un échange perdant. On dit que le réveil met un terme au cauchemar. Nous sommes à quelques mois d'élections municipales et européennes où l'on annonce un FN en hausse, surfant sur les lassitudes, les déceptions et les angoisses ; pire, incarnant pour certains l'espoir et le renouveau. Il est donc urgent de se réveiller.

 

Se réveiller, c'est regarder notre société telle qu'elle est, avec ses identités, ses divisions, ses "territoires perdus" qui sont de plus en plus vastes et menaçants. Ne laissons plus le FN poser ses mots -– ses maux –- sur la réalité, puis diviser le pays en jouant sur l'opposition avec le discours fade du "politiquement correct" ou avec les concepts désincarnés du droit. Le fonds de commerce du FN reste l'idéologie de la xénophobie sociale et économique.

 

Se réveiller, c'est faire la preuve sur le terrain que l'exercice de l'autorité et de la justice améliore la vie de nos concitoyens. C'est reconstruire des offres politiques différenciées qui donneront à notre pays un projet national, sans se défausser sur Bruxelles pour masquer nos carences, nos incohérences et nos lâchetés. Aussi et surtout, c'est, pour les élus, les candidats et leurs partis, ne pas faire du FN une variable des stratégies électorales, un levier dans l'accès ou le maintien au pouvoir.

 

Il est des réveils brutaux, mais salutaires. J'aime mon pays. Même si la vie est devenue plus difficile, il fait bon vivre en France, le pays de la liberté. Nous avons la responsabilité collective de tout faire pour qu'il continue d'en être ainsi. Le Conseil représentatif des institutions juives de France, que je préside, sera de ce combat.

 

Après vous avoir livré mon cauchemar, je veux vous dire quel est mon rêve : que le FN revienne à son ancien statut de groupuscule. Je n'exonère pas pour autant ceux qui, à l'extrême gauche, à l'autre bout du spectre politique, font également preuve d'intolérance et de radicalité, et qui méritent aussi de rester des groupuscules. Attention ! Il y a péril dans la maison commune !

 

Source : http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/10/29/mon-cauchemar-pour-2017_3504616_3232.html